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L'écrivain et journaliste Jacques Chancel est mort

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Le Monde.fr | 23.12.2014

Jacques Chancel, en octobre 2011. | AFP/FRANÇOIS GUILLOT

Journaliste et écrivain, grande figure de l'audiovisuel, Jacques Chancel – de son vrai nom Joseph Crampes – est mort le 23 décembre, à Paris, à l'âge de 86 ans. Porté par une insatiable curiosité et doté d'un sens de l'écoute peu commun, il était devenu, au fil de ses deux émissions phares – « Radioscopie » sur France Inter et « Le Grand Echiquier » sur Antenne 2 –, le confident le plus célèbre de la radio et de la télévision, où il accueillit des milliers de personnalités des arts et de la politique pour des entretiens dont la somme constitue un pan de notre mémoire collective.

Jacques Chancel « coachait » encore, à 80 ans passés, les jeunes présentateurs d'i-Télé, auxquels il enseignait l'art et la manière de « savoir raconter une histoire ». La sienne avait débuté à Ayzac-Ost (Hautes-Pyrénées), où il naquit le 2 juillet 1928. Tout au moins selon ses papiers d'identité, sur lesquels il aurait obtenu, grâce à son instituteur, d'être vieilli de trois ans alors qu'il était adolescent afin de partir en Indochine. Un exil de huit années qui ne lui avait pas fait oublier sa Bigorre natale, à laquelle il resta fidèle jusqu'à la fin de sa vie.

Ses parents étaient issus de deux de ses vallées : son père, artisan escaliériste, et sa mère, qui l'a tant choyé et couvé ; « trop », jugeait-il a posteriori. Enfant, la lecture lui donna « le goût de l'errance ». Il y ajouta une envie : celle de « ne pas arriver ». « Si on achève quelque chose, c'est qu'on prétend être au bout de la course. L'achevé, c'est la mort », confiait-il en 2010 à l'écrivain Florian Zeller dans un documentaire de la collection « Empreintes » (France 5) retraçant son parcours.

LES ANNÉES INDOCHINOISES

Parce que l'un de ses oncles vivait en Indochine, c'est là-bas, dans un pays en guerre, que débarqua le jeune Joseph Crampes, 17 ans, au terme d'un voyage de cinquante-deux jours en bateau qui le conduisit de Sète à Saïgon. Pour travailler à Radio France Asie (et Paris Match) comme correspondant de guerre, il prit le pseudonyme de « Jacques Chancel ». Le jeune homme fit la connaissance du Tout-Saïgon, des salons mondains aux coupe-gorge, des fumeries d'opium aux cercles sportifs, cette société coloniale à la fois huppée et interlope dont il fit très tardivement la peinture dans La nuit attendra, un livre de souvenirs sur cette période paru en 2013 chez Flammarion.

Pendant plusieurs années, il anima deux émissions quotidiennes, ainsi qu'un autre programme, pour lequel il recevait des vedettes de l'étranger dans un grand cinéma de Saïgon, sorte de préfiguration – bien avant l'heure – du « Grand Echiquier ». A la même époque il se lia avec ses confrères correspondants, comme le célèbre Lucien Bodard, ainsi qu'avec Pierre Schoendœrffer, alors cinéaste aux armées et qu'il ne parvint pas à dissuader de se faire parachuter sur Diên Biên Phu alors que la bataille, de même que la guerre, était déjà perdue.

Gardant pour lui la violence de ces années de conflit dans le Sud-Est asiatique, Jacques Chancel en revint, à la fin des années 1950, avec l'impression d'avoir déjà tout appris. Dans son journal qu'il tint quotidiennement depuis l'âge de 15 ans – et qu'il publia beaucoup plus tard –, il écrivait : « J'ai tout connu, tout vécu, tout souffert. Aujourd'hui, avec un peu de suffisance, je me dis que mon existence est finie : j'ai 24 ans. »

