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Général Barrera : « Mes ordres étaient clairs : détruisez les djihadistes ! »

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Publié le jeudi 11 juillet 2013

Le militaire a commandé la brigade Serval au Mali et mené l’offensive dans le nord. Il se confie à L’Opinion et témoigne des conditions de cette guerre. Un document exceptionnel


Général Barrera DR

Les faits - Le général Bernard Barrera, 51 ans, a commandé la brigade Serval durant les premiers mois de l’intervention française au Mali (février-mai 2013). Ce sont ses hommes qui ont reconquis le nord du pays, en détruisant les groupes djihadistes. Ancien chef de corps du 16e bataillon de chasseurs, ce fantassin a servi en Bosnie, au Kosovo, au Tchad et en Côte d’Ivoire. Alors qu’il défilera à la tête de ses troupes sur les Champs-Elysées à l’occasion du 14 juillet, il raconte sa guerre à L’Opinion.

« Nous avons été mis en alerte le 13 janvier »

« Au début de l’année 2013, je commandais la 3ebrigade mécanisée Monsabert, l’une des huit brigades interarmes de l’armée de terre, dont l’état-major est à Clermont-Ferrand. Nous étions, depuis le 28 septembre dernier et pour six mois, dans notre tour d’alerte Guépard, c’est-à-dire que nous devions nous tenir prêt « à décaler », comme on dit dans l’armée, c’est-à-dire prêts à être engagés les premiers si une opération extérieure était déclenchée.

Nous avons été mis en alerte le 13 janvier, deux jours après que les forces spéciales sont intervenues pour stopper l’attaque des colonnes djihadistes. Dix jours plus tard, j’étais à Bamako, avec mon PC (poste de commandement) installé dans un hangar. Nous avons été acheminés par les avions de l’armée de l’air. C’est là que tout a commencé.

Mais, lorsque j’ai pris le commandement de ma brigade, en 2011, je pensais qu’il fallait que l’on fasse autre chose que l’Afghanistan – parce que le type de guerre mené là-bas n’est pas le modèle ultime de l’action militaire. J’ai donc décidé d’entraîner ma brigade, selon les termes que j’employais alors, à « mener des combats offensifs sur une très grande élongation pour détruire un ennemi regroupé ou dilué ». Exactement ce que nous avons fait au Mali, à tel point que mes officiers m’ont demandé ensuite si je savais que nous irions au Sahel ! Ce qui, évidemment, n’était pas le cas : ce n’est qu’un heureux hasard. L’année précédente, toutes les unités de la brigade (5 régiments) sont passées dans les camps d’entraînement et nous avons organisé un grand exercice en terrain libre, dans le département de la Haute-Loire, pour tester nos capacités en matière de commandement et de transmissions.

Lorsque j’arrive au Mali pour prendre le commandement de la Brigade Serval – du nom de l’opération choisi par l’état-major des armées en référence à un petit félin africain – j’ai environ 1 500 hommes sous mes ordres et, rapidement, avec l’arrivée des renforts et des moyens plus lourds, cet effectif atteindra les 3 500. Tous ne viennent pas de la 3ebrigade mécanisée : il y a aussi des troupes de marine, des paras, des légionnaires, des hélicoptères. »

« Nos ordres étaient très clairs : détruire ceux d’en face et aller très vite »

« Ma mission était claire : libérer le pays en localisant et détruisant les djihadistes. La volonté politique, telle que l’a exprimée le président de la République, par exemple lorsque je l’ai rencontré à Tombouctou, et nos ordres étaient très clairs. Détruire ceux d’en face et aller très vite. Pour nous, cette volonté politique était confortable. Nous avons rompu avec nos missions de stabilisation que ce soit en Afrique ou en Afghanistan. Cela a donné une âme, une dynamique, une volonté de victoire !

Je voulais une manœuvre offensive en envoyant le maximum de troupes vers le Nord. L’audace, la prise d’initiative, les manœuvres interarmées et interarmes, l’intégration de tous pour atteindre « un seul but, la Victoire » – comme le disent notre devise et notre emblème. C’est l’esprit de notre brigade, héritière de la 3division d’infanterie algérienne du général de Monsabert, qui a participé à la Libération de la France après le débarquement de Provence en 1944 – au sein de laquelle, notons-le au passage, avait servi le futur champion olympique Alain Mimoun, qui vient de disparaître.

