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Uzbin, à chacun son « métier »

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Décidément, nos démocraties - et particulièrement la nôtre - sont bien malades car incapables d'affronter avec responsabilité et dignité certaines réalités.
Alors que la société pourrait, sous l'action militante de certains groupes de pression bien-pensants, s'acheminer vers la légalisation de l'euthanasie, c'est à dire donner la mort à un être humain en fin de vie, non pas finalement pour le délivrer de son calvaire mais bien plutôt pour supprimer le plus vite possible la souffrance morale que certains refusent d'assumer face à la souffrance physique de l'autre, elle récuse à présent - c'est nouveau - la mort de soldats tombés en opérations.
Alors que le lien fort qui existait entre la nation et son armée se délite peu à peu en raison notamment de l'abandon de la conscription, la professionnalisation des forces a rendu nos armées plus vulnérables dans leur relation avec la société civile avec le risque d'être discréditées à tort car considérées dorénavant comme une institution comme une autre, employant des professionnels comme une quelconque grande entreprise du CAC 40.

Bien que le « métier » des armes implique un rôle particulier au service de la défense et de la survie de la collectivité, c'est à dire de la nation, de ses intérêts ainsi que des valeurs qu'elle porte, avec des risques qui sont pleinement assumés par les intéressés, il semble que nos soldats qui tombent en opérations sont désormais passés du statut de héros à celui de victimes. Il est probable que la paix qui règne en Europe depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et la construction de l'Union européenne qui a suivi, d'une part, et l'apparition avec la première guerre du Golfe en 1990 de concepts ou d'idées utopiques comme le fameux concept de «zéro-mort », d'autre part, ont faussé la perception de la guerre dans l'opinion publique et contribué à ce refus qui devient obsessionnel aujourd'hui pour certains s'agissant de la mort de soldats en opérations sur des théâtres extérieurs.
On rendait généralement hommage à des héros mais on plaint dorénavant des victimes. Et si ce sont des victimes, c'est que des fautes ont été commises et il faut donc trouver un responsable.

C'est ainsi que les familles de deux de nos héros tombés en Afghanistan, à Uzbin, en 2008, ont saisi la justice en portant plainte pour « mise en danger de la vie d'autrui », initiative malheureuse qui non seulement soulève des questions délicates à la fois juridiques et déontologiques mais qui, de surcroît, pourrait avoir des conséquences dont on ne mesure pas l'étendue sur le plan opérationnel.
Contre l'avis du parquet, la Cour d'appel de Paris a donné son feu vert à l'ouverture d'une enquête judiciaire pour « homicides involontaires » sur la mort de dix soldats français, comme s'il s'agissait d'un accident du travail provoqué par la faute d'un chef d'entreprise ou d'un chef de chantier négligents en matière se sécurité. Bref, un fait divers comme un autre.
Les juges considèrent donc la plainte recevable alors qu'ils auraient dû la rejeter en se déclarant incompétents, ce qu'ils sont précisément ici car nous ne sommes pas dans un contexte de paix régi par le droit mais dans une situation de guerre, par définition incontrôlable, où s'affrontent avec la plus extrême violence deux camps et dans laquelle le soldat peut, du fait de sa fonction, donner la mort tout en sachant qu'il peut perdre sa propre vie. Par ailleurs, comment codifier dans le droit des actions qui deviendraient pour le coup suicidaires sur le terrain en appliquant un corps de « règles » que de toutes façons l'adversaire ignore. Nous ne sommes plus au temps des chevaliers.

En revanche nous vivons là en plein délire et le citoyen est en droit de se poser quelques questions.
Tout d'abord, quelle compétence et quelles connaissances les juges peuvent-ils revendiquer en matière d'opérations de guerre pour déterminer si une faute a été commise par la hiérarchie militaire ? Et s'il y a eu faute, à quel niveau pourraient-ils la situer ? Au niveau du commandant du dispositif qui se déplaçait sur le terrain, au niveau du commandant du bataillon, du régiment ou de la brigade concernés, au niveau du général commandant les éléments français ?

