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2015




La bataille de Ðiện Biên Phủ 13 mars - 7 mai 1954

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Camp de Dien Bien Phu, parachutistes français dans une tranchée. Source : ECPAD France

Camp de Dien Bien Phu, parachutistes français dans une tranchée. Source : ECPAD France

 

Depuis 1946, la France est engagée en Indochine afin de vaincre le Viêt-minh du communiste Hô Chi Minh qui lutte pour l'indépendance. Le corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient (CEFEO) s'efforce d'arrêter l'avancée des troupes du Viêt-minh vers le Laos à partir de 1952, notamment en s'appuyant sur l'implantation de camps retranchés aéroterrestres sur lesquels doivent se briser les forces ennemies.

Entre octobre 1952 et août 1953, un premier camp retranché est implanté à Na San. Avec la reprise de l'avancée des forces du général Giap, commandant de l'armée Viêt-minh, le commandement français décide de créer un second camp à Dien Bien Phu.

Dien Bien Phu. Source : ECPAD France

 

Dien Bien Phu : un camp retranché

Vue aérienne du camp de Dien Bien Phu. Source : ECPAD France

La vallée de Dien Bien Phu est située à 250 km de Hanoi, dans le haut pays Thaï, à la frontière du Laos. C'est une cuvette, de 16 km sur 9, entourée par des collines dont les hauteurs varient de 400 à 550 m, qui est traversée par la rivière Nam Youm. Site encaissé et humide, Dien Bien Phu est une zone fréquemment inondée où se maintient souvent un important brouillard. Sur l'un des points de franchissement de la Nam Youm se trouve un petit village près duquel les Japonais ont réaménagé une piste d'aviation durant la Seconde Guerre mondiale.

Entre les 20 et 22 novembre 1953, lors de l'opération aéroportée baptisée "Castor", six bataillons répartis en deux groupements aéroportés, les 1er bataillon étranger de parachutistes, 1er bataillon de parachutistes coloniaux (BPC), 6e BPC, 8e BPC, 2e bataillon du 1er régiment de chasseurs parachutistes et 5e bataillon de parachutistes vietnamiens, commandés par le général Gilles, enlèvent sans difficulté la vallée de Dien Bien Phu et commencent son aménagement. Les Français transforment progressivement la cuvette en véritable camp retranché : la zone est protégée par plusieurs rangées de fils de fer barbelés ; la piste d'aviation est remise en état ; des positions fortifiées sont construites sur les petites collines qui entourent le village : au nord "Gabrielle", à l'est "Béatrice", "Dominique" et "Éliane", à l'ouest "Anne-Marie", "Huguette", "Claudine", "Françoise", "Liliane", "Junon", au centre le PC et "Épervier", et enfin "Isabelle" au sud ; chaque point d'appui est divisé en plusieurs postes ; un réseau de communication, en partie enterré et protégé par des barbelés, relie les points d'appui et les postes entre eux ; trois zones de largages sont aménagées entre les différents points d'appui dans le cas où la piste d'aviation deviendrait inutilisable.

Premier largage sur Dien Bien Phu, opération "Castor", 20 novembre 1953. Source : ECPAD France

 

Le Viet-Minh à l'assaut

En décembre 1953, les occupants de la garnison isolée de Lai Chau, capitale du pays Thaï, sont évacués sur Dien Bien Phu. Le Viêt-minh n'a donc plus que ce seul objectif. Après de nombreux accrochages, la bataille s'engage véritablement à la mi-mars 1954.

À cette date, commandée par le colonel de Castries, la garnison française compte près de 10 000 hommes appuyés par des mortiers lourds et des canons de 105 mm. En face, Giap rassemble 70 000 soldats appuyés par plus de 100 pièces d'artillerie installées dans des positions dissimulées.


Le 13 mars, le Viêt-minh lance une violente attaque sur "Béatrice" et sur "Gabrielle" essentiellement tenues par des légionnaires et des tirailleurs algériens : les positions françaises sont submergées tandis que l'artillerie française ne parvient pas à détruire les canons ennemis. En deux jours, deux points d'appui tombent définitivement aux mains du Viêt-minh. Le 16 mars, deux compagnies thaïes évacuent une partie d'"Anne-Marie". La piste d'aviation est désormais directement sous le feu des armes automatiques ennemies.

Tir Viêt-minh sur les positions françaises. Source : ECPAD France

Tout au long de la bataille, chacun des adversaires ne cesse d'étoffer ses forces, en hommes et en matériels. Si, grâce aux parachutages, les forces françaises présentes dans la cuvette atteignent jusqu'à 15 000 hommes, à partir du 27 mars, alors que la pluie tombe sans discontinuer, aucun avion ne peut plus ni atterrir ni décoller du camp retranché : les assiégés ne sont plus relevés ; les blessés des deux camps sont soignés sur place. Giap aligne quatre divisions d'infanterie et une division d'artillerie, soit 70 000 combattants régulièrement relevés, et 60 000 auxiliaires dont les missions sont de construire les routes et de transporter ravitaillement et matériel. Ce déploiement de forces s'avère bien supérieur aux estimations françaises.

Unité thaïe prenant position. Source : ECPAD France

 

Tout est perdu

Prenant position sur les hauteurs, le Viêt-minh accroît progressivement sa pression sur la garnison française. Alors que toutes les tentatives de désengorgement de Dien Bien Phu par des colonnes de secours échouent, le ravitaillement du camp retranché est rendu de plus en plus difficile par l'intervention permanente de l'artillerie antiaérienne ennemie.

Les 28 et 29 mars, parachutistes et légionnaires détruisent des batteries ennemies positionnées près d'"Anne-Marie" ce qui redonne un peu d'espoir à la garnison. Le Viêt-minh ne cesse pourtant de progresser : le 30 mars, une grande partie de "Dominique" est perdue ; le 14 avril le Viêt-minh occupe tout le nord de la cuvette, dont un tiers de la piste d'aviation. De jour comme de nuit, attaques et contre-attaques se succèdent autour d'"Huguette", de "Dominique" et d'"Éliane". La pluie incessante transforme le camp en bourbier.

