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Le lieutenant Louis Rivet du 1er régiment étranger

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La Grande guerre du XXe siècle. 1916/06.

Le lieutenant Louis Rivet du 1er régiment étranger,

religieux profès de la Compagnie de Jésus,
professeur de droit canonique
à l'Université grégorienne à Rome.


(† 9 mai 1915.)


Le R. P. Louis Rivet, de la Compagnie de Jésus, professeur de droit canonique à la célèbre Université grégorienne de Rome, consulteur de la Congrégation des Évêques et Réguliers, auteur d'un important traité sur les Institutions du droit privé ecclésiastique, dont la second volume parut quelques jours avant la guerre, lieutenant au ier régiment étranger (division marocaine), a été tué à l'assaut de la Targette, le 9 mai 1915.

Né à Lyon le 3 mai 1871, Louis Rivet fit ses études dans cette ville, à l'externat Saint-Joseph. Ses condisciples se rappellent un brillant élève, assez heureux pour enlever à quinze ans le diplôme de bachelier avec la mention « très bien ». Un an de préparation à l'école de la rue des Postes, à Paris, lui ouvrit les portes de Saint-Cyr. Sorti quatorzième, avec la liberté de choisir son arme, Rivet voulut servir au 308 bataillon de chasseurs à pied, à Grenoble.

Mais déjà un autre idéal avait séduit son âme très élevée. Son grand-père, Auguste Rivet, avocat à Lyon, décédé en 1890, dont la vie avait été exclusivement consacrée aux œuvres, avait fondé bien , des années auparavant l’œuvre des Douze 'Apôtres pour promouvoir les vocations sacerdotales. Son exemple et ses entretiens jetèrent, sans doute, de bonne heure des germes dans l'âme ardente de son petit-fils. En 1893, le lieutenant rendait le double galon d'argent pour prendre la robe du religieux. Dans sa vie nouvelle, il n'oublia pas; son cœur resta fidèlement attaché à ses chasseurs: « Nous passons avant la cavalerie », disait-il en souriant, mais non sans un certain enthousiasme.

Il était prêtre, professeur de droit canon à Rome, quand éclata la guerre. Il rentra en France le premier jour de la mobilisation et, sa classe n'étant pas encore mobilisée, il sollicita un poste d'aumônier militaire. Cette demande fut refusée. Son âme sacerdotale répugnait à l'effusion du sang; une fois encore, il demanda à servir comme aumônier en première ligne, au poste le plus exposé. Un nouveau refus calma les scrupules de sa conscience. C'est comme lieutenant à la tête d'une section de la légion étrangère qu'il devait donner sa vie à la France.

Le 31 octobre, il partait pour le front. Il n'avait aucun doute; son sacrifice était fait; il ne pensa plus qu'à s'immoler tout entier en excellant comme religieux et comme soldat.

Cette double préoccupation se trahit dans les notes intimes, écrites dans des termes dont il croyait se réserver le secret sur un carnet retrouvé sur son corps, écorné par des balles. Elle paraît également dans ses lettres, généralement très brèves, qu'il écrit pour donner des nouvelles à ses parents ou à sa famille religieuse. De nombreux témoignages l'ont montré payant toujours de sa personne dans les endroits les plus dangereux. En Champagne, il va sous le feu relever des blessés ou donner la sépulture à des morts. Son influence s'exerce par des conversions: le jour de Pâques, il recevra l'abjuration d'un luthérien; un autre jour, il baptisera un juif. Comme il parle couramment l'anglais, l'allemand, l'italien, il a une sphère d'influence exceptionnelle à la légion.

L'heure du sacrifice approchait. Le 21 avril, à la veille de quitter la Champagne pour l'Artois, il écrit à la prieure du Carmel français à Rome: « Pour le succès de nos armes et la régénération tant désirée de notre cher pays, les sacrifices obscurs et les morts ignorées servent autant et quelquefois plus que les actions d'éclat et les traits héroïques que nous lisons avec admiration chaque jour. » Et il faisait cet aveu: « J'ai eu le bonheur de célébrer chaque jour, sauf un, depuis la mobilisation. Priez Notre-Seigneur que cela continue ainsi. » Son carnet prouve qu'il réussit, en effet, à réaliser cet ardent désir jusqu'au matin de sa mort. Le sergent qui, parti avec lui de Lyon le 31 octobre, se trouvait encore à côté de lui au moment de sa mort, racontait avec émotion l'impression causée à ces légionnaires, sortis des milieux les plus différents, par cet officier qui, pour dire sa messe, tantôt restait à jeun jusqu'à plus de midi, tantôt devait renoncer au repos de la nuit, et qui, dans toutes les marches, portait lui-même une chapelle dans son sac. Un légionnaire espagnol écrivait ainsi les impressions que lui avait laissées le P. Rivet deux jours avant sa mort :

