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Légionnaire toujours...

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L’honneur d’un commandant

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Le 28 novembre dernier, Hélie de Saint Marc a été élevé, par le président de la République, à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. Nous avons pensé que nos lecteurs seraient heureux de lire le discours qu’a prononcé, à cette occasion, le général de corps d’armée Bruno Dary, gouverneur militaire de Paris.

Mon ancien, Mon commandant, et, si vous le permettez en ce jour exceptionnel, mon cher Hélie !

Nous vivons à la fois une journée exceptionnelle et un moment paradoxal : qui d’entre nous en effet n’a pas lu un seul de vos livres, sans avoir eu, la dernière page tournée, un goût amer dans la gorge ?

La guerre est toujours une tragédie et vos livres nous rappellent que l’histoire est souvent une tragédie ; ils m’ont ramené un siècle plus tôt, quand le capitaine de Borelli, officier de Légion, alors au Tonkin, écrivait à ses hommes qui sont morts : Quant à savoir, si tout s’est passé de la sorte, Si vous n’êtes pas restés pour rien là-bas, Si vous n’êtes pas morts pour une chose morte, Ô, mes pauvres amis, ne le demandez pas ! Et pourtant, aujourd’hui, il n’est pas besoin d’interroger tous les présents pour affirmer que tous sans exception sont très heureux de vivre ici ce moment exceptionnel ; ils sont heureux pour notre pays, incarné par sa République et son Président, qui vient de vous décorer ; ils sont heureux pour la France, qui montre aujourd’hui qu’elle sait à la fois pardonner et reconnaître chacun selon ses mérites ; ils sont heureux pour vous, pour l’honneur qui vous échoit, pour le témoin que vous êtes, pour les mystères que vous avez soulevés, pour le courage que vous avez toujours montré !

Alors, permettez-moi d’être leur porte-parole et d’essayer d’exprimer tout haut ce que beaucoup ressentent intérieurement. Je parlerai au nom de ceux qui vous entourent et de ceux qui auraient aimé être là ; je parlerai au nom de tous ceux qui vous ont précédé, ceux qui sont partis, au hasard d’un clair matin, dans les camps de concentration, dans les brumes des calcaires tonkinois ou sous le soleil écrasant d’Afrique du Nord.

Comme je ne peux les citer tous, j’évoquerai simplement le nom des trois derniers, qui nous ont quittés récemment, le commandant Roger Faulques, héros de la RC4, le major Otto Wilhelm, qui eut l’honneur de porter la main du capitaine Danjou en 2006 à Camerone, et puis le caporal Goran Franjkovic, dernier légionnaire à être tombé au combat, voici quinze jours, en Afghanistan.

Parmi ceux qui se réjouissent aujourd’hui avec vous, je veux citer en premier lieu les légionnaires, vos légionnaires, ceux d’hier qui ont marqué toute votre vie et ceux d’aujourd’hui qui étaient sur les rangs et sous les armes durant la cérémonie.

Vous avez dit et écrit que vous aviez vécu avec eux, les heures les plus fulgurantes de votre vie !

Eh bien, ils sont tous là, les petits, les sans-grade, les sans-nom, les oubliés de l’histoire !

Ceux dont les noms ne figureront jamais sur un monument aux morts !

Ceux qui montent à l’assaut sans hésitation, ceux qui se battent la peur au ventre, mais le courage dans le coeur, et ceux qui sont tombés sans un cri !

Ils ont bâti la gloire de la Légion et de notre armée avec leur peine, leur sueur et leur sang.

Parmi eux, comment ne pas évoquer vos légionnaires du 1er REP, ceux des champs de braise et des brûlures de l’histoire, ceux qui, une nuit d’avril 1961, vous ont suivi d’un bloc parce que vous étiez leur chef ! Quand j’exerçais le commandement de la Légion étrangère, nous avons évoqué plusieurs fois ensemble cette aventure, votre sentiment et votre peine à l’égard de la Légion d’avoir entraîné des soldats étrangers dans une affaire française ; car la Légion, elle aussi, a payé le prix fort !

Avec les légionnaires, figurent aussi leurs chefs, vos camarades, vos frères d’armes, ceux de tous les combats, ceux du 2e BEP de Raffalli, du 1er REP de Jeanpierre, et puis Hamacek, Caillaud et votre cher et fidèle ami, le commandant Morin, camarade de lycée et compagnon de déportation.

Ils ont partagé vos joies, vos peines, vos craintes, vos angoisses, vos désillusions et vos espérances. Sont heureux aujourd’hui, les jeunes officiers, ceux de la quatrième génération du feu, ceux qui ont longtemps monté la garde face au pacte de Varsovie, puis, une fois la menace disparue, une fois la guerre froide gagnée, sont repartis dans de nouvelles aventures, en opérations extérieures, imprégnés de vos écrits, de votre expérience, de vos interrogations, de vos encouragements et de vos messages d’espoir ; ils sont repartis dans des circonstances bien différentes, mais, comme vous, ils ont toujours cherché à servir de leur mieux, guidés par leur devoir et leur conscience ! Et puis, parmi ceux qui se réjouissent, il y a ceux qui, un jour dans leur vie, ont dit « non », fatigués des scènes d’horreur, des années d’occupation et des humiliations répétées.

Contre toute logique, contre l’air du temps, contre l’attrait du confort et la sécurité du lendemain, ils ont dit non et ils ont assumé leur décision en mettant leur peau au bout de leur choix ; dans ce long cortège, Antigone a montré le chemin, d’autres ont suivi et habitent encore ici, dans l’aile opposée des Invalides, celle d’Occident ; ce sont les compagnons de la Libération, vos frères d’armes de la Seconde Guerre mondiale, venus de partout et de nulle part et qui, comme vous ont dit non, quand ils ont vu la France envahie.

Se réjouit aujourd’hui avec vous la foule silencieuse de ceux qui ont connu la souffrance dans leur corps, dans leur coeur ou leur âme ; il existe un lien mystérieux, invisible, profond, indélébile qui unit ceux qui ont souffert. La marque de la douleur vous confère cette qualité de savoir regarder la vie autrement, de relativiser les échecs, même importants, de rester conscients que tout bonheur est fragile, mais aussi de savoir apprécier les joies simples de la vie, le regard d’un enfant ou d’un petitenfant, le sourire d’une femme, la fraternité d’armes des camarades, l’union des âmes des compagnons.

Vous rejoignent aujourd’hui dans l’honneur qui vous est rendu, ceux qui, comme vous, ont connu la prison, la prison qui prive de liberté, et surtout la prison qui humilie, isole, brise, rend fou et détruit l’être dans le plus profond de son intimité ; comment ne pas évoquer ce mineur letton du camp de Langenstein, prisonnier anonyme et qui vous a sauvé la vie ?

Entre eux aussi, il existe un lien mystérieux : je me souviens de ce jour de septembre 1995, lorsque je vous ai accueilli au 2e REP, à Calvi, je vous ai présenté le piquet d’honneur, et au cours de la revue, alors que vous veniez de vous entretenir avec plusieurs légionnaires, vous avez demandé, avec beaucoup de respect et de pudeur, à l’un d’eux : « Mais, si ce n’est pas indiscret, vous n’auriez pas connu la prison ? » Et, malgré son anonymat, il vous répondit que c’était bien le cas…

Et puis, parmi la cohorte immense, il y a ceux qui croyaient au ciel et ceux qui n’y croyaient pas, tous ceux qui ont été ébranlés dans leur foi et leurs certitudes, pour avoir vu, connu et vécu l’horreur ; ceux qui ont douté qu’il pût exister un Dieu d’amour, pour avoir hanté les camps de la mort, qu’il pût exister un Dieu de fidélité, pour avoir dû abandonner un village tonkinois qui avait cru à votre parole, ou qu’il pût exister un Dieu de miséricorde, pour avoir été victime de parjures.

Et pourtant, au soir de votre vie, vous restez persuadé que rien n’est inutile et que tout est donné, que si le passé est tragique, l’avenir est plein d’espoir, que si l’oubli peut envahir notre mémoire, le pardon ne pourra jamais assaillir notre coeur ; c’est ce que vous avez appelél’Aventure et l’Espérance.

M’en voudrez-vous beaucoup si, parmi ceux qui se réjouissent en ce jour, je parle aussi des femmes ?

Celles que l’on évoque souvent dans nos chants de légionnaires, Eugénie, Anne-Marie, Véronika ; celles dont les prénoms ont servi à baptiser les collines de Diên Biên Phû ; celles qui ont toujours tenu une place particulière dans votre vie de combattant et d’homme de lettres ; celles dont la beauté et le charme ne vous ont jamais laissé indifférent. Je me permettrai d’évoquer la première d’entre elles, Manette, qui, comme elle s’y était engagée devant Dieu et les hommes, vous a suivi pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Elle et vos quatre filles furent à la peine ; il est bien normal qu’aujourd’hui elles soient à la joie !

Enfin et au-dessus de tout, ceux qui se réjouiront sans doute le plus, même si leur pudeur ne le leur permet pas, ce sont les hommes d’honneur ! Car l’étoile qui vous a guidé dans toute votre vie restera celle de l’honneur, puisque vous lui avez tout sacrifié, votre carrière, votre famille, votre renommée, votre avenir et vos lendemains ! Et aujourd’hui, cet honneur vous est officiellement reconnu, car la France, dans sa profonde tradition imprégnée de culture chrétienne, a su pardonner et même plus que cela, elle a reconnu votre sens de l’honneur.

Avant de conclure, vous me permettrez de citer ce général, qui, au cours d’un des procès qui suivit la tragédie algérienne, déclara : « Choisissant la discipline, j’ai également choisi de partager avec la nation française la honte d’un abandon ! Et pour ceux qui, n’ayant pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle, l’histoire dira peut-être que leur crime est moins grand que le nôtre ! »

Aujourd’hui, cinquante ans plus tard, à travers l’honneur qui vous est fait, il semble que l’histoire soit sur le point de rendre son verdict !

Mon ancien, vous arrivez aujourd’hui au sommet de votre carrière, militaire et littéraire ; mais comme vous le dîtes souvent, vous êtes aussi au soir de votre vie, à l’heure où l’on voit les ombres s’allonger. Tous ceux qui sont là sont heureux d’être auprès de vous sur ce sommet ; et ce sommet n’est pas qu’une allégorie ! Ce sommet est bien concret ; permettez-moi de l’imaginer en Corse : toutes vos sentinelles du soir sont là, autour de vous, admirant le soleil couchant ; comme partout en Corse, le paysage est sublime, le spectacle intense ; la nuit s’est répandue dans la vallée, le soir monte et l’on voit s’éclairer peu à peu les villages et leurs églises, les cloches des troupeaux tintent dans le lointain et l’on admire le soleil qui disparaît lentement derrière l’horizon dans le calme et la paix du soir.

Il va bientôt faire nuit et chacun de ceux qui sont là, qui vous estiment et qui vous aiment, a envie de fredonner cette rengaine, désormais entrée dans l’histoire : « Non, rien de rien ! Non, je ne regrette rien ! »


Traduction

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