Camp de Dien Bien Phu, parachutistes français dans une tranchée. Source : ECPAD France

Plan du camp retranché de Dien Bien Phu. Source : MINDEF/SGA/DMPA

Le 1er mai à 22 h, après une importante préparation d'artillerie, le Viêt-minh lance son offensive générale. Les derniers points d'appui tombent les uns après les autres : le 7 mai, "Claudine", "Éliane" et le PC sont perdus ; à 18 h ce jour-là, le cessez-le-feu est annoncé ; le 8 mai, après une ultime tentative de sortie des tirailleurs et des légionnaires, "Isabelle" est submergé.

Hormis l'écart important, en effectifs et en matériels, entre forces françaises et Viêt-minh, contrairement à Na San, cuvette dont les Français tenaient à la fois les hauteurs et le fond, à Dien Bien Phu, le CEFEO ne maîtrise en effet que les premières collines et le fond de la cuvette, avec un appui aérien limité en raison de l'éloignement des bases de décollage et de conditions météorologiques exécrables.

La bataille de Dien Bien Phu coûte au CEFEO plus de 3 000 hommes, 1 700 morts et 1 600 disparus ; 4 400 soldats français sont blessés ; 10 300, dont les 4 400 blessés, sont fait prisonniers. L'ennemi perd au moins 8 000 hommes et a plus de 15 000 blessés.

La victoire Viêt-minh à Dien Bien Phu annonce le désengagement de la France d'Indochine. À l'issue des accords de Genève qui, le 21 juillet 1954, mettent fin au conflit indochinois en reconnaissant le gouvernement démocratique du Vietnam, sur les 10 300 soldats français faits prisonniers à Dien Bien Phu, seuls 3 300 sont rendus à leurs familles. Les autres, souvent laissés sans soins, épuisés, affamés, parfois sommairement exécutés, perdent la vie sur les routes qui les conduisent à leur lieu de détention et dans les camps du Viêt-minh.

 

Prisonnier français libéré par le Viêt-minh. Source : ECPAD France

La guerre d'Indochine

Appartenant à l'empire colonial français depuis la fin du XIXe siècle, l'Indochine se compose de trois colonies, le Tonkin au nord, l'Annam au centre et la Cochinchine au sud, et de deux protectorats, le Laos et le Cambodge à l'ouest.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Japonais envahissent l'Indochine. À l'issue de la capitulation du Japon, en septembre 1945, en s'alliant avec les nationalistes vietnamiens de Bao Dai, le Viêt-minh, mouvement indépendantiste dirigé par le communiste Hô Chi Minh, proclame l'indépendance du Vietnam. Après avoir tenté de négocier, la France choisit de reconquérir militairement l'Indochine et y envoie le corps expéditionnaire français d'Extrême-Orient (CEFEO).

Tandis que les nationalistes vietnamiens négocient avec les Français, obtenant en 1948 la création d'un état vietnamien indépendant qui, sous l'autorité de l'empereur Bao Dai, regroupe le Tonkin, l'Annam et la Cochinchine, et la reconnaissance du statut d'États associés pour le Cambodge et le Laos, le Viêt-minh, opposé à Bao Dai, mène des opérations de guérilla contre la présence française. Après la victoire de Mao Zedong et la proclamation de la République populaire de Chine, le 1er octobre 1949, le Viêt-minh reçoit de la part de la Chine communiste un important soutien logistique qui lui permet d'armer un corps de bataille de plusieurs milliers d'hommes. Le général Giap, commandant de l'armée du Viêt-minh, passe alors à l'offensive. Au cours du mois d'octobre 1950, il chasse les Français des abords de la frontière chinoise. Un temps arrêté, il se lance, au printemps 1952, à l'assaut du Laos. Pour fixer puis anéantir ses forces, le CEFEO installe successivement dans le haut pays Thaï deux bases aéroterrestres, à Na San, entre octobre 1952 et août 1953, puis à Dien Bien Phu, à partir du mois de novembre 1953. La fin des combats, le 8 mai 1954, à Dien Bien Phu amorce le désengagement français d'Indochine.


La conférence internationale de Genève qui se déroule au cours du printemps et de l'été 1954 met fin à la guerre d'Indochine. Les accords qui en résultent reconnaissent le gouvernement démocratique, l'unité et la souveraineté du Vietnam (Tonkin, Annam et Cochinchine), divisent le pays en deux zones, la ligne de séparation longeant le 17e parallèle, et prévoient des élections libres en 1956 en vue de réunifier le Vietnam. Ils instaurent le cessez-le-feu en Indochine et prévoient que les forces françaises se regroupent dans le sud, tenu par les nationalistes, et les forces Viêt-minh dans le nord. Ces accords font du Laos et du Cambodge des états neutres. Les pertes militaires françaises sont lourdes : plus de 47 000 soldats métropolitains, légionnaires et africains ont été tués ainsi que 28 000 autochtones combattant dans le CEFEO et 17 000 dans les armées des États associés de l'Indochine. Pour sa part, les pertes du Viêt-minh sont évaluées à près de 500 000.

 

Le Viêt-minh

Le Viêt-minh tire ses origines de la fondation du parti communiste indochinois en 1930 par Hô Chi Minh. Profitant du contexte de crise et de revendications anti-coloniales, le PCI lance une série de grèves et de manifestations qui sont sévèrement réprimées par les autorités françaises. Malgré quelques réformes économiques, le mécontentement politique et social profite aux nationalistes et aux communistes. La présence croissante des Japonais à partir de 1940 facilite l'essor du mouvement communiste tandis que les autorités françaises voient leur pouvoir de plus en plus affaibli.

En 1941, est fondé le Viêt-minh "front pour l'indépendance du Vietnam" à partir du PCI avec une façade plus nationaliste. Officiellement, toutes les tendances sont représentées, en réalité les postes clés sont occupés par des membres du PCI, comme Vo Nguyen Giap, créateur de l'armée populaire, et Pham Van Dong, futur premier ministre de la république populaire du Vietnam. Les actions anti-japonaises des premiers groupes armés attirent l'attention des Américains qui détachent quelques agents et fournissent des armes et des équipements. Le coup de force japonais anti-français de mars 1945 et la défaite japonaise permettent au Viêt-minh de s'imposer et de proclamer la république populaire en septembre 1945 à Hanoi.