Pour bien comprendre la situation, il faut voir que nous venions de faire un raid de 1 000 kilomètres, les marsouins du 21RIMa en tête, rejoints par les paras du REP. Nous avons été engagés simultanément sur deux fronts : la région de Gao, au nord de la boucle du Niger, à près de 1 000 kilomètres de Bamako, et 500 km plus au Nord encore, le massif des Ifoghas, vers Kidal et Tessalit. A Gao – l’opération Doro – nous combattions le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest) alors que dans les Ifoghas, nous affrontions AQMI (Al Qaida au Maghreb islamique) – c’était l’opération Panthère. Nous étions arrivés dans le nord, à la suite d’opérations aéroportées et de raids blindés sur de longues distances, qui ont impressionné nos alliés. »

« Les combats ont débuté le 19 février, sur les deux fronts »

« Pour nous, les combats ont débuté le 19 février, sur les deux fronts. A Gao, nous avons dû faire face à des « suicide bombers » retranchés dans la ville : au moins une dizaine d’entre eux portait des gilets explosifs. L’ennemi s’est démasqué et nous en avons décelé les contours : c’est ce que nous souhaitions, parce que nous ne voulions pas d’une campagne où l’on aurait reconquis le Mali sans tirer un coup de feu. Notre but était de les détruire.

Les Tchadiens – qui combattaient à nos côtés – étaient arrivés dans le nord (Ifoghas) le 19 et ils ont constaté que l’ennemi était bien là et qu’il acceptait le combat, retranché dans un massif où ils étaient depuis une dizaine d’années. Ils avaient eu le temps d’aménager des grottes, des dépôts de munitions ou de ravitaillement. Plusieurs centaines de combattants d’AQMI y étaient. Le 22 février, les Tchadiens ont donc décidé d’attaquer et ils ont subi de lourdes pertes (26 morts et 70 blessés), tout en infligeant des coups sévères aux katibas d’AQMI. Il nous fallait agir vite : je suis arrivé avec mon PC à Tessalit le 24 et nous avons lancé l’attaque deux jours plus tard. J’avais besoin d’appui, notamment de deux hélicoptères de combat Tigre et deux obusiers de 155 mm Caesar qui sont montés par la piste : 500 km en 48 heures. A peine arrivés, ils ont ouvert le feu ! »

« Le système D à la française et un peu l’impression de réinventer les taxis de la Marne »

« La bataille principale s’est déroulée dans la vallée de l’Amattetaï qui s’étend d’Est en Ouest, entourées de petites collines. C’était le fief des djihadistes pour une raison simple : c’est le seul endroit de la région où il y a des puits d’eau toute l’année.

Avec les paras, mon idée était la suivante : les Tchadiens avanceraient depuis l’Est pour rejoindre les blindés du 1er RIMa venant de l’Ouest. Et les parachutistes, s’infiltrant par le Nord, couperaient la vallée en deux, pour prendre les djihadistes à revers. C’est ce que nous appelons une manœuvre enveloppante. L’affaire s’est jouée sur des distances importantes, de l’ordre de 80 à 100 km. Il fallait transporter les paras qui n’avaient pas de véhicule. J’ai décidé d’utiliser tous les camions de la logistique et nous avons mis des sacs de sable sur leurs plates-formes, qui ont servi de siège aux paras ! Vous imaginez dix heures de route dans ces conditions, en plein désert, sous le soleil, en gilets pare-balles et casques lourds… Le système D à la française et un peu l’impression de réinventer les taxis de la Marne.

Les combats de l’Amattetaï ont duré quinze jours, dont une semaine très dure. Ce fut un vrai combat interarmes, avec l’emploi des blindés, de l’artillerie, des sapeurs pour déminer, des hélicoptères et l’appui des avions de l’armée de l’air. On a fait ce que l’on apprend dans les camps de Champagne, à Mourmelon ou à Mailly !

Dans le même temps, les combats se poursuivaient dans la région de Gao, avec des infiltrations du Mujao. On a donc décidé d’aller les chercher là où ils étaient, dans les oueds, au nord et au sud de la ville, avec des raids blindés en utilisant les nouveaux VBCI (véhicule blindé de combat d’infanterie) du 92RI, appuyés par les sapeurs, l’artillerie, les hélicos et la chasse.

« La colle de nos rangers n’a pas résisté aux fortes chaleurs »

« Au total, sur les deux fronts, nous pensons avoir « neutralisé » de l’ordre de 600 combattants ennemis, au cours de 55 opérations en quatre mois. Ce sont des combattants courageux, même si nous ne partageons pas les mêmes valeurs. Par exemple, ils utilisent des enfants pour porter l’eau ou les munitions, des gamins de 12 ans qu’ils avaient enlevés à leurs parents…

Sur le terrain, les conditions étaient dures, pour tout le monde, du 2 de classe au général. Nous étions en limite du soutien logistique. Le transport des munitions et de l’eau était prioritaire, par avion et convois routiers. Le bataillon logistique a fait des merveilles.

Rien que pour l’eau, il en faut dix litres par hommes et par jour. Nous devions donc acheminer vingt tonnes d’eau tous les jours à Tessalit ! Et cela ne suffisait pas pour se laver… J’avais promis quatre choses à mes hommes : un oignon par semaine, parce que nous n’avions ni fruits ni légumes frais et qu’il fallait des vitamines, en plus de nos rations. Une douche par semaine, avec de l’eau dans des bouteilles. Cinq minutes de téléphone satellitaire toujours par semaine, pour joindre les familles. Et une bière au retour du combat dans les vallées. C’est bon pour le moral : le général de Saint-Quentin a fait vider les stocks de Bamako pour nous les envoyer !

Nous avons eu des problèmes avec nos rangers [chaussures de combat, NDLR]. La colle n’a pas résisté aux fortes chaleurs et les semelles se détachaient. On a mis du chatterton, et j’ai fait déchausser tous ceux qui n’en avaient pas besoin, dont moi, pour les donner aux combattants. D’autres rangers nous ont été expédiés mais l’avion a été bloqué quelques jours par les chutes de neige en France !

Les conditions climatiques étaient éprouvantes : 45 °C tous les jours avec des pointes à plus de 50 °C. Nos soldats portent chacun plus de trente kilos d’équipement. Honnêtement, c’est un sport de jeune ! Ces conditions provoquent des tendinites, on a les mains qui gonflent et nous avons été très touchés par les gastros. Et bien sûr, il y avait les combats : ma brigade a eu quatre tués (sur six pour l’ensemble de l’opération) – trois par balles et un sur une mine, ainsi qu’une cinquantaine de blessés de guerre. Au total, nous avons eu environ 300 blessés, dont la moitié a dû être évacuée. Il y a eu, par exemple, beaucoup d’entorses. »

« On a eu d’excellents dossiers sur l’ennemi. On les écoutait : ils nous appelaient les “chiens” ! »

« S’il faut faire un bilan, le Retex (retour d’expérience) comme nous disons, je dirais que nous avons d’abord un bon outil de formation. Nos soldats et nos cadres sont bien formés, bien entraînés, bien commandés et très motivés. C’est aussi le résultat de vingt ans d’engagements extérieurs. Il y a un vrai savoir-faire : nos camarades aviateurs n’ont pas mis une bombe à côté de la cible. Nous n’avons pas eu de pertes collatérales, pas d’accidents mortels. Surtout, il y a l’endurance et le courage des hommes au combat, l’intelligence et la réactivité de nos PC dans la conception et la conduite des opérations.

Nous avons aussi de bons équipements. L’hélicoptère de combat Tigre est une merveille. Le canon Caesar a fait un carton. Le VBCI, avec ses huit roues, passe vraiment partout. Et les troupes ont apprécié qu’il soit équipé d’air conditionné. Car après trois jours dans un VAB non climatisé, avec 50 °C à l’intérieur, nos gars étaient démontés… Autre point fort : le renseignement tactique. On a eu très vite d’excellents dossiers sur l’ennemi. On les écoutait : ils nous appelaient les « chiens » !

Nous avons été aux côtés des Tchadiens, qui se battent à l’ancienne, selon la tactique des rezzous. Quant aux soldats maliens, ils se sont bien mieux battus qu’on ne le croit souvent. Mais le plus impressionnant était l’accueil de la population, qui nous a été partout très favorable. Les gens nous disaient où était l’ennemi et nous accueillaient en libérateurs. Comme la division de Monsabert dans la France de 1944… »

Par Jean-Dominique Merchet, Journaliste 

Traduction

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