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Thierry Marx, toque engagée

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Le Monde.fr03.09.2014

Thierry Marx, chef exécutif du Mandarin oriental de Paris, en août.
Thierry Marx, chef exécutif du Mandarin oriental de Paris, en août. |  Jean-Francois Robert pour "Le Monde"

Cancre sauvé par sa passion de la cuisine, ce chef étoilé épris de « street food » et d'innovations aime transmettre son amour de la gastronomie à des jeunes en difficulté.

J'ai croisé Thierry Marx pour la première fois en 1991. Il s'appelait Marx, venait d'obtenir une étoile Michelin et officiait chez Régine, à l'hôtel du Cheval-Blanc, face aux arènes de Nîmes. Autant de raisons de lui rendre visite. J'ai oublié les plats mais pas ce petit mec râblé, la boule à zéro, impeccable dans sa veste blanche, qui m'avait enlevé un doute : malgré son patronyme, il n'était pas communiste.

Deux macarons d'entrée

Je l'ai retrouvé dix ans plus tard à un feu rouge sur les quais de la Gironde, à Bordeaux. Un motard casqué de noir s'est rangé le long du taxi. Il a frappé à la vitre, soulevé sa visière et lancé dans un grand sourire : « Rendez-vous à Cordeillan-Bages ! » Et le chef est reparti sur les chapeaux de roue. Il sortait de la maison d'arrêt où il donnait des cours de judo et rentrait cuisiner à Pauillac, dans le Médoc.

C'est en limousine noire avec chauffeur que nous sommes entrés, un lundi de 2013, dans la cour de la prison centrale de Poissy avec à bord une bonbonne d'azote liquide. Rendez-vous avait été pris dès la première heure devant le Mandarin oriental, le nouveau palace parisien dont il est chef exécutif. Deux macarons d'entrée pour son restaurant gastronomique : Sur mesure par Thierry Marx. Le même Marx ­allait former au CAP et au bac pro cuisine des détenus condamnés à de longues peines.

Le gars du 140

Si l'on ajoute à ces étapes un séjour fondateur au restaurant étoilé Taillevent sous la houlette de Claude Deligne, des passages chez des maîtres comme Joël Robuchon et Alain Chapel, des excursions à Sydney, Hongkong, Singapour ou Tokyo, une dizaine d'ouvrages publiés et une participation remarquée à l'émission télévisée « Top Chef », on aura tracé les grandes lignes du CV cuisine de Thierry Marx. Celui qu'on montre à l'embauche, pas celui d'une vie qui, depuis cinquante-deux ans, s'apparente plus à un road-movie qu'à un parcours professionnel.

« Quand on n'est rien, on ne vous accorde aucun crédit dans l'existence. » C'est la première phrase de son livre Comment je suis devenu chef étoilé (Bayard, 2011). Thierry Marx l'a vite constaté au 140, rue de Ménilmontant (Paris 20e), rez-de-chaussée, escalier 15, où il a grandi chez son grand-père. Le « gars du 140 » était classé cancre ou voyou, et ne devait sa survie qu'à son caractère et à ses poings.

Il a détesté l'école, lieu d'humiliation. Lorsqu'il a demandé au conseiller d'orientation de l'aiguiller vers l'école hôtelière, se rappelle-t-il, il lui a répondu : « Ce n'était pas pour toi ». Emigré en banlieue HLM, il fréquente la petite délinquance et s'en sortira grâce aux Compagnons du devoir. Il y rencontre des hommes « exemplaires » qui lui donnent l'envie d'apprendre. Cinq ans plus tard, après son tour de France réussi, le voici reçu « compagnon des devoirs unis ». Il a appris un principe qu'il n'oubliera jamais : « L'exemple est la meilleure preuve de l'autorité. »

Cuisiner c'est partager, c'est toucher le cœur des autres.