Après l'échec des négociations avec la France, le Viêt-minh devient le principal acteur de la lutte contre la puissance coloniale, tandis que les nationalistes victimes de la terreur communiste s'entendent avec la France dans le cadre des États associés. À partir de 1947, les structures clandestines se transforment en un gouvernement, une armée et un organe de propagande, c'est-à-dire les bases d'un régime autoritaire de type communiste.

Les forces armées du Viêt-minh trouvent leurs origines dans le groupe de combattants rassemblé et formé par Giap et dans les Tu Vé, les premières milices constituées en 1945. Avec l'aide chinoise à partir de 1950, les forces armées du Viêt-minh s'organisent et se développent rapidement sur un modèle inspiré des expériences soviétiques et chinoises. Il existe trois catégories d'unités : le corps de bataille (Chu Luc), les forces régionales et les forces populaires qui soutiennent les unités régulières en assurant le transport du ravitaillement, la sécurité des arrières et la participation aux combats en compensant les pertes.

À Dien Bien Phu, la Chu Luc aligne les 304e, 308e, 312e et 316e divisions d'infanterie et la 351e division lourde avec ses régiments du génie et d'artillerie sol-sol et antiaérienne.

 

Les dates clés :

 

1858 : Début de la conquête française de l'Indochine.

5 juillet 1887 : Création de l'Union indochinoise réunissant le Cambodge, la Cochinchine, l'Annam, le Tonkin et le Laos sous l'autorité française.

1925 : Grèves ouvrières et manifestations en Indochine.

3 février 1930 : Création du Parti communiste indochinois par Hô Chi Minh.

Mai 1930-septembre 1931 : Émeutes agraires et troubles politiques en Cochinchine.

30 août 1940 : Accord franco-japonais accordant des facilités militaires aux troupes japonaises et reconnaissant la souveraineté française sur l'Indochine.

21 juillet 1941 : Accord franco-japonais prévoyant l'installation de troupes japonaises sur le territoire indochinois.

Septembre 1941 : Création du Viêt-minh par Hô Chi Minh.

7 décembre 1941 : Attaque japonaise sur Pearl Harbor ; entrée en guerre du Japon.

9 mars 1945 : Occupation de toute l'Indochine par les Japonais ; repli des troupes françaises en Chine.

2 septembre 1945 : Signature de la capitulation japonaise ; proclamation de la République démocratique du Vietnam à Hanoi.

Fin octobre 1945 : Réoccupation de la Cochinchine par les troupes françaises.

Mars 1946 : Négociations entre la France et le Viêt-minh portant sur la reconnaissance du Vietnam comme État libre et décidant d'un référendum au Tonkin, en Annam et Cochinchine ; débarquement des troupes françaises à Haiphong.

6 juillet-10 septembre 1946 : Conférence de Fontainebleau sur le statut futur de l'Indochine ; échec des négociations franco-vietnamiennes.

21 novembre 1946 : Premiers accrochages entre troupes françaises et Viêt-minh ; début de la guerre d'Indochine.

1947-1949 : Guérilla Viêt-minh dans le nord du Tonkin.

5 juin 1948 : Accords de la baie d'Along reconnaissant l'unité et l'indépendance du Vietnam dirigé par l'empereur Bao Dai.

Septembre 1948 : Reconnaissance par la France du statut d'États associés au Laos et au Cambodge.

18 janvier 1950 : Reconnaissance du Viêt-minh par la Chine populaire.

Octobre 1950 : Évacuation de la frontière chinoise par les troupes françaises.

6 décembre 1950 : De Lattre haut-commissaire et commandant en chef en Indochine.

13-17 janvier 1951 : Victoire française de Vinh Yen.

Octobre 1952-13 août 1953 : Installation de la base aéroterrestre de Na San ; échec des offensives Viêt-minh vers le Laos.

8 mai 1953 : Général Navarre commandant en chef en Indochine.

20-22 novembre 1953 : Opération "Castor" ; occupation de Dien Bien Phu par les parachutistes français.

7 décembre 1953 : Colonel de Castries commandant du camp retranché.

10 décembre 1953 : Évacuation de Lai Chau par les troupes franco-vietnamiennes.

13 mars-7 mai 1954 : Bataille de Dien Bien Phu.

21 juillet 1954 : Accords de Genève mettant fin à la guerre d'Indochine.10 septembre

1954 : Entrée du Viêt-minh à Hanoi.

 

MINDEF/SGA/DMPA Collection "Mémoire et Citoyenneté" n°39

Légionnaire-officier : le général Zinovi PECHKOFF

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Publié le 4 mai 2015 par légionnaires-officiers

Portrait de Zinovi Pechkoff par V.Choukhaeff

Portrait de Zinovi Pechkoff par V.Choukhaeff

Zinovi Sverdloff, né à Nijni-Novgorod le 16 octobre 1884, d’une modeste famille de cette ville située au confluent de la Volga et de l’Oka, célèbre par sa manifestation commerciale annuelle. L’enfant devint assez vite orphelin et, sans ressources, réussit à survivre en accomplissant d’humbles tâches.

Les années passant, il fut sans doute mêlé à des mouvements subversifs, quoi qu’il en soit, sa vie sera toujours entourée d’un certain mystère. Le nom qu’il devait placer dans les premiers rangs de la hiérarchie militaire française fut celui d’un paysan russe qui adopta ce jeune homme perdu, tout au début du siècle. Ce nom, celui d’Alexis Pechkoff n’éveille guère en nous de souvenirs, nous connaissons par contre le pseudonyme de son possesseur : Maxime Gorki, Zinovi Pechkoff vécut donc quelques années durant avec Gorki, puis fit vraisemblablement une fugue qui l’amena en Nouvelle-Zélande. La vie calme de Capri , de Sorrente, ne lui plaisait sans doute pas, il rêvait d’aventures. Lorsqu’il eût retrouvé son père adoptif, il gagna la France avec celui-ci, qui s'exilait pour fuir le régime tsariste. Lorsque Gorki revint en Russie, Zinovi demeura en France et, en août 1914, contracta un engagement dans la Légion étrangère. Grièvement blessé en 1915, il subit l’amputation d’un bras. Il suivit le comte de Martel dans une mission que celui-ci accomplit auprès de l’amiral Koltchak, commandant les forces russes blanches en Sibérie, puis auprès du général Denikine, en Crimée. C’était l’époque où l’on se figurait, à l’occident, pouvoir juguler le mouvement bolchevik.