Par ailleurs, il ne doit pas échapper aux juges que nos forces en Afghanistan agissent sous mandat de l'ONU au sein d'une coalition dirigée par l'OTAN qui décide des missions et des moyens à engager sur le terrain quotidiennement. La chose n'est pas simple. Alors permettons-nous une digression. Le chef est toujours responsable, et chez le militaire ce principe est toujours appliqué et assumé contrairement à d'autres milieux. Mais si l'avocat d'une des familles plaignantes a pu affirmer qu'"on n'avait pas le droit d'envoyer des soldats à la mort sans leur donner les moyens de se défendre, sans leur donner les moyens d'échapper à un guet-apens construit par la négligence, par le laxisme de la hiérarchie" ( !), on pourrait rappeler à ce dernier et à ceux qui pensent comme lui que les armées, et en particulier leurs chefs, obéissent au politique qui décide de les engager sur tel ou tel théâtre de guerre. D'ailleurs, c'est bien le président de la République qui est LE chef des armées et est donc responsable de leur engagement. Et puis, s'agissant des moyens mis à la disposition de nos forces armées rappelons également que les lois de programmation votées n'ont jamais été respectées et les budgets alloués sans cesse réduits par les élus de la République eux-mêmes. Chacun sait, c'est une constante, que les budgets de la Défense ont régulièrement joué la variable d'ajustement.
Et si nos soldats sur le terrain ne disposent pas de tous les moyens adaptés pour assurer leur sécurité, les politiques n'en sont-ils pas les premiers responsables? Responsables mais pas coupables ? Alors, faudra-t-il désigner un bouc émissaire, un chef militaire de préférence, décrété coupable par les juges pour endosser une responsabilité qui n'est pas la sienne ? Pas responsable mais coupable tout de même ? Cela serait à l'évidence plus facile que de condamner l’État, ou le politique qui n'a pas fourni au chef militaire les moyens adaptés pour remplir sa mission.

D'autre part, cette initiative malheureuse des familles plaignantes n'est pas comprise et est très mal accueillie par nos soldats sur le terrain qui par le biais notamment de l'internet ont qualifié cette démarche d'« injure », de « honte » ou de « traîtrise » à la mémoire de leurs compagnons tombés. Elle marque un nouveau pas dans la judiciarisation des opérations militaires, ce qui posera indéniablement un problème complexe et risque de créer des situations dangereuses pour la vie de nos soldats en paralysant l'action militaire.
En effet, dans les situations critiques, on attend des chefs une réaction rapide, parfois instinctive. Ils pourraient à présent être inhibés et être amenés à décider à contretemps, voire à ne pas décider ce qui pourrait avoir des conséquences catastrophiques non seulement sur l'intégrité physique de nos soldats mais également sur la crédibilité et l'image de notre armée qui reposent, mais pour combien de temps encore, sur le sens du devoir, le professionnalisme et le sacrifice de ceux qui la servent malgré le manque de plus en plus criant de moyens.

Mais cette démarche inédite des familles qui se retournent contre l'institution militaire pour une action qui relève du « métier » de soldat met en évidence une réalité typique de l'évolution de notre société qui se caractérise par le déni de la mort. Et nous sommes en présence d'une contradiction totale avec l'engagement non pas consenti mais voulu par le soldat. Ce dernier est volontaire et sait qu'en opérations il risque sa vie en remplissant sa mission. Il est peut-être temps, si on veut éviter cette dérive mortelle que constitue cette judiciarisation des opérations pour nos armées, que le politique réfléchisse aux mesures nécessaires pour adapter le cadre juridique aux opérations de guerre pour les dégager clairement du droit du temps de paix.

Enfin, en étant impertinent et donc politiquement incorrect, le citoyen pourrait s'étonner que les juges aient accepté d'instruire une telle procédure, car pour instruire honnêtement à charge et à décharge, comptent-ils convoquer les chefs talibans à l'origine de l'embuscade meurtrière dans laquelle eux-mêmes ont perdu de nombreux combattants ?
Envisagent-ils une reconstitution sur les lieux du combat ?
La justice, mission régalienne de l’État, doit assurer la protection de la société, la sanction des comportements interdits et l'arbitrage des conflits entre personnes. Elle doit donc garantir le respect du droit par tous et sanctionner les infractions à la loi à partir de règles qui s'appliquent dans un État de droit et contenues dans le code de procédure pénale. La guerre n'est en rien concernée par ce code de procédure.
La Défense nationale, autre mission régalienne de l’État, assure, elle, l'intégrité du territoire et la protection de la population contre les agressions armées. Par ailleurs, en connexion avec notre diplomatie, elle doit être en mesure de remplir des missions qui découlent de nos obligations internationales, notamment sous mandat de l'ONU et qui s'exercent, c'est une évidence, dans un État de non-droit qui comporte des risques énormes pour la vie de nos soldats.
Alors, de grâce, à chacun son « métier » !
Général (2S) Antoine MARTINEZ

Traduction

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