L'épisode le plus marquant de ces années indochinoises, survenu en 1952, il ne le révéla que soixante et un ans plus tard, dans La nuit attendra, ainsi intitulé parce qu'il avait cru définitivement perdre la vue. Accompagnant comme correspondant de guerre des troupes de la Légion étrangère, le jeune journaliste se trouvait avec des officiers à bord d'une Jeep qui franchissait un pont lorsque le véhicule sauta sur une mine. Grièvement blessé, il se réveilla à l'hôpital après plusieurs jours de coma. Aveugle. Il lui fallut près d'un an pour, très lentement, sortir de cette « nuit » et recouvrer la vue. Les soldats qui étaient avec lui sont tous morts. « J'ai toujours été handicapé par cette mémoire, j'avais comme une honte et je ne pouvais pas en parler, c'est pour cela que j'ai attendu si longtemps pour le faire », expliqua-t-il en 2013 lors de la parution de son livre.

« RADIOSCOPIE » ET « LE GRAND ÉCHIQUIER »

S'il conserva sa vie durant le sentiment d'avoir été « vieux trop tôt », sa passion pour le journalisme et la radio, sa volonté farouche d'être une « courroie de transmission » étaient pourtant intactes lorsqu'il revint en métropole. Tourné vers l'action comme le lui conseillait son père – « tu seras ce que tu fais », lui disait-il –, il entame une nouvelle vie.

Après quelques années passées dans la presse écrite, notamment à Paris jour et à Télé magazine, il retrouva Radio France, où il entra grâce à Roland Dhordain. L'aventure de « Radioscopie » démarra en octobre 1968. Sur France Inter du lundi au vendredi, de 17 heures à 18 heures, Jacques Chancel recevait des invités. Des anonymes au tout début, puis, très vite, des personnalités. Un indicatif (La Grande Valse, de Georges Delerue), suivi d'un mot, « Radioscopie », prononcé d'une voix chaude, s'installent dans les foyers. En vingt ans et quelque 6 826 émissions, ce sont plusieurs générations d'auditeurs qui ont ainsi été bercées au son d'une écoute attentive, curieuse et bienveillante.


Aux côtés de Marcel Jullian, il participa à la création d'Antenne 2, en 1975. Il y poursuivit une autre aventure, télévisuelle celle-là, lancée trois ans plus tôt sur la deuxième chaîne de l'ORTF. « Le Grand Echiquier », à l'instar d'« Apostrophes », ou des « Dossiers de l'écran », allait devenir l'une des émissions phares d'Antenne 2. Trois heures d'antenne, des décors soignés et personnalisés dans le studio 15 des buttes Chaumont, des invités prestigieux (Brel, Brassens, Montand, Ferrat, Ventura, etc.) installèrent ce rendez-vous hebdomadaire jusqu'au dernier numéro du 7 décembre 1989, organisé autour du chanteur d'opéra Ruggero Raimondi.

DIRECTEUR DE FRANCE 3

Connu du grand public pour sa présence sur les ondes et les antennes, Jacques Chancel affermit également son influence sur le versant institutionnel de l'audiovisuel. En 1989, il arrêta ainsi ses émissions pour devenir directeur des programmes, puis de l'antenne, de France 3. Lorsqu'il quitta France Télévisions à la fin des années 1990, après avoir effectué toute sa carrière sur le service public, ce proche de Nicolas Sarkozy était encore « rattrapé » – selon son mot – par le président de Canal+, Bertrand Méheut, qui le nomma conseiller. C'est dans ce cadre qu'il enseignait encore le métier, il y a peu, aux jeunes recrues d'i-Télé.

Avec Jacques Chancel disparaît une mémoire de l'audiovisuel et de la culture dite « populaire ». « Aimer et faire aimer » – si possible au plus grand nombre – était son credo. Par tous les moyens et médias existants, radio, télévision et livres (il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages), Jacques Chancel a toujours voulu transmettre le fruit de ses rencontres. « Ma chance, disait-il à Florian Zeller, aura été d'avoir une bonne relation avec l'autre. Ça me paraît plus important que d'avoir une bonne relation avec soi-même. »


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