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Les premières années de Diego Suarez - 1904 : Va-t-on brader le Point d’Appui ?

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11 mai 2016

Torpilleurs en rade de Diego Suarez

Torpilleurs en rade de Diego Suarez

Après le départ du général Joffre on assiste à une considérable diminution des formidables moyens qui avaient été accordés à la mise en place du Point d’Appui de la flotte de l’Océan Indien. Si chacun se renvoie la responsabilité du ralentissement des travaux, il semble que le Point d’Appui ne constitue plus une priorité pour la défense navale française. En tous cas, on s’inquiète beaucoup à Diego Suarez…

L’état d’avancement du Point d’Appui en 1904

D’après le Bulletin de l’Institut colonial de Nancy la défense de Diego Suarez se compose ainsi :
« Sur le Front de mer : 3 lignes distinctes :
1ère ligne : 7 batteries placées en divers points de la presqu’île d’Orangea
2e ligne : 4 batteries au Cap Vatomainty, au Cap Diego et à la pointe du Lazaret
3e ligne (presque achevée : 3 batteries à Antsirane, à la baie des Amis et à Cap Diego. »
Le Front de terre se constitue des forts A,B, et C à Cap Diego, des forts D (Ankorika) et E (Mamelon Vert) à Orangéa, du fort d’Anosiravo (F), et des forts G et H (la «ligne Joffre») sur la presqu’île d’Antsiranana. Des résultats considérables donc, sur le front de terre, surtout si l’on ajoute aux ouvrages défensifs, toutes les constructions destinées à héberger les militaires, la route de la montagne d’Ambre, la voie Decauville jusqu’à Sakaramy. Aussi, dans son rapport d’avril 1903, le Général Gallieni peut affirmer que « les divers ouvrages et les batteries qui constituent ce front de terre sont actuellement terminés et armés ; il reste encore à terminer quelques installations secondaires qui seront achevées à la fin de l’année courante. » Et il ajoute, dans sa conclusion, « L’exécution de tous les travaux de fortification, d’armement, d’installations de troupes et de services à Diego Suarez a été terminée dans le délai de 5 ans fixé par le Parlement. »
Les choses vont moins bien en ce qui concerne le front de mer. Gallieni explique les retards dans ce domaine par le fait que l’organisation du front de mer a été constamment remaniée, du fait que le rôle du Point d’Appui de Diego Suarez n’avait jamais été « nettement défini ». D’où une succession de projets « restreints ». Il faudra attendre fin 1903 pour que les objectifs soient précisé : « le programme préconisé consiste à renforcer le front de mer dans des conditions qui le mettent en état d’entrer en lutte avec les cuirassés les plus modernes et les plus puissants ». Cependant, le problème est que l’on n’a pas fourni au Point d’Appui de Diego Suarez les moyens de réaliser cet objectif !

Le manque de moyens

La loi du 2 mars 1901 avait attribué 10 millions au Point d’Appui de Diego Suarez pour les ouvrages maritimes. Cependant le projet initial, très ambitieux, aurait entraîné des dépenses très supérieures aux crédits accordés (21.425.000 francs au lieu de 10 millions !) Aussi, un projet restreint fut-il établi : après plusieurs remaniements, le projet retenu ne coûterait « que » 7 millions. Cette somme allait-elle permettre d’armer convenablement le Point d’Appui et de le rendre opérationnel, c’est-à-dire, en gros, de lui permettre de faire face à une éventuelle attaque maritime anglaise ? Dès 1902, Gallieni exprime des doutes : « Encore un léger sacrifice, et, en 1903, nous serons parés à recevoir la visite de nos ennemis. Mais, là encore, je sens des résistances et fort peu de désir de nous venir en aide. » Dans ses rapports au Ministère, Gallieni est moins direct, mais, entre les lignes on peut distinguer son irritation devant le manque de moyens financiers, techniques et humains, que l’on met à sa disposition. Manque d’armement d’abord : « Ce programme comportait un armement qui devait être fourni presqu’en entier par le Département de la Marine, mais que ce Département ne put s’engager à livrer en temps voulu. ». C’est donc le Ministère de la Guerre qui fournit l’armement des batteries. Cependant, au lieu des canons de 194, modèle 1893, prévus initialement pour les batteries de Vatomainty et la batterie Est d’Orangea, et des canons récents, de 240, qui devaient armer la batterie du Cap Miné on livra des canons d’un modèle ancien : « On a utilisé un matériel que la Guerre [le département de la Guerre — NDLA] avait fait construire en grande quantité et que sa médiocrité a fait proscrire des batteries de côte de la Métropole. » (Revue Armée et Marine – 9 juin 1904)
Manque d’effectifs ensuite. Dans son rapport de 1904, le Général Gallieni fait remarquer que le Point d’Appui ne saurait remplir son rôle en cas d’attaque « cette défense sera compromise, à moins qu’on ne renforce notablement dès le temps de paix, les effectifs actuels ». Enfin, Gallieni fait remarquer que l’efficacité d’un Point d’Appui exige la présence d’une escadre qui serait éventuellement capable de forcer la sortie de la baie en cas de blocus : « L’existence de cette division navale est absolument nécessaire pour donner au point d’appui un caractère offensif et obliger l’ennemi à employer une partie de ses forces pour s’en emparer ou, tout au moins, pour le bloquer ». Manque de moyens financiers pour terminer les travaux (notamment le bassin de radoub) ; manque de troupes et d’armement moderne, manque de munitions (surtout après les dramatiques explosions des poudrières d’Antsirane et d’Orangea) : le Point d’Appui de Diego Suarez, après le départ de Joffre est loin d’être opérationnel.

Les casernes de la Marine à Diego Suarez

Les casernes de la Marine à Diego Suarez

Alors, à qui la faute ?