Pendant ce temps, le frère de Peckoff – frère par le sang – compagnon de Lénine, devenait premier président du comité exécutif central d’U.R.S.S, c’est à dire, en quelque sorte, chef de l’Etat. L’histoire a retenu, à ce titre, le nom de jakob Sverdloff.

Zinovi acquit la nationalité française en 1923 et poursuivit une carrière tout à tour diplomatique et militaire. Chef de bataillon, il fit la campagne du Rif, au Maroc, en 1925, fut blessé, resta attaché pendant quelques temps à l’état-major du général Lyautey, reçut une nouvelle blessure dan le djebel Sagho en 1934. Entre-temps, il avait été au Levant avec le haut-commissaire Ponsot, avait exercé des fonctions administratives dans le Liban-Sud. En 1940, il n’hésita pas et rejoignit Londres en passant par New York. Le général de Gaulle n’eut garde de ne pas employer selon ses moyens cette recrue de choix. Il représenta le chef de la France Libre d’abord auprès du maréchal Smuts, en Afrique du Sud, puis il fut chef de la mission diplomatique en Chine, à Tokio, après la capitulation japonaise et à Tchoung King, auprès de Tchang-Kaï-Chek. Il était général de brigade depuis 1943.

Général de Corps d’armée, Pechkoff prit sa retraite en 1950, à l’âge de soixante six ans. Il accomplit cependant une mission à Formose pour annoncer à Tchang-Kaï-Chek que la France allait reconnaître officiellement la Chine de Mao et il représenta le gouvernement français aux obsèques du général Mac Arthur.

Le général Pechkoff est mort le 26 novembre 1966. Il était âgé de quatre-vingt-deux ans. Il fut inhumé au cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-bois et l’on grava sur sa tombe : « le légionnaire Zinovi Pechkoff ». Il était grand-croix de la Légion d’honneur, médaillé militaire.


CAMERONE par le caporal MAINE

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Publié le 27 avril 2015 par légionnaires-officiers

Il est très intéressant de lire le récit aussi vivant qu’émouvant du combat de Camerone écrit par un survivant le caporal Maine.

 

« Nous faisions partie des renforts de toutes armes envoyés à la suite du général FOREY après l’échec de Puebla. Le Régiment Étranger, qui avait si souvent fait parler de lui en Algérie, allait trouver au Mexique de nouvelles occasions de se distinguer.

Sitôt débarqués, nous avions été dirigés sur l’intérieur ; notre 3e bataillon s’était arrêté à la Soledad, à huit lieues environ de la Vera Cruz ; les deux autres, avec le colonel JEANNINGROS, avaient continué jusqu’à la chaine de Chiquihuite, en bas duquel ils s’étaient établis, tenant ainsi la route qui de la Vera Cruz mène à Cordova.

Une belle compagnie que la nôtre, la 3e du 1er, comme on dit à l’armée, et qui passait à bon droit pour une des plus solides de la Légion ! Il y avait là de tout un peu comme nationalités – des polonais, des allemands, des belges, des italiens, des espagnols, gens du Nord et gens du Midi, mais les français étaient encore la majorité. Comment ces hommes, si différents d’origine, de mœurs et de langage se trouvaient-ils partager les mêmes périls à tant de lieues du pays natal ? Par quels besoins poussés, par quelle soif d’aventures, par quelles séries d’épreuves et de déceptions ? Nous ne nous le demandions même pas ; la vie en commun, le voisinage du danger avaient assoupli les caractères, effacé les distances, et l’on eut vraiment cherché entre des éléments aussi disparates une entente et une cohésion plus parfaites. Avec celà tous braves, tous anciens soldats, disciplinés, patients, dévoués à leurs chefs et à leur drapeau.

Nous comptions dans le rang au départ 62 hommes de troupe, les sous-officiers compris, plus 3 officiers : le capitaine DANJOU, adjudant-Major, le sous-lieutenant VILAIN, et le sous-lieutenant MAUDET, porte-drapeau, qui, bien qu’étranger à la compagnie, avait obtenu de faire partie de la reconnaissance. Notre lieutenant malade, resta couché au camp de Chiquihuite. Nous avions la tenue d’été : petite veste bleue, pantalon de toile, et, pour nous garantir du soleil, l’énorme « sombrero » du pays en paille de latanier, dur et fort, qui nous avait été fourni par les magasins militaires. Nos armes, comme celles des autres troupes du corps expéditionnaire, étaient la carabine Minié à balle forcée, alors dans tout son prestige, et le sabre-baïonnette. Deux mulets nous accompagnaient, portant les provisions de bouche.

Au point du jour, nous approchions du village de Camaron, en espagnol : écrevisse ; il tire ce nom bizarre d’un petit ruisseau qui coule à quelques centaines de mètres et qui, paraît-il, abonde en crustacés d’une grosseur et d’une saveur sans pareilles.

Comme presque tous les villages aux alentours, celui-ci était complétement ruiné par la guerre. D’ailleurs il ne faudrait pas se méprendre sur l’importance du dégât : un méchant toit de chaume, fort bas, qui descend presque jusqu’à terre, soutenu tant bien que mal par deux ou trois pieux mal dégrossis ou quelques branches d’arbres, parfois une poignée de boue pour boucher les trous, voilà ce qui constitue l’habitation d’un indien, et si elle risque de s’écrouler dès qu’on a tourné le dos, du moins n’en coûte-t-il pas beaucoup pour la rebâtir. Les maisons vraiment dignes de ce nom et solidement construites sont toujours la grande exception.

Camaron n’en comptait qu’une alors : c’était, sur le côté droit de la route, un vaste bâtiment carré, mesurant à peu près 50 mètres en tous sens et construit dans le goût de toutes les haciendas ou ferme du pays. La façade tournée vers le Nord et bordant la route, était élevée d’un étage, crépie et blanchie à la chaux, avec le toit garni de tuiles rouges. Le reste se composait d’un simple mur très épais, fait de pierres et de torchis et d’une hauteur moyenne de trois mètres ; deux larges portes s’ouvrant à la partie Ouest donnaient accès dans la cour intérieure, nommée « corral » : c’est là que, chaque soir, en temps ordinaire, on remise les charriots et les mules par crainte des voleurs, toujours très nombreux et très entreprenants dans ces parages comme dans tout le Mexique.

