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Légionnaire toujours...

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Eloge funèbre du Capitaine Guy Branca

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Mon Capitaine,

Voici venue cette heure que j'espérais ne jamais devoir vivre. Celle de vous dire au revoir.

Ah c'est une longue route commune qui s'achève aujourd'hui. Elle a débuté il y a 62 ans. Dans l'ambiance guerrière du dernier Camerone de Paix à Sidi Bel Abbès, où les pensées se tournaient vers ceux qui luttaient à Diên Biên Phu, vous fêtiez votre retour d'Indochine et votre affectation au 3ème BEP à Sétif.

Enfant de Tiaret en Oranie, né dans un milieu universitaire, vous aviez choisi le métier des armes. La Corniche Weygand au Lycée Bugeaud à Alger vous voit préparer Cyr.

Reçu en 1946, des soucis de santé vous retardent d'un an. Vous serez de la « Rhin et Danube 47-49 ». A la sortie de l'EAI, en tête de promo, vous choisissez la Légion. A bon ouvrier, bon outil. Vous ne serez pas déçu.

Première affectation. Le Keff en Tunisie, au 6ème REI, avec pour patron, le colonel Babonneau, personnage folklorique, Compagnon de la Libération. Vous retrouverez Babonneau à Sétif et Télergma 5 ans plus tard.

C'est le départ pour l'Indochine. Vous débarquez à Haïphong le 26 juin 1951 et vous êtes affecté au célèbre régiment du Tonkin, au III/5ème REI, bataillon en formation. En octobre 1952, le commandant Dufour, futur chef du 1er REP., en prendra le commandement. Vous vous ennuyez un peu à Tîen Yên, en bordure de la Mer de Chine, puis très vite le III/5 devient l'une des grandes unités d'intervention du Corps expéditionnaire. Avec lui vous êtes au Mont Bavi, sur le Day, dans le Delta. Toujours en octobre 1952 vous êtes aérotransporté à Na San. Vous allez être des gros combats de novembre décembre, à la tête de la 9ème compagnie. De ces engagements, vous tirez de riches enseignements sur la rasance des champs de tir et l'emploi des mines.

En 1953, vous êtes au Point d'Appui de la Plaine des Jarres, sur la Rivière Claire et le Delta.

Volontairement vous prolongez votre séjour de 6 mois et vous n'embarquez à Saïgon que le 5 janvier 1954.

Vous quittez l'Indochine avec la Légion d'Honneur, une blessure à la jambe gauche – 4 citations dont deux à l'ordre de l'armée, et la croix de la vaillance Vietnamienne.

Plus encore, vous pouvez arborer à titre personnel, la fourragère aux couleurs de la croix de guerre des T.O.E. C'est dire que vous étiez présent au corps lors des combats

qui ont valu à l'unité 2 citations à l'ordre de l'Armée.

De l'une de vos citations, il me semble encore entendre celui qui était à l'époque le Commandant Le Testu, présent lui aussi à Na San, dire : « Cette citation là, il ne l'avait pas volée ». Durant de longs moments vous aviez du ramper dans un champ de mines pour aller relever un légionnaire blessé. Il vous avait fallu neutraliser plusieurs mines pour vous ouvrir un chemin.

Ayant rejoint Sétif, le 18 septembre 1954, je vous retrouve peu après revenant d'El Outaya près de Biskra. Là, il suffit de vous observer pour apprendre le métier d'officier de Légion.

Le 1er novembre 1954 la guerre d'Algérie débute. Cette guerre vous allez l'entamer dans les rangs du 3ème BEP qui fin 1955 s'intègre au 2ème BEP pour devenir 2ème REP. Vous la mènerez trois ans comme chef de section – un métier à hauts risques - . Promu capitaine, le 1er avril 1958 vous prenez le commandement de la 2ème compagnie en août 1958.

Une belle compagnie cette 2ème Compagnie. Une palme au fanion obtenue à Ba Cum le 1er avril 1950 sous les ordres du lieutenant Cabiro. D'août 58 à avril 1960, j'aurai l'honneur d'y être votre adjoint.

En août 1960, vous passez la compagnie au capitaine Pouilloux et vous devenez chef d'Etat-major. Vous retrouverez la 2, Pouilloux et son adjoint blessés au Chélia le 2 décembre 1960, vous en reprenez le commandement durant quelques heures sur le terrain.

Cette guerre de chef de section et de commandant de compagnie vous apporte 7 citations dont 3 à l'ordre de l'Armée, la rosette d'officier de la Légion d'Honneur qui vous est remise par le général Gilles le 30 avril 59 à Souk-Ahras.

Votre première citation vous la méritez dans la chaleur estivale de l'Aurès en août 1955 – Devant la lourdeur des grandes opérations coups de marteau stériles, vous innovez. Au passage d'un fond de chabet vous sautez de votre GMC avec une poignée de légionnaires. Camouflés dans la broussaille vous attendez le client. Votre attente ne sera pas déçue.

Après vous hantez tous les hauts lieux du régiment : Aurès, Némentchas, Tébessa, Guelma, Souk-Ahras, la frontière Tunisienne, petite Kabylie...

Au cours de ces combats, toujours à l'avant, vous êtes blessé trois fois : le 18 décembre 1957 à l'Hamimat-Guerra touché par balle et éclat de grenades, le 13 février 1960 dans les Ouled Askeur, secteur de Djidjelli.

Nous sommes atteints par la même balle qui, après avoir blessé mortellement le légionnaire Riedel me laboure le cuir chevelu et vous brise des dents.

Blessé à nouveau une semaine plus tard, toujours dans le même secteur des Ouled Askeur – Après une quinzaine de jours à l'hôpital, la blessure pourtant mal cicatrisée, la 2ème compagnie vous revoit.

Chef d’État-major à l'automne 1960, vous êtes la cheville ouvrière du régiment qui sur le terrain s'actionne en EMT commandés par le Commandant Cabiro, le capitaine Amet et parfois par vous même.

C'est l'heure où le chef de corps écrit dans vos notes « Personnifie l'élite des capitaines ».

Une belle carrière vous attend. Vous êtes de ceux promis à commander le régiment et à obtenir les étoiles.

Le « Clash » que nous attendions sans trop y croire surprend le régiment à Philippeville au matin du 22 avril 1961.

Nous partions en opération dans les Guerbes. Durant la journée les esprits s'échauffent et veulent s’engager. Vous maintenez l'unité du régiment qui entraîné par ses capitaines part pour Alger le 22 au soir, le Colonel s'étant retiré sous sa tente. Le plus ancien, le capitaine Amet se dévoue et prévient le Commandant Cabiro, Commandant en second, qui décide de suivre le mouvement. Cabiro et Amet nous rejoindrons à Sétif.

Après des heures chaudes à Maison-Blanche, c'est l'échec. Le pays, las de la guerre qui lui prend ses fils, a renoncé à l'Algérie Française.

Le 3 mai, nous sommes 5 à quitter définitivement le régiment. Cabiro, Amet, Devousges, vous et moi. Maison-Carrée, les Forts de Nogent et de l'Est, Fresnes nous attendent.

Le 21 juillet le verdict tombe Amet, Branca, Montagnon, un an de prison avec sursis. Le 22 août, nous sommes remis à l'Etat-civil en qualité de 2ème classe.

Pour vous, l'enfant de Tiaret fidèle à sa terre natale, rien n'est encore totalement perdu. Vous prenez les contacts voulus. Le 18 septembre, la Tramontane du SDECE parti de Persan Beaumont, nous ramène à Alger via Perpignan.

Une autre vie toujours consacrée à la défense de l'Algérie française s'annonce. Quelques jours après notre arrivée, le général Salan vous nomme Commandant du secteur d'Alger-Centre avec mission de défendre tous ceux qui veulent rester français.

Sans distinction d'origine. Vous l'avez rappelé lors de votre procès. Vos parents vous ont élevé avec pour frère Kaïd Ahmed qui se dresse aujourd'hui contre la France sous le nom de commandant Slimane.

La clandestinité use – La mort, l'arrestation guettent. Des camarades sont arrêtés, le Capitaine Le Pivain est abattu le 7 février 1962. Chaque jour l'horizon s'assombrit.

Début mars, devant les risques du moment et les incertitudes du lendemain, vous me déclarez : « J'ai rendu sa parole à ma fiancée ». La fiancée, Jocelyne – c'est vous. Evidemment vous n'en ferez rien et vous l'attendrez.

Dans la nuit du 27 au 28 mars, un train chauffé clandestinement par les C F A, nous conduit direction l'Ouarsenis. Et c'est là, à Aïn Sultane, petit village du Chéliff que nous allons nous séparer. Dans la Jeep du Capitaine Arfeux, en tenue de simple légionnaire, vous partez pour Sidi Bel Abbès où des concours sont annoncés. Il n'en sera rien et le maquis de l'Ouarsenis qui se voulait une poche française échouera.

De retour à Alger vous échappez par miracle à l'opération contre l'immeuble du Telemly au cours de laquelle est arrêté le Lieutenant Degueldre. Après quoi vous partez sur l'Oranie pour tenter de rallier d'ultimes bras.

Si le cœur dit oui, la raison dit que malheureusement la cause est perdue. Le bon accueil général qui vous est réservé n'est pas suivi d'effet. Vous échappez là encore par miracle à une embuscade du FLN, et au génocide du 5 juillet à Oran. Le 6 juillet en tenue d'officier de marine, vous quittez à jamais l'Algérie sur un bâtiment de la Royale.

Débarqué à Toulon, vous vous noyez dans la foule des rapatriés et après un bref séjour en Corse, une filière des Anciens du bataillon de choc de Roger Camous vous mènera en Afrique du Sud.

Là il vous faudra vivre. Vous trouvez emploi, modeste au départ, dans une filiale du Carbone Lorraine. En quelques années vous passerez de « sixième balayeur » à celui de Directeur. Témoignage de l'estime qui vous entoure, lorsque vous partirez, il vous sera donné votre voiture de fonction, une magnifique Mercedes blanche. Seul défaut son volant à droite.

Entre temps, Joselyne a pu vous rejoindre et vous avez pu vous marier. Par deux fois une première fois sous votre nom d’emprunt. Une seconde sous votre identité réelle après les mesures d'amnistie.

La retraite venue, vous plantez votre guitoune à Orange. Le soleil du midi vous rappelle un peu celui d'Algérie.

Avez-vous une retraite heureuse ? Je crains que non. Le passé vous suit par trop. L'Algérie, votre terre natale. L'Armée, votre Vocation. La Légion, le cadre où vous avez pu vous épanouir. Accroché à ce passé, vous êtes un fidèle des Anciens de la Corniche Weygand, des cérémonies militaires à Orange, à Aubagne à Calvi.

Vous n'oubliez rien. Chaque année le 6 juillet, le chrétien que vous êtes fait célébrer une messe au Barroux pour le Lieutenant Degueldre.

Peut-être vos satisfactions proviennent elles de votre cravate que le Père Casta vous remet à Calvi le 25 juillet 2004 et de la plaque de Grand-Officier de la légion d'Honneur reçu à Aubagne en juillet 2012.

Il vous a manqué quelques mois. La promotion proche vous aurait apporté le Grand Cordon, bien mérité avec 15 titres de guerre, 16 si l'on compte la croix de la Vaillance Vietnamienne (12 citations – 4 blessures).

Mais déjà la maladie vous frappait. A Aubagne, en juillet 2012 vous avez du faire grand effort pour rester digne et droit. Vous ne pouvez plus guère quitter votre domicile et il ne vous est plus possible chaque été de vous rendre à Bocagnano votre village corse. Heureusement Jocelyne veille sur vous mais, que d'heures douloureuses pour elle. Quelle soit, par ma voix, au nom de tous mes camarades, remerciée pour tout ce qu'elle a fait pour vous jusqu'au bout.

Capitaine Branca, vous étiez un soldat homme de courage, et un chef, homme d'autorité. Vous étiez aussi beaucoup plus. Homme de culture, passionné d'Histoire, vous ne cessiez d'enrichir vos connaissances. Vous possédiez une langue très pure avec un vocabulaire précis du sûrement à vos parents universitaires.

Votre imagination sans cesse en éveil recherchait constamment les meilleures solutions aux problèmes qui se posaient à vous. La 2ème compagnie partait toujours allégée dans une guerre qui se voulait très mobile. Vous aviez appris à vos cadres l'usage des mines, combien utiles pour les longues embuscades de nuit. L'hélicoptère était le moyen de transport que vous dominiez. Avec vous, que de posers d'assaut au plus près !

Votre intelligence vive vous permettait de voir loin. Il me souvient de ce jour, c'était avant avril 1960 où vous évoquiez déjà le moment où vous devriez défendre vos compatriotes par d'autres moyens.

Ah, certes, vous aviez parfois le contact difficile voire vindicatif – votre sang corse peut-être ?

Malheureux sergent que vous avez entendu un jour dire à ses légionnaires : « Allez rassemblez-vous, faites-moi plaisir ». Ce ne sont pas là ordres d'un chef. Mais derrière cette carapace parfois rugueuse et votre exigence de service, se cachait un homme de cœur, à grande chaleur humaine.

Sans doute aviez vous fait votre le précepte de Saint Exupéry : « Aimez ceux que vous commandez mais sans le leur dire ». Ceux-là vous le rendaient bien. Ils vous aimaient et vous admiraient, sachant que vous payiez de votre personne, toujours en tête à l'heure des assauts.

Ils connaissaient aussi votre Honnêteté profonde, préférant l'Honneur aux honneurs.

C'est fini. Vous allez nous manquer, oui vous allez nous manquer. Mais quel magnifique exemple d'honneur et de fidélité vous nous laissez.

Mes respects, mon Capitaine.

Capitaine Pierre Montagnon


Traduction

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