Les responsables
En 1904, de nombreuses voix vont s’élever pour protester contre les millions dépensés en pure perte pour des travaux de défense qui ne pourront peut-être rien défendre. A Madagascar, on commence à rendre le successeur de Joffre responsable du ralentissement des travaux. On peut lire dans le journal de Tamatave Le Madagascar une attaque contre le colonel Ruault : « Son successeur, le colonel Ruault, ne s’est guère appliqué à suivre ses traces. On peut même dire, sans exagération, que depuis le départ du général Joffre, la défense de Diego Suarez n’a pas fait un pas. » En France, c’est –plus logiquement – au Ministère de la Marine que l’on s’attaque. Curieusement, c’est de son parti que viennent les attaques les plus féroces contre le Ministre, le socialiste Camille Pelletan. Au mois de mars, plusieurs séances sont consacrées, devant la Commission du budget, aux problèmes des points d’appui. Le vice président de la Chambre des députés, M.Etienne, fait remarquer les insuffisances du ministère de la marine : « A plusieurs reprises, M.Etienne a appelé l’attention du Ministre sur la nécessité de doter Diego Suarez et l’Indochine des unités de combat que réclament les gouverneurs généraux de ces colonies ; mais ces appels n’ont été que partiellement entendus ».

Un torpilleur de la Marine française

Un torpilleur de la Marine française

Le député Chaumet est plus virulent : « Les retards sont dus à la négligence du ministre » qui n’a pas « fait mettre en chantier les navires prévus et passé les commandes de torpillerie et d’artillerie ». Un autre vice-président de la Chambre, M.Lockroy est aussi sévère, rappelant que « pour les torpilleurs, il y a eu un retard de plus d’un an » et on a arrêté la construction des sous-marins. (Le Figaro - 5 mars 1904). Lors d’une autre séance le député Chaumet pointe les carences de l’armement de Diego Suarez : « En ce qui concerne Diego Suarez, il ne s’y trouvait pas, il y a quelque temps, et il ne s’y trouve pas encore, je crois, actuellement d’autres munitions que le stock nécessaire pour remplacer les projectiles d’exercice par des projectiles de combat : après une bataille, on ne pourrait pas ravitailler l’escadre. Ce qui est plus grave encore c’est que, malgré les réclamations qui ont été faites par les agents mêmes de la marine, on n’a jamais donné à Diego Suarez le bassin de radoub. Cependant, dans un point d’appui, c’est l’élément nécessaire, essentiel ; tout ce qu’on peut faire à Diego est inutile sans cela. » Et même l’adjudication des travaux pour la construction du bassin de radoub, qui vient d’être lancée, ne désarme pas le député : « l’on a mis en adjudication le bassin sans savoir exactement en quel endroit il sera situé »! Enfin le sort lui-même semble s’acharner sur le Point d’Appui : alors que les munitions sont insuffisantes, le 19 février 1904 le magasin central de réserve d’artillerie de Diego Suarez est détruit par une terrible explosion. « La poudrière de ce magasin central était de construction récente, bâtie en béton armé. Elle renfermait diverses caisses de poudre B, certains approvisionnements d’obus ordinaires et 5000 obus à la mélinite. » (Le Temps). Cette fameuse poudre B, appelée aussi « fulmicoton » est à l’origine d’autres explosions moins meurtrières (Orangea, Cap Miné). Et pour couronner le tout en décembre 1904 un terrible cyclone s’abat sur Diego, détruisant une grande partie de la ville et des installations militaires!

L’inquiétude à Diego Suarez

Tous ces contre-temps inquiètent les commerçants de Diego Suarez pour qui le Point d’Appui est la principale source de revenus. Aussi, la chambre consultative des commerçants de Diego adresse une lettre aux ministres de la Marine et des Colonies pour « faire part de ses inquiétudes en présence de la situation actuelle ». La lettre insiste sur la raison de ces inquiétudes : « De nombreuses maisons de commerce ont été créées, des terrains achetés, d’importantes constructions édifiées, tout cela en vue d’affaires durables et dans l’espoir de récupérer, au bout d’un certain temps, les gros débours qu’occasionnent toujours les installations coloniales. » Les commerçants demandent donc la reprise des travaux : « aussi serions nous heureux de voir commencer les travaux de la marine; », et plus précisément, la construction du bassin de radoub : « le travail principal, le bassin de radoub n’est point encore commencé ». Et la lettre se termine par cette conclusion : « Constituer à Diego Suarez un centre de réparations et un endroit de ravitaillement pour les navires, serait donc créer, pour le pays, une nouvelle source de prospérité » (Le Madagascar).
Le Madagascar, dans son numéro du 31 juillet 1904, prend acte de l’adjudication pour les travaux du bassin de radoub mais s’étonne de la faiblesse de la défense navale : « Deux torpilleurs de 1ère classe sont à Diego Suarez. La colonie demande au Ministre de la Marine de continuer son œuvre en envoyant quatre nouveaux torpilleurs à la fin de l’année. Quant aux croiseurs, on peut affirmer qu’ils n’existent pas… » En fait, tout semble se liguer contre le Point d’Appui : direction militaire peu dynamique, mauvaise volonté politique, coupes budgétaires, accidents et coups du sort… Bien que de grands travaux soient programmés il semble que la période héroïque de Diego Suarez touche à sa fin. En fait, Diego Suarez ne va pas tarder à « retourner à la vie civile » : le 1er avril (et ce n’est pas une blague) le Journal Officiel annonce la suppression du Territoire militaire de Diego Suarez. Même si les militaires vont continuer, pour longtemps, à jouer un rôle important dans la ville, le pouvoir est maintenant dans les mains de l’autorité civile.
(A suivre…)
■ Suzanne Reutt


Traduction

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