De ce fait, après une longue course sous bois, comme nous n’avons trouvé nulle part trace de l’ennemi, nous nous rabattions sur Palo-Verde. A cet endroit, le terrain, qui s’élève légèrement, est entièrement dégarni dans un rayon de plusieurs centaines de mètres ; mais la forêt reprend bientôt, plus verte et plus touffue que jamais.

Nous marchions déjà depuis plus de six heures ; il était grand jour, et le soleil, dardant tous ses feux, nous promettait une chaude journée. On fit halte. Des vedettes sont placées autour de la clairière en prévision d’une surprise, les mulets sont déchargés, et le caporal MAGNIN part pour la fontaine avec une escouade. Un grand hangar en planches, couvert de chaume, était établi sous un bouquet d’arbres, à l’abri du soleil. Tandis qu’une partie des hommes coupe du bois, prépare le café, d’autres s’étendent pour dormir.

Une heure ne s’était pas écoulée, l’eau bouillait dans les gamelles et l’on y mettait le café, quand du côté de Camaron et sur la route même que nous venions de quitter, deux ou trois d’entre nous signalèrent quelque chose d’anormal.

La poussière montait vers le ciel  en gros tourbillons. A cette distance et sous les rayons aveuglants du soleil, il n’était pas facile d’en distinguer davantage. Pourtant nous n’avions rencontré personne en chemin, et, si quelque mouvement de troupe avait dû se produire sur nos derrières, on nous en eût avertis ; tout cela ne nous présageait rien de bon.

Le capitaine avait pris sa lorgnette. – « Aux armes ! l’ennemi ! » - s’écria-t-il tout à coup. Et, en effet, avec la lorgnette, on les apercevait fort bien. C’étaient des cavaliers, coiffés du chapeau national à larges bords, ils avaient, selon la coutume, déposé leur veste sur le devant de la selle, et allaient ainsi en bras de chemise.

Comme nous l’apprîmes plus tard, depuis plusieurs jours déjà une colonne de libéraux, forte de 2 000 hommes, tant cavaliers que fantassins, et commandée par le colonel MILAN, était campée sur les bords de la Joya, à environ deux lieues de notre ligne de communication, guettant le passage du convoi. Une chose les avait attirés surtout : l’annonce de trois millions en or monnayé, enfermés dans les fourgons et que le Trésor dirigeait sur Puebla pour payer la solde des troupes assiégeantes. Grâce à leur parfaite connaissance des lieux et à l’habileté vraiment merveilleuse qu’ils déploient pour couvrir leurs marches, au camp de Chiquihuite on ne soupçonnait même pas la présence d’une pareille force sur ce point. Par contre toute la campagne étaient remplies de leurs éclaireurs. Aussi la compagnie n’avait pas encore quitté Paso Del Macho, que déjà notre marche était signalée et 600 cavaliers montaient en selle pour nous suivre. Ils nous accompagnèrent toute la nuit, à certaine distance et à notre insu. On avait compté nos hommes ; on les savait peu nombreux ; craignant eux-mêmes que leur position n’eût été éventée, les mexicains avaient résolu de nous enlever pour ne point manquer le convoi.

Au premier cri d’alarme, on donne un coup de pied dans les gamelles, on rappelle en grande hâte l’escouade de la fontaine, on recharge les bêtes et moins de cinq minutes après, nous étions tous sous les armes. Pendant ce temps, les mexicains avaient disparu. Evidemment une embuscade se préparait sur nos derrières ; le mieux était en ce cas de revenir sur nos pas et de chercher à voir de plus près l’ennemi auquel nous avions affaire.

Nous marchions depuis plus d’une heure sans avoir même aperçu l’ennemi.

Sorti l’un des premiers de l’école de Saint Cyr, jeune encore, estimé de ses chefs, adoré de ses soldats, le capitaine DANJOU était ce que l’on appelle un officier d’avenir. Grièvement blessé en Crimée et resté manchot du bras gauche, il s’était fait faire une main articulée dont il se servait avec beaucoup d’adresse même pour monter à cheval. Autant que son courage que son courage, ce qui le distinguait surtout, c’était cette sûreté, cette promptitude du coup d’œil qu’on ne trouvait jamais en défaut. Ce jour-là, il portait sur lui une carte du pays, très complète, dressée à la main par les officiers de l’Etat-Major français, et qu’il consultait souvent. A quelque distance, en face de nous, coulait la rivière, profondément encaissée entre ses deux bords à pic et gardée sans doute par un ennemi nombreux ; s’engager davantage pouvait paraître dangereux ; il nous fit faire volte-face et tendre de nouveau vers Camaron.

A peine avions nous fait quelques pas, nous aperçûmes tout à coup, sur un monticule à droite et en arrière de nous, les cavaliers mexicains massés, sabres au poing et s’apprêtant à charger. Ils avaient remis leur veste de cuir sur les épaules et nous les reconnûmes très bien, le coup de feu de leur vedette les avait appelés. A cette vue, le capitaine DANJOU, ralliant les deux sections et l’escouade de l’arrière-garde, nous fait former le carré pour mieux soutenir la charge ; au milieu de nous étaient les mulets ; mais les deux maudites bêtes, pressées de tous côtés et regrettant leur ancienne liberté d’allures, sautaient, ruaient, faisaient un train d’enfer ; force nous fut de leur ouvrir les rangs, et elles partirent au triple galop dans la campagne où elles n’allaient pas tarder à être capturées.

Les ennemis avaient sur nous l’avantage du lieu, car le terrain, plat et dégarni aux abords de la route, favorisait les évolutions de leur cavalerie ; au petit pas, ils descendirent le coteau, se séparèrent en deux colonnes afin de nous envelopper, et parvenus à 60 mètres, fondirent sur nous avec de grands cris.

Le capitaine avait dit de ne point tirer ; aussi les laissions nous venir sans broncher, le doigt sur la détente ; un instant encore, et leur masse comme une avalanche, nous passait sur le corps ; mais au commandement de feu une épouvantable décharge renversant montures et cavaliers, met le désordre dans leurs rangs et les arrête tous net. Nous continuions le tir à volonté. Ils reculèrent.

Sans perdre de temps, le capitaine nous fait franchir la route sur la gauche et remontait jusqu’à Camaron. Outre que cet obstacle devait arrêter l’élan de la seconde charge, nous espérions atteindre les bois, dont on apercevait la lisière à 400 ou 500 mètres de là, et sous leur couvert regagner Paso del Macho sans encombre. Le tout était d’y arriver.