C'était le 7 mai 1915, et je ne m'attendais pas à être évacué le lendemain. Je voulais être prêt pour l'attaque. Malgré ma faiblesse, j'étais s0rti du cantonnement au bois, pour m'en aller à l'église d'Aiguières (Pas-de-Calais), une église vieille, petite; église de campagne. Le P. Rivet était en train d'adresser la parole aux soldats. Dans la nef, légionnaires et artilleurs, nous nous pressions. Après le Salut, le P. Rivet annonça qu'on allait commencer les confessions. A ce moment, un jeune homme s'avança vers l'autel, causa avec le curé et le P. Rivet et reçut après le Viatique. Je ne connaissais pas le légionnaire qui communia ce soir. Bientôt, le P. Rivet est au confessionnal; j'y passe, mêlé à la foule des légionnaires. Beaucoup prient les larmes aux yeux. Quand je sors de la confession, je suis plus encouragé. Le P. Rivet avait une gentillesse et un savoir-faire avec douceur qui vous captivaient. De cette confession et de ce confesseur, je me souviendrai toute ma vie. Quelle douceur, quelle admirable manière de comprendre la vie humaine ! Il avait toujours la bonté dans la figure et la charité aux lèvres. Il était un cœur admirable.« Il était un officier modèle. Il est mort comme un vaillant soldat.

Il semble, d'ailleurs, qu'il avait le pressentiment de sa mort depuis quelques semaines. Le 24 avril, en prévenant son ancien, supérieur de son départ pour l'Artois, il ajoutait :

..... L'heure est aux grandes choses et aux efforts virils: je me recommande plus instamment que jamais à vos prières, afin que je fasse mon devoir pleinement et contribue un peu au bien de ceux parmi lesquels je me trouve. Et s'il plaît au bon Dieu que mon nom allonge bientôt la liste de ceux qui, de chez nous, ont donné leur vie pour la France, vous voudrez bien contribuer à consoler généreusement ceux qui s'affligeront de mon départ.


Le 6 mai, il envoie au même religieux comme une sorte de testament spirituel :

6 mai 1915. - Je crois que les événements vont se précipiter pour noua en particulier: c'est dire qu'il faut s'attendre à tout. J'espère que le Sacré Cœur me donnera, pour les grandes circonstances, force, courage et confiance. Les prières constamment dites pour nous nous en sont le garant. Voici, d'ailleurs, le premier vendredi du mois, puis l'anniversaire de Jeanne d'Arc (8 mai, apparition de Saint-Michel). Quant à moi, s'il plaît à Dieu de me demander le sacrifice suprême, comme c'est au moins probable, il me reste à le remercier des grâces reçues durant quarante-quatre ans de vie et vingt-deux et demi de religion. Je lui demande pardon de mes infidélités, mettant toute ma confiance en les mérites de Jésus-Christ et l'intercession de Marie Immaculée. Je remercie aussi de tout cœur la S. J. [ ia Compagnie de Jésus] de m'avoir reçu, entouré de tant de soin. comblé de tant de bienfaits. J'espère en la grâce de la vocation pour mon heure suprême et en l'aide de ses suffrages après.

Le 8 mai, le P. Rivet écrit à son correspondant d'Ore Place en Angleterre (la lettre a été envoyée par un ami à son destinataire) :

Quelle date ! Et comme on désirerait un succès en ce jour, samedi, fête de saint Michel, anniversaire de la bienheureuse Jeanne d'Arc! Le succès, nous l'attendons avec confiance de la miséricorde divine, mais quand ! Pour moi, je m'attends à marcher, et alors ?. A la garde de Dieu !  Nous sommes prêts, nous l'espérons; un bon nombre de nos soldats se sont mis en règle avec Dieu; ils désirent, eux aussi, échanger la vie monotone des tranchées avec les poignantes émotions du combat. Priez le bon Dieu de me donner pour ce moment le courage, l'habileté, et en même temps la possibilité de faire encore quelque bien aux combattants. Quelle belle chose que la communion en viatique à ceux qui vont partir ! C'est consolant et impressionnant. C'est d'ailleurs, pour beaucoup, le seul moyen de communier.

Adieu, cher ami, et si bientôt je suis sur la liste, pensez à moi au saint autel.

Dans les jours qui ont précédé l'attaque du 9 mai, on le vit, pour tout préparer, déployer des qualités guerrières de nature à surprendre autour de lui ceux qui le connaissaient mal; il allait faire de ses hommes des héros, coupables seulement d'être allés trop vite dans les lignes ennemies. La veille,à 10 heures du soir, il se confessa à l'aumônier divisionnaire, convaincu qu'il allait à la mort, sans rien perdre de ce calme et de cette force sereine qui faisaient la caractéristique de son âme. Une dernière fois, à l'aube, il célébra le Saint Sacrifice et dit à un ami en sortant: « C'est sans doute ma dernière messe. »

C'est, en effet, le 9 mai qu'il tomba, dans cette charge merveilleuse et peut-être sans précédent, où la légion étrangère avança de 7 kilomètres sous le feu de l'ennemi. Une relation minutieusement établie décrit ainsi ses derniers moments :

Le P. Louis Rivet est tombé glorieusement le dimanche 9 mai, à 10 h. 1/2 du matin. Il chargeait à la tête de sa compagnie, sur la redoute allemande appelée « les Ouvrages Blancs», devant la route d'Arras à Béthune, juste entre la Targette à droite et Carency à gauche. Sa compagnie était sortie de la tranchée à 10 heures juste, comme toute l'infanterie, après quatre heures d'un bombardement effroyable des tranchées allemandes.

A 10 heures, le tir des 75 s'allongea mathématiquement de 200 en 200 mètres, et l'infanterie débusqua des tranchées.

Le lieutenant Rivet enleva sa compagnie avec beaucoup d'entrain. Ils conquirent les Ouvrages Blancs, les dépassèrent, laissant aux escouades de « nettoyeurs de tranchées» le soin de faire les prisonniers et d'évacuer, à coups de grenades, les abris profonds où se terraient les Allemands; puis ils marchèrent sur la route d'Arras à Béthune, qui formait, à 5oo mètres derrière les Ouvrages Blancs, un ruban parallèle à leur ligne d'attaque et passe à la Targette, la dépassèrent aussi et, arrivés face au bois de la Folie, le lieutenant dit à ses hommes :
— Mes enfants, couchez-vous !

Lui resta debout, la jumelle à la main, examinant le terrain devant lui, pour découvrir les lignes sur lesquelles il allait repartir à l'attaque : à ce moment, une balle l'atteignit en plein front et l'étendit raide par terre. Ses hommes poursuivirent leur attaque, et quand ils repassèrent, ils trouvèrent le corps de leur lieutenant criblé de balles. Ce sont des balles perdues qui l'ont atteint après sa mort; c'est l'une d'entre elles qui A traversé son porte-cartes militaire,

D'autres récits précisent un détail émouvant: prêtre jusqu'au bout, il chargea en tête de tous, mais le sabre au fourreau et le revolver dans l'étui.

Un de ses confrères, M. À. Gaudon, infirmier, recueillant les souvenirs d'un légionnaire polonais, écrivait le 29 juin 1915 ;

Le lieutenant Rivet était renommé pour sa grande bravoure, marchait toujours en tête de ses hommes dans les assauts. En partant pour l'attaque où il devait être frappé, il a dit à ses hommes: « Mes enfants, il faut que, demain matin, je dise ma messe à Douai. »

Une lettre venue de l'état-major du généralissime Joffre fut lue aux très rares officiers survivants; on y remarquait ces paroles :

C'est la division marocaine qui, la première, a enfoncé la muraille Allemande. C'est à la légion étrangère qu'en revient l'honneur.

Dans cet honneur et dans cette gloire, on peut puiser a pleine mains pour auréoler la mémoire du Jésuite lieutenant.

Je ne suis guère pratiquant — écrivait un des rares officiers survivant. de la légion — et peut-être peu croyant; mais, si jamais il existe des saints, le P. Rivet en est un.

Ainsi, c'est un Jésuite expulsé de France qui est tombé l'un des premiers en tête d'une des colonnes d'assaut de « la grande division ». Il s'était avancé si loin que son corps resta plus de cinq mois sans sépulture: on ne pouvait l'approcher. Enfin, le 26 octobre 1915, un sergent brancardier, prêtre lui-même, M. l'abbé L., le relevait et recueillait le crucifix de religieux qui, depuis son noviciat, ne l'avait jamais quitté. Grâce au dévouement inlassable de M. l'abbé L., les restes du P. Rivet ont pu, après de nombreuses difficultés, être transportés dans le cimetière militaire d'Ecoivres, où ils reposent depuis le 11 mars 1916.

Le 4 septembre 1915, le lieutenant Rivet était cité à l'ordre de la division marocaine en ces termes très laconiques, par suite, sans doute, du glorieux trépas de la plupart des officiers qui l'avaient connu :

RIYET (LOUIS), lieutenant au 1er régiment étranger :

A fait preuve en toutes circonstances d'un dévouement calme et résolu; le 9 niai [1915"|, a été tué à la tête de sa section, qu'il portait à l'assaut de retranchements ennemis sous un feu violent d'artillerie et de mitrailleuses

La bataille de l’Artois du 9 mai au 22 juin 1915 avec l’attaque du 2e Régiment de marche du 1er Etranger


Traduction

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