Pourquoi s'engage-t-il soudain dans les paras ? Pour épater sa copine, plus âgée ? Pour imiter son oncle, ancien légionnaire ? Toujours est-il que  « les années qui suivent ce coup de tête sont toujours difficiles à raconter ». Elles se passent au Liban. D'abord casque bleu français, puis mercenaire avec les Phalanges chrétiennes du général Aoun. Il en reviendra dévasté par cette haine et cette barbarie qui opposaient les différentes factions. Sauf à l'heure des falafels.  « A Beyrouth, en plein bombardement, des types avaient soudé sur un bidon métallique une plaque où ils chauffaient le pain et grillaient la viande. Toutes les communautés en guerre – les Phalanges, l'armée prosyrienne, Tsahal, les Palestiniens – observaient une trêve tacite pour manger autour de ce brasero improvisé. » Pour Thierry Marx, «  le sens de la cuisine est résumé dans ce souvenir. Cuisiner c'est partager, c'est toucher le cœur des autres. C'est la vie ! »

Il ne faut pas chercher ailleurs les raisons de sa passion pour la « street food », cette cuisine des rues qu'il a arpentées dans le monde entier, de Tokyo à Los Angeles, où voici plus de dix ans il circulait déjà à bord d'un« food truck ». Thierry a tout goûté, tout observé, et il en a conclu que la street food est « la vraie alternative à la malbouffe ».

Elle possède un second avantage : « C'est un puissant moteur d'intégration dans la société. Les Turcs en Allemagne, les juifs tunisiens chez nous puis les Maghrébins, les gens d'Asie du Sud-Est, d'Afrique noire maintenant, tous sont passés par là car tout ce qui passe par la bouche et par le ventre facilite l'échange, et donc l'intégration. » Depuis son atelier de Cuisine nomade à Blanquefort, dans la banlieue de Bordeaux, jusqu'à Cuisine mode d'emploi(s), le centre de formation monté avec la mairie du 20e à Paris, il n'a cessé de se dépenser, en milieu ouvert ou carcéral, pour convaincre des jeunes, laissés sur le bord du chemin, de retrouver une place dans la société en faisant manger les autres.

Quatrième dan de jiu-jitsu

Il a lui-même ramé pour entrer en brigade avant d'être reconnu par une profession où ­celui qui récolte régulièrement des étoiles au Michelin devient forcément quelqu'un. Il n'a pas choisi la voie la plus facile. Persuadé que les progrès de la science ont toujours profité à la gastronomie, il participe à l'aventure de la cuisine moléculaire, « celle de ce siècle utilisant les techniques et les connaissances d'aujour­d'hui  ». Craquant de lentilles au lard ; quiche lorraine liquide ; saucisson virtuel ; sucette de foie gras avec pavot ; ravioles bras croisés ; bar âge de pierre au cacao avec un croquant d'amarante ; spaghettis au ris de veau, cèpes et truffes : c'est création tous azimuts. Chef de l'année 2006 pour Gault & Millau et Créateur de la même année pour la revue Omnivore, il poursuit ses recherches dans son Foodlab avec Raphaël Haumont, physico-chimiste à la fac d'Orsay.

Grâce à la télévision, Thierry Marx est aujourd'hui l'un des chefs français les plus connus. Peu de téléspectateurs savent qu'il est quatrième dan de jiu-jitsu, troisième dan de judo, qu'il pratique le sabre japonais, la méditation, et qu'il cuisine avec des baguettes. Le Japon, où il passe plusieurs mois chaque année, lui a apporté cette sérénité qui lui donne parfois des airs de bouddha sur le plateau de « Top Chef ». Celle d'un homme qui a appris à « marcher sur cette ligne fragile entre l'ordre et le désordre ». Celle d'un cuisinier audacieux qui s'est fixé une mission : transmettre. Celle d'un mec bien.
Retrouvez Thierry Marx au Palais Garnier, le dimanche 21 septembre, de 13 h 30 à 14 h 40.


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