Par malheur, une partie des mexicains nous avaient déjà tournés par le Nord-Est de l’hacienda ; les autres avaient essayé de franchir la haie de cactus, mais les chevaux pour la plupart s’étaient dérobés. Une seconde fois nous nous formâmes en carré, et comme les assaillants étaient moins nombreux, comme ils ne chargeaient plus avec le même ensemble, nous soutînmes cette attaque encore plus résolument que la précédente. Ils reculèrent de nouveau.

Cependant notre situation devenait critique. Rejoindre les bois, il n’y fallait plus songer. L’hacienda, au contraire était peu éloignée ; avec du sang froid, du bonheur aussi, nous pouvions nous y réfugier et tenir derrière les murs, jusqu’à l’arrivée probable d’un secours.

Le parti du Capitaine fut bientôt pris : sur son ordre, nous mettons la baïonnette au canon, puis à notre tour, tête basse nous fonçons sur les cavaliers groupés devant nous ; mais ils ne nous attendent pas et détalent comme des lièvres. Si le mexicain fait preuve souvent en face des balles d’un courage incontestable, et même un peu fanfaron, il semble que tout engagement à l’arme blanche soit beaucoup moins de son goût.

Du même élan, nous franchissons la distance qui nous sépare de la ferme et nous pénétrons dans le corral ; puis chacun s’occupe d’organiser la défense. L’ennemi ne se voyait plus ; terrifié de notre impétuosité toute française, il s’était réfugié de l’autre côté du bâtiment. A défaut de portes depuis longtemps absentes, nous barricadons tant bien que mal les deux entrées avec des madriers, des planches et tout ce qui tombe sous la main.

Nous avions songé d’abord à occuper la maison toute entière, mais nous n’en eûmes pas le temps ; d’ailleurs nous n’étions pas en nombre. Déjà l’ennemi, revenu en avant, avait envahi les deux premières chambres du rez-de-chaussée par où l’on communiquait avec l’étage supérieur. Une seule restait libre, située à l’angle Nord-Ouest et ouvrant à la fois sur le dehors et sur la cour. Nous nous hâtames d’en prendre possession.

Dans l’intérieur du corral et à gauche de la seconde entrée s’élevaient deux hangars en planches, adossés à la muraille : le premier complétement fermé et à peu près intact ; l’autre, celui du coin, tout ouvert, à peine abrité d’un toit branlant et soutenu par deux ou trois bout de bois portant sur un petit mur de briques crues à hauteur d’appui. En face, à l’angle correspondant, un hangar semblable avait existé autrefois, mais la charpente avait disparu, et il ne restait plus que le soulèvement de briques, à demi ruiné ; au même endroit s’ouvrait dans le mur d’enceinte une brèche déjà ancienne, assez large pour laisser passer un homme à cheval.

Par les soins du capitaine DANJOU, une escouade fut placée à chacune des entrées ; deux autres occupèrent la chambre avec mission de surveiller les ouvertures du bâtiment qui donnaient sur la route ; une autre fut chargée de garder la brèche. Un moment on voulut créneler le mur qui faisait face aux portes d’entrée ; mais il était si épais, si bien construit de paille, de sable et de cailloux, qu’on n’y put percer que deux trous, à grand peine, personne n’y demeura. Enfin le sergent MORZICKI, un polonais, fut envoyé sur les toits avec quelques hommes pour surveiller les mouvements de l’ennemi. Le reste de la compagnie prit place en réserve entre les deux portes, ayant l’œil à la fois sur les quatre coins de la cour et prêt à se porter partout où le danger deviendrait trop pressant.

Ces dispositions prises, nous attendîmes fièrement l’attaque ; il pouvait être en ce moment neuf heures et demie.

Jusque-là, on avait tiraillé de part et d’autre, échangé quelques coups de feu, mais sans que l’ennemi en prit occasion pour s’engager à fond. Au contraire, il semblait hésiter à commencer l’attaque, et nous n’étions pas loin de croire qu’il se retirait. Nous fûmes vite détrompés.

MORZICKI venait d’être aperçu tandis qu’il avançait sur les toits, au dessus des chambres occupées par l’ennemi. Un officier mexicain, son mouchoir blanc à la main, s’approcha lui-même jusqu’au pied du mur extérieur et, parlant en bon français, au nom du colonel Milan, nous somma de nous rendre : « nous étions trop peu nombreux, disait-il ; nous allions nous faire inutilement massacrer ; mieux valait nous résigner à notre sort et déposer les armes, on nous promettait la vie sauve.

MORZICKI était descendu pour nous apporter les propositions de l’ennemi ; le Capitaine le chargea de répondre simplement que nous avions des cartouches et que nous ne nous rendrions pas.

Alors le feu éclata partout à la fois ; nous étions à peine un contre dix, et si l’attaque eût été dès lors vigoureusement conduite, je ne sais trop comment nous eussions pu y résister. Heureusement, nous n’avions affaire qu’à des cavaliers ; forcés de mettre pied à terre, embarrassés par leurs larges pantalons de cheval, peu habitués d’ailleurs à ce genre de combat, ils venaient séparément ou par petits groupes s’exposer à nos balles cylindriques qui ne les épargnait pas : nous savions tirer.

Calme, intrépide au milieu du tumulte, le capitaine DANJOU semblait se multiplier. Je le reverrai toujours avec sa belle tête intelligente où l’énergie se tempérait si bien par la douceur ; il allait d’un poste à l’autre, sans souci des balles qui se croisaient dans la cour, encourageant les hommes par son exemple, nous appelant par nos noms, disant à chacun de ces nobles paroles qui réchauffent le cœur et rendent le sacrifice de la vie moins pénible, et même agréable, au moment du danger. Avec de pareils chefs je ne sais rien d’impossible.

Vers 11 heures, il venait de visiter le poste de la chambre et lui-même avait reconnu qu’on n’y pourrait tenir longtemps, quand regagnant la réserve, il fut atteint d’une balle en pleine poitrine ; il tomba en portant la main sur sa blessure. Quelques-uns de nous coururent pour le relever, mais le coup était mortel ; le sang sortait à flots de sa poitrine et ruisselait sur le sol. Le sous-lieutenant VILAIN lui mit une pierre sous la tête ; pendant cinq minutes encore ses yeux hagards roulèrent dans leurs orbites, il eut deux ou trois soubresauts, puis son corps se raidit, et il expira sans avoir repris connaissance.

Quelques temps avant de tomber, il nous avait fait promettre que nous nous battrions tous jusqu’à la dernière extrémité : nous l’avons tous juré.

Le sous-lieutenant VILAIN prit le commandement qui, comme titulaire, lui revenait de droit ; petit, fluet, les cheveuux blonds frisés, presqu’un enfant, il sortait des sous-officiers et n’avait que six mois de grade : un brave cœur du reste, et qui ne boudait pas devant le danger.

Vers midi, on entendit au loin la voix du clairon. Nous n’avions pas encore perdu tout espoir et nous pûmes croire un moment que des français venaient à notre secours ; déjà même ; frémissants de joie , nous nous apprêtions à sortir du corral pour courir au devant de nos camarades ; soudain battirent les tambours, ces petits tambours plats des mexicains, au roulement rauque et plat comme celui du tambour de basque, jouant une sorte de marche sautillante, toute différente de nos airs français et à laquelle nous ne pouvions plus nous méprendre.

C’était l’infanterie du colonel MILAN qui s’annonçait ; laissée le matin dans le campement de la Joya, avertie plus tard du combat engagé à Camaron, elle venait ajouter le poids de ses armes dans une lutte déjà trop inégale.

Nous nous regardâmes sans mot dire ; dès ce moment nous avions compris que tout était perdu et qu’il ne nous restait qu’à bien mourir. Pour comble de malheur, le vent ne portait pas dans la direction de Paso del Macho, d’où le capitaine SAUSSIER et ses grenadiers, entendant la fusillade, n’auraient pas manqué d’accourir à notre aide.

Cependant MORZICI avait été vu de nouveau, et pour la seconde fois, le chef des mexicains nous fit sommer de nous rendre. Le sergent était encore tout bouillant de la lutte ; ivre de poudre et de colère, il répondit en vrai soldat, par un mot peu parlementaire, mais qui du moins ne laissait pas de doute sur nos intentions ; puis il se hâta de descendre et traduisit sa réponse au sous-lieutenant VILAIN qui lui dit seulement : « Vous avez bien fait, nous ne nous rendrons pas ».

Vers deux heures et demie, le sous-lieutenant VILAIN revenait de visiter le poste de la brêche et traversait la cour en diagonale dans la direction des grandes portes, quand une balle partie du bâtiment, l’atteignit en plein front. Il tomba foudroyé. Pêle-mêle avec les morts, car il n’y avait aucun moyen de le secourir, les blessés gisaient à la place même où ils étaient tombés ; mais tandis qu’on entendait  au dehors ceux des mexicains gémir et hurler de douleur, tour à tour invoquant la vierge ou maudissant Dieu et les Saints, les nôtres par un suprême effort, en dépit de leurs souffrances, restaient silencieux. Ils eussent craint, les pauvres garçons, d’accuser ainsi nos pertes et de donner confiance à l’ennemi.

Nous n’avions rien mangé ni bu depuis la veille ; les provisions s’en étaient allées avec les mulets ; nos bidons étaient à sec car, en arrivant à Palo Verde, nous les avions vidés dans les gamelles qu’il fallut renverser ensuite, et grâce à notre retraite précipitée, nous n’avons pas eu le temps de les remplir de nouveau ; enfin dans le ravin, nous n’avions pu trouver d’eau. Seule au départ, l’ordonnance du Capitaine portait en réserve dans sa musette, une bouteille de vin que monsieur DANJOU lui-même, au moment d’organiser la résistance, avait distribuée entre les hommes. A peine y en avait-il eu quelques gouttes pour chacun, qu’il nous versa et que nous bûmes dans le creux de la main.

Aussi la soif nous étreignait à la gorge et ajoutait encore aux horreurs de notre situation ; une écume blanche nous montait aux coins de la bouche et s’y coagulait ; nos lèvres étaient sèches comme du cuir, notre langue tuméfiée avait peine à se mouvoir, un souffle haletant, continu, nous secouait la poitrine ; nos tempes battaient à se rompre et notre pauvre tête s’égarait ; de telles souffrances étaient intolérables. Ceux-là seuls peuvent me comprendre qui ont vécu sous ce climat malsain et qui connaissent par expérience le prix d’un verre, d’une goutte d’eau.

A la vérité, ce n’était guère le temps de nous apitoyer sur nous-mêmes ou sur les souffrances de nos camarades. Il fallait avoir l’œil tourné vers tous les points à la fois : à droite, à gauche, en avant, vers les fenêtres du bâtiment, vers les brèches de la cour, car partout on voyait briller les canons des fusils et de partout venait la mort. Les balles, plus drues que grêle, s’abattaient sur le hangar, ricochaient contre les murs, faisaient voler autour de nous les éclats de pierre et les débris de bois. Parfois un de nous tombait, alors le voisin se baissait pour fouiller ses poches et prendre les cartouches qu’il avait laissée.

D’espoir, il n’en restait plus ; personne cependant ne parlait de se rendre. Le porte-drapeau MAUDET, un vaillant lui aussi, avait remplacé VILAIN ; un fusil à la main, il combattait avec nous sous le hangar, car les progrès de l’ennemi ne permettaient plus de traverser la cour et de communiquer des ordres aux différents postes. Au fait, il n’en était pas besoin, la consigne était bien connue de tous : tenir jusqu’au bout, jusqu’à la mort.

Vers cinq heures, il y eut un moment de répit ; les assaillants se retiraient les uns après les autres comme pour obéir à un ordre reçu et nous pûmes reprendre haleine. Tout bien compté nous n’étions plus qu’une douzaine.

Au dehors, le colonel MILAN avait réuni ses troupes autour de lui et les haranguait : sa voix sonore arrivait jusqu’à nous, car tout autre bruit avait cessé, et à mesure qu’il parlait, sous le hangar, un ancien soldat de la compagnie, BARTHOLOTTO, d’origine espagnole, tué raide à côté de moi quelques instants plus tard, nous traduisait mot à mot son discours.

Dans le langage chaud et coloré qui fait le fond de l’éloquence espagnole, MILAN exhortait ses hommes à en finir avec nous : il leur disait que nous n’étions qu’une poignée, mourant de soif et de fatigue, qu’il fallait nous prendre vivants, que s’ils nous laissaient échapper, a honte serait pour eux ineffaçable ; il les adjurait au nom de la gloire et de l’indépendance du Mexique et, leur promettait bien haut la reconnaissance du gouvernement libéral. Quand il eut fini, une immense clameur s’éleva et nous apprit que l’ennemi était prêt pour un nouvel effort. Toutefois avant d’attaquer, MILAN nous fit adresser une troisième sommation ; nous n’y répondîmes pas.

L’assaut repris plus terrible que jamais ; l’ennemi se précipitait sur toutes les ouvertures à la fois. A la grande porte le caporal BERG seul restait debout, il fut entouré, saisi par les épaules, par le cou, enlevé ; l’entrée était libre, et les mexicains s’y jetèrent en foule. Nous cependant, de notre coin, nous enfilions le mur en longueur ; tous ceux qui se montraient dans cette direction faisaient aussitôt demi-tour ; en moins de dix minutes, il y eut là plus de vingt cadavres en monceau qui obstruaient le passage et arrêtait l’élan des nouveaux venus.

Sous le hangar, nous tenions toujours ; la poitrine haletante, les doigts crispés, sans répit chargeant notre carabine, puis l’armant d’un geste inconscient et fébrile, nous réservions toute notre attention pour viser. Chacun de nos coups faisait un trou dans leurs rangs, mais pour un de tué, dix se présentaient.

Depuis le matin, je n’avais rien perdu, fut-ce un seul moment, de mon sang froid, ni de ma présence d’esprit ; tout à coup je pensai que j’allais mourir. Souvent j’avais entendu dire que, dans le péril extrême, l’homme revoit passer en un instant, par les yeux de l’esprit, tous les actes de sa vie entière. Pour ma part, et bien qu’ayant fait la guerre je me fusse trouvé parfois dans des circonstances assez difficiles, jamais je n’avais rien observé de semblable. Cette fois il devait en être autrement. Ce fut comme un de ces éclairs rapides, qui par les chaudes nuits des tropiques, précurseurs de l’orage, déchirent subitement la nue et, courant d’un pôle à l’autre, illuminent sur une étendue immense les montagnes et les plaines, les forêts, les villes et les hameaux ; pendant la durée de quelques secondes à peine, chaque détail du paysage apparaît distinct en son lieu, puis la nuit reprend tout. Ainsi mon passé m’apparut soudain. Je revis mon beau et vert pays de Périgord et de Mussidan, où j’étais né, si gentiment assis entre ses deux rivières, tout embaumé de l’odeur de ses jardins, et les petits camarades avec qui je jouais enfant. Je me revis moi-même jeune soldat, engagé aux zouaves, bientôt partant pour la Crimée, blessé dans les tranchées ; prenant part à un des premiers à l’assaut du Petit Redan, décoré ! Je me revis plus tard en Afrique, entré aux Chasseurs à pied et faisant « parler la poudre » avec les arabes ; puis, en dernier lieu, rendant mes galons de sous-officier pour faire partie de la nouvelle expédition et visiter cette terre de Mexique où j’allais laisser mes os.

En effet, l’issue pour nous n’était plus douteuse. Acculés dans notre coin comme des sangliers dans leur bauge, nous étions prêts pour le coup de grâce. De moment en moment, un de nous tombait, BARTHOLOTTO d’abord, puis LEONARD.

Je me trouvais entre le sergent MORZICKI, placé à ma gauche, et le sous-lieutenant MAUDET à ma droite. Tout à coup MORZICKI reçut à la tempe une balle partie du coin de la brèche ; son corps s’inclina et sa tête inerte vint s’appuyer sur mon épaule. Je me retournai et le vis face à face, la bouche et les yeux grands ouverts :

-       MORZICKI est mort, dis-je au lieutenant.

-       Bah ! fit celui-c froidement, un de plus ; ce sera bientôt notre tour.

Et il continua de tirer.

Je saisis à bras le corps le cadavre de MORZICKI, je l’adossai à la muraille et retournai vivement ses poches pour voir s’il lui restait des cartouches ; il en avait deux, je les pris.

Nous n’étions plus que cinq : le sous-lieutenant MAUDET, un prussien nommé WENSEL, CATTEAU, CONSTANTIN, tous les trois fusiliers, et moi. Pourtant nous tenions l’ennemi en respect ; mais notre résistance tirait à sa fin, les cartouches allaient s’épuisant. Quelques coups encore, il ne nous en resta plus qu’une chacun ; il était six heures environ, et nous combattions depuis le matin.

-       Armez vos fusils, dit le lieutenant, vous ferez feu au commandement, puis nous chargerons à la baïonnette, vous me suivrez.

Tout se passa comme il l’avait dit.

Les mexicains avançaient, ne nous voyant plus tirer ; la cour en était pleine. Il y eut alors un grand silence autour de nous ; les blessés même s’étaient tus ; dans notre réduit, nous ne bougions plus, nous attendions.

« Joue !feu ! » dit le sous-lieutenant ; nous lachâmes nos cinq coups de fusils, et lui en tête, nous bondîmes en avant baïonnette au canon.

Une formidable décharge nous accueillit, l’air trembla sous cet ouragan de fer, et je crus que la terre allait s’entr’ouvrir.

A ce moment le fusilier CATTEAU s’était jeté en avant de son officier et l’avait pris dans ses bras pour lui faire un rempart de son corps ; il tomba frappé de dix neuf balles.

En dépit de ce dévouement, le sous-lieutenant fut également atteint de deux balles : l’une au flanc droit, l’autre qui lui fracassa la cuisse droite.

WENSEL était tombé lui aussi, le haut de l’épaule traversé mais sans que l’os eut été touché ; il se releva aussitôt.

Nous étions encore trois debout : WENSEL, CONSTANTIN et moi. Un moment interdits à la vue du sous-lieutenant renversé, nous nous apprêtions cependant à sauter par dessus son corps et à charger à nouveau ; mais déjà les mexicains nous entouraient de toutes parts et la pointe de leurs baïonnette effleuraient nos poitrines.

C’en était fait de nous, quand un homme de haute taille, aux traits distingués, qui se trouