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Les officiers de notre armée jaune

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Publié le 02/11/2012

IL Y A CENT ANS, DANS LE FIGARO - Tous les week-ends, Le Figaro explore ses archives de l'année 1912. Le 29 octobre, un chroniqueur militaire s'indigne du projet de confier le commandement de troupes basées en Indochine à des «Jaunes».

Retrouvez chaque week-end sur lefigaro.fr un fragment de l'actualité d'il y a un siècle, tel que publié à l'époque dans nos colonnes. Une plongée dans les archives du journal pour revivre les événements historiques, culturels ou sportifs… comme si vous y étiez.

Article paru dans Le Figaro du 29 octobre 1912.

Un tirailleur annamite, vers 1915. (Illustration tirée du livre  L'Indochine française , de Paul Doumer)

Un tirailleur annamite, vers 1915. (Illustration tirée du livre L'Indochine française, de Paul Doumer)

Les cadres de notre armée indigène indochinoise, voilà le côté vraiment délicat, difficile, presque insoluble, de la question. En ce qui concerne les troupes, nous avons déjà fait, avec les tirailleurs tonkinois, avec les artilleurs auxiliaires, et surtout avec les milices, de fort longues et utiles expériences. Mais tous ces contingents indigènes avaient pour chefs des officiers et des sous-officiers français, les meilleurs que l'on pouvait trouver, et qui les encadraient énergiquement.

Or, le général commandant les troupes de l'Indochine préconise, pour l'armée indigène qu'il veut créer, des cadres indigènes, comme sous-officiers et comme officiers, et il ne prévoit de cadres français qu'à la tête des grosses unités, bataillon, escadron ou régiment, et dans les états-majors et le haut commandement. Et ici, nous sautons, à pieds joints et éperdument, dans l'inconnu.

Très modestement, mais très nettement je dois le dire: j'ai conduit au feu, en Indochine, des soldats de la légion étrangère, puis des troupes mixtes, puis des indigènes encadrés de Français. En toute conscience, vers cet inconnu qu'on nous propose, je ne ferais pas le premier pas.

Est-ce à dire qu'un Annamite, pris tout jeune et solidement instruit à la française, n'est pas capable de faire un officier, et même un officier français, c'est-à-dire le meilleur de tous? Si, parfaitement. Et il y a des exemples. Au risque de blesser leur réserve toute mandarinale, je citerai le commandant Chan, qui sort de Saint-Cyr, qui s'est acquis une belle réputation en Afrique, et qui est en 1912 à l'état-major du gouvernement de Paris; et je citerai aussi le charmant et héroïque lieutenant Dohu, devenu célèbre comme aviateur au Maroc. Ce sont deux Annamites de race pure et de sang sans mélange. Je connais certes, dans l'armée française, d'aussi beaux officiers qu'eux: je ne crois pas en connaître de plus beaux.

Mais ils sont de bons chefs parce qu'ils ne sont pas dans leur pays natal, et qu'ils ne commandent pas à leurs compatriotes.

Et ces deux parfaits officiers, aptes à toutes les besognes, n'en craignent absolument qu'une, que d'ailleurs on n'aura pas la maladresse de leur confier: celle d'aller commander en Indochine une troupe de leurs compatriotes d'origine, les indigènes, ou de leurs compatriotes d'élection, les Français.

Et cela se comprend de reste. Le troupier français, en Indochine, n'est pas élevé à considérer, moins encore, à estimer l'indigène. Et son raisonnement simpliste -que rien ni personne ne cherche à corriger- est que le premier des Jaunes vient tout de suite après le dernier des blancs. Qu'un Annamite, de race et de sang purs, surgisse soudain, pourvu des galons et de l'autorité d'un officier français, qu'adviendra-t-il? Les officiers français, qui sont disciplinés et courtois, et qui savent tout le prix de la valeur intellectuelle, traiteront, avec l'amitié et la sympathique déférence qui conviennent, l' «officier» de sang jaune. Mais le troupier blanc? Ce troupier qui obéit facilement, en France, à un officier pourvu de galons, quelle que soit sa couleur, et parce qu'il a des galons, obéira- t-il, du même cœur, à un officier jaune, dans un pays jaune, et sous le regard des Jaunes? On me permettra d'en douter.

Mais, dira-t-on, si cet officier jaune n'a que des Jaunes à commander? Et bien! ce sera encore, j'ose l'affirmer, bien pire. Il obtiendra certainement, et avec enthousiasme, l'obéissance des autochtones. Mais j'entends d'ici les réflexions narquoises et insolentes, qu'un tel spectacle inspirera à la foule, «Comment, dira-t-elle, voici l'un des nôtres devenu officier, c'est-à-dire supérieur à des soldats et à des sous-officiers français, et pouvant toujours exiger d'eux le respect et l'obéissance, et nous avions crainte de ces soldats? Mais puisque plusieurs d'entre nous leur sont supérieurs, combien peuvent le devenir? Et combien davantage leur sont égaux? Nous avions bien tort d'avoir peur, et de les croire si savants et si forts.»

On devine la conclusion que, au jour possible toujours, d'un mécontentement politique, les Annamites pourront tirer -et certainement tireront- d'un tel raisonnement, justifié par une telle situation. Or, je le demande en toute franchise, sommes-nous en mesure -en mesure militaire et sociale- de supporter victorieusement cette conclusion, et les actes qu'elle pourra inspirer? Qui donc osera répondre affirmativement à cette interrogation? À coup sûr, ce n'est pas moi ; ce n'est très probablement pas le général Pennequin lui-même.

En vérité, on peut élargir les anciennes conventions de l'encadrement étroit des Jaunes, et au pourcentage des Blancs en armes vis-à-vis des Jaunes en armes; mais le vieux principe, qui fut toujours à la base de nos institutions militaires lointaines, demeure ici intangible: il ne doit se présenter, dans la vie publique, et dans l'armée moins encore qu'ailleurs, aucune circonstance -aucune- où un Jaune puisse être, en Indochine, officiellement appelé à commander un blanc, et un blanc à obéir à un Jaune, au nom de nos lois et de notre discipline.

J'ajoute, à tout cela, une considération du domaine moral, qui a bien aussi sa valeur: nous n'avons pas, nous n'aurons jamais, vis-à-vis des Annamites, la supériorité du nombre ni l'avantage de l'acclimatement et de l'endurance. Mais nous compensons largement ces infériorités par notre science militaire, nos canons, nos inventions modernes et par cette façon de mystère qui s'attache encore à ces inventions.

Or, quand nous aurons, dans nos écoles, créé des officiers indigènes d'infanterie et d'artillerie, nous leur aurons dévoilé tous les secrets de notre supériorité; et nous aurons nous-mêmes dissipé le mirage merveilleux de nos poudres sans fumée, de notre TSF et de notre aviation. Et dès lors, notre supériorité même sera perdue. Et nous tomberons d'autant plus bas que nous tomberons de plus haut. Un dieu, quand c'est un dieu déchu, ne vaut plus même un homme.

J'en ai dit assez pour montrer le péril où l'on s'engage. Et je n'ai pas la place pour développer d'autres arguments tout aussi prenants et vainqueurs, et dans le même sens.

Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait rien à faire. Il y a, au contraire, beaucoup à faire et beaucoup à perfectionner. Le recrutement régional, l'instruction des cadres indigènes inférieurs, la création d'écoles pour les enfants de troupe, la mise en valeur des contingents annuels dont je parlais l'autre jour, voilà de quoi, et pendant longtemps, suffire à notre ardeur. Mais prenons bien garde de ne jamais porter, dans nos réalisations militaires, nos théories indigènes d'assimilation, d'association, de collaboration, et d'égalisation. Ces théories n'engendrent, en France, que d'éloquentes, et verbeuses, et vaines rhétoriques: elles engendreraient, en Indochine, les dangers les plus graves et les plus immédiats.

Par Albert de Pouvourville


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