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Quand la BD vous fait (re)découvrir l'histoire

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"Le tirailleur", de Pietro Macola et Alain Bujak

"La France a oublié les tirailleurs". Celui qui prononce ces mots, c'est Abdesslem. C'est à Dreux, dans une résidence sociale, que l'a rencontré Alain Bujak, le scénariste de cet album. Abdesslem approche alors de ses 90 ans et cela fait "déjà six ans [qu'il vit] ici, loin de [sa] femme et de [ses] petits-enfants, seul." S'il admet que sa "mémoire [lui] joue des tours", "il y a des choses [qu'il] n'oublie pas". Ce sont ces choses que nous font partager Alain Bujak et Piero Macola ; ces choses que, "bientôt, plus personne ne pourra raconter" (gageons que les livres seront un rempart contre l'oubli !).

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"Le tirailleur", de Pietro Macola et Alain Bujak (Futuropolis)

"Le Tirailleur" a tôt fait de capter l'entière attention du lecteur. Les souvenirs d'Abdesslem tels qu'ils sont ici convoqués, remontent à 1939 ; cette année-là, sa vie prend un tournant décisif. Alors que, jeune berger, il observe un camion (le premier qu'il voit de sa vie !), il se fait embarquer de force dans ledit camion par des soldats français. Ce jour-là, Abdesslem était seulement parti chercher du pétrole au zouk, à une vingtaine de kilomètres de chez lui. Jamais il n'aurait pu avoir l'idée, en quittant sa famille le matin, qu'il ne la reverrait que trois ans plus tard. Le voilà alors engagé, intégré au 4e RTM (régiment des tirailleurs marocains). "Je pense que j'étais fier de mon uniforme", analyse Abdesslem, devenu octogénaire. La suite ? Le jeune Marocain combattra – et sera fait prisonnier – en France, participera à la libération de l'Italie et prendra de nouveau les armes en Indochine (où il restera deux ans)... Jamais son avis ne lui sera demandé ! Il n'aspire rapidement qu'à retrouver sa famille et redevenir berger.

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(Cliquer sur les images pour les agrandir)

En 1951, Abdesslem décide finalement de définitivement quitter l'armée, mais son lieutenant lui explique que trois années supplémentaires lui donneront droit à une retraite militaire : comment refuser un revenu qui permettrait à lui et à sa famille de mieux vivre ? 1956, fin du protectorat de la France sur le Maroc. "En Algérie éclate la guerre pour l'indépendance. Dans ce contexte, on décide d'évaluer les retraites militaires en fonction du niveau de vie du pays. Sans doute, dans les bureaux de l'administration de la République, on a retenu que les soldats 'indigènes' vivent de trois fois rien. Leurs pensions sont donc gelées et il n'est pas prévu de les réévaluer selon le coût de la vie." Comment vivre avec si peu ? Quand il apprend, alors rattrapé par le besoin d'argent, qu'il a droit à une allocation vieillesse à condition de vivre – misérablement – neuf mois par an en France, Abdesslem prend la décision de quitter sa famille et de s'installer à Dreux. Tant de sacrifices, pour si peu de considération, et une pension misérable.

L'histoire d'Abdesslem est racontée et mise en images avec beaucoup de délicatesse et de pudeur. Une certaine prise de distance qui n'empêche en rien l'empathie. Le vieil homme raconte, sans s'attarder sur les détails, sans trop évoquer ses états d'âme. Il offre comme un survol de sa vie, un témoignage qui a la force de sa simplicité. Essentiel. Un reportage photographique d'Alain Bujak au Maroc vient clore l'album. Il y a retrouvé Abdesslem et sa famille aujourd'hui, ce dernier ayant finalement renoncé à sa pension pour vivre avec les siens.

"La Nueve", de Paco Roca 

Là encore, des combattants oubliés, et là encore, un ancien soldat qui, de nos jours, se confie. Miguel a 94 ans et "la plupart de [ses] amis sont morts, sans aucune reconnaissance." Le 24 août 1944, les premiers soldats de l'armée de libération à entrer dans Paris n'étaient pas français, ni américains, mais espagnols. Des combattants républicains contraints à l'exil après leur défaite face à Franco en 1939, qui ont poursuivi leur lutte contre le fascisme au sein de forces françaises libres. Parmi ces Espagnols : Miguel. C'est son histoire, et, plus largement, l'histoire de la Nueve que raconte Paco Roca dans cet album.

Le récit commence dans le port d'Alicante, aux derniers jours de la guerre d'Espagne. Miguel embarque pour Oran, en Algérie française. Après avoir lutté contre le fascisme en Espagne, il pensait – comme de nombreux autres – y être accueilli à bras ouverts. Ce fut loin d'être le cas : le gouvernement français venait de légitimer le gouvernement de Franco et n'avait, de fait, aucunement l'intention de les accueillir. Bateau à quai, interdiction de débarquer. Miguel passera pratiquement un mois à bord, avant que le choix ne soit laissé aux hommes : le retour en Espagne, la Légion étrangère ou les camps de travail. C'est cette dernière option que choisit Miguel ; trois ans dans les camps, les pires années de sa vie.

La Nueve - couv BD

"La Nueve", de Paco Roca (Delcourt)

Libérés lors du débarquement allié au Maghreb, les Espagnols intègrent l'armée de De Gaulle. À eux seuls, ils composent alors l'effectif (146 sur 160) de l'une des compagnies de la 2e division blindée du général Leclerc, "La Nueve" (la neuvième compagnie). Ici, Miguel prend soin de donner des détails : "Le plus terrible avec l'artillerie, c'est que tu entends le coup partir, mais tu ne sais jamais où il va tomber. Si tu entends le sifflement de l'obus, c'est qu'il n'est pas pour toi. Quand c'est pour ta gueule, tu ne l'entends pas venir. Le silence et c'est fini pour toi."

L'homme raconte avec précision les différentes étapes de sa vie de soldat, jusqu'à l'entrée dans Paris, la Libération. "Ce qui nous a vraiment fait de la peine, c'est que le Général de Gaulle ait oublié le rôle joué par tous les étrangers dans la lutte pour la France libre. Espagnols, Polonais, Italiens et quelques pauvres Tchadiens (...) D'une certaine façon, nous sommes tous, équitablement, des oubliés de l'histoire de France officielle. Mais nous, les Espagnols, nous étions les seuls à ne pas avoir un endroit où rentrer, après la victoire." Aucune aide ne leur sera en effet apportée, pour reprendre la lutte contre le franquisme.

Des regrets, Miguel en a, bien sûr : "Avec les années, la haine et le désir de vengeance s'étant éteints, je regrette certains de mes actes (...) Mais si c'était à refaire, je le referais pour barrer la route au nazisme." Dans "La Nueve", l'auteur se met en scène, au présent, discutant avec Miguel. Il est ainsi touchant d'observer la façon dont leur relation évolue, comment le vieil homme plutôt réticent, au départ, à l'idée de témoigner, se confie finalement avec sincérité et vivacité ; nous apprenant énormément de choses. Présent, passé, à chaque époque sa personnalité graphique ; un système assez classique qui fonctionne ici particulièrement bien et permet une grande fluidité dans la lecture. Jamais perdu, le lecteur ferme le livre avec une envie : dire merci à Miguel. À Paco Roca aussi.

Sonia Déchamps  |  Publié le 14.05.2014 à 09H15, mis à jour le 14.05.2014 à 11H50


Traduction

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