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Récit : une radio libre française dans la guerre d’Afghanistan

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16/09/2013

Le journaliste Raphaël Krafft est devenu capitaine dans la Légion étrangère pour animer une radio communautaire dans la vallée de Surobi, en Afghanistan. Une expérience exceptionnelle de liberté sur les ondes, qui s’est terminée en « énorme gâchis ». Il la raconte dans un livre captivant.

La Légion étrangère à Tora, base avancée dans la vallée de Surobi, Afghanistan, en 2009. (Jerome Delay/AP/SIPA)

Raphaël Krafft ne fait jamais du journalisme comme les autres. Les riverains de Rue89 ont déjà pu lire son récit d’un voyage en Syrie ... en vélo, et, de nouveau sur deux roues, un tour de France pré-électoral l’an dernier.

On le retrouve cette fois en Afghanistan, avec l’uniforme de la Légion étrangère, à animer une radio communautaire au coeur de la guerre. Il raconte cette expérience dans un livre captivant, « Captain Teacher, une radio communautaire en Afghanistan ».

Avant de laisser un commentaire antimilitariste pavlovien au pied de cet article (c’était, je l’avoue, mon réflexe initial en commençant le livre...), écoutez son histoire étonnante, et triste.

Fort d’une grande expérience radio sur France culture, Raphaël Krafft est arrivé en Afghanistan en 2009 -après avoir dû s’engager dans l’armée- pour monter une radio couvrant la vallée de Surobi, à une cinquantaine de kilomètres de Kaboul, où est basée la Légion étrangère française, dans le cadre de la force internationale de l’Otan.

Il ne s’agit ni d’un « Good Morning Surobi » destiné à égayer la vie des bidasses à l’autre bout du monde, comme dans le film éponyme sur le Vietnam, ni, surtout, d’une radio de propagande comme le faisait par ailleurs le département des « opérations militaires d’influence » de l’armée française en Afghanistan.

Radio Surobi, c’est un peu l’esprit d’une radio libre au coeur d’une guerre qui a perdu son sens en route.

Une histoire bien française

Comme le résume bien le préfacier du livre, François Sureau :

« C’est l’histoire de cette radio qu’il raconte, une histoire triste, belle et bien française : le dévouement, l’inventivité du petit nombre, l’engagement et la passion face à la bureaucratie et aux lâchetés de tous ordres, et pour finir l’échec après que la Légion étrangère a quitté la vallée, puis l’armée française l’Afghanistan ».

Le plus surprenant, pour une personne extérieure à l’armée et spontanément méfiante, c’est d’apprendre que cette radio a été voulue par le chef du contingent de la Légion perdu dans cette vallée afghane, le colonel Durieux, dans un esprit ainsi résumé par l’un de ses officiers, le capitaine Negroni, vétéran bourru mais amical de la Légion (il a « sauté sur Kolwezi “ dans les années 70) :

‘Il ne s’agit pas de faire du Radio Paris (station de propagande nazi pendant l’occupation allemande, ndlr] ici’.

Le risque du direct

La radio sera même dotée d’une Charte que Raphaël Krafft rédige en s’inspirant de celles des radios communautaires dans le monde, en y ajoutant même la possibilité pour le personnel de se syndiquer, histoire de conforter sa réputation (affectueuse) de ‘gauchiste’ auprès des Légionnaires...

Avec une équipe très réduite d’Afghans improvisés animateurs de radio, Raphaël Krafft va faire une vraie radio,

  • avec le souffle -et la prise de risque- du direct en pashtoun, y compris avec des appels d’auditeurs ;
  • il forme son équipe aux techniques du reportage et les envoie sur le terrain ;
  • il fait venir des poètes traditionnels afghans réciter leurs textes en direct en pashtoun sans traduction préalable ;
  • il ouvre une boîte aux lettres au centre de la ville de Surobi qui recevra plus de seize mille lettres d’auditeurs ravis...

Une radio qui agacera surtout les adeptes de la guerre psychologique qui appartiennent à des unités aux doux noms comme ‘Opérations militaires sur l’environnement’, ‘Opérations d’information’, ‘Opérations militaires d’influence’...

‘Nous vous indiquerons qui interviewer’

Raphaël Krafft raconte un face à face avec les représentants de ces unités, venus ramener Radio Surobi au pas après le départ de son protecteur. Ils exigent que la radio diffusent les messages de la Force internationale. ‘Nous vous indiquerons qui interviewer, quels reportages faire’...

Le journaliste-capitaine leur répond :

‘J’attire respectueusement votre attention sur le fait que Radio Surobi n’a pas vocation à diffuser des messages de la Force. Cela nuirait, d’une part, à l’image de l’armée française dans sa zone de diffusion et, d’autre part, mettrait en danger ses personnels afghans.

Ils ont été embauchés pour une mission bien précise dont l’esprit est inscrit dans la charte de Radio Surobi signée par le colonel Durieux, ce serait les trahir que de les employer à autre chose.

Je ne peux pas me résoudre à mettre leur vie en danger en appliquant leurs ordres. J’applique ceux qui m’ont été donnés par l’initiateur de Radio Surbi, mon ancien chef. D’autre part, je crois que cela nuirait à la Force de lui retirer un tel vecteur de sympathie auprès de la population afghane’.

Ce bras de fer se règlera avec les départs sucessifs du colonel Durieux, du capitaine Negroni et du capitaine Krafft. La radio perdra sa crédibilité en devenant largement un instrument de propagande, avant de recevoir le coup de grâce avec le départ total de l’armée française le 31 juillet 2012 et la prise en charge par l’armée afghane qui s’en désintéresse.

Cérémonie de départ de l’armée française à Surobi le 31 juillet 2012 (Musadeq Sadeq/AP/SIPA)

‘Un énorme gâchis’

Le dernier commentaire de Raphaël Krafft exprime cette désillusion :

‘Il me semble que l’expérience de Radio Surobi est à l’image de la manière dont les troupes françaises ont quitté l’Afghanistan. Une tentative louable, pleine d’espoir, mais dans les faits un énorme gâchis. Radio Surobi aurait pu être un beau témoignage de la présence française dans cette région perdue à l’Est de Kaboul, tout en devenant un des échos de l’Afghanistan de demain’.

Au-delà de ce ‘gâchis’, on retiendra du beau récit de Raphaël Krafft des portraits humains, ceux étonnants de ces Légionnaires qui ont accepté ce ‘journaliste gauchiste’ en leur sein, ceux attachants des collaborateurs afghans de la radio.

Et quelques considérations sur la guerre. Celle, en particulier, du colonel Durieux, cet officier de la Légion à la lucidité frappante :

‘Dans ce pays, comme dans d’autres théâtres de crise, il n’y a pas de coupure franche entre les amis et les ennemis, entre les insurgés les plus fanatiques et les partisans les plus convaincus du gouvernement légitime. (...) Si ligne de partage il y a, elle passe dans le coeur de chaque Afghan.’

Et celle, personnelle, du journaliste non pas embedded mais ayant endossé pour un temps l’uniforme, le gilet pare-balle, le casque et l’arme du soldat :

‘Je me rends compte que les militaires, quand ils sont sains d’esprit et bien tassés dans leurs bottes, n’aiment pas la guerre, ou du moins l’aiment parfois moins que nous [les journalistes, ndlr].’

Et il ajoute : ‘Et c’est heureux’.

Pierre Haski 


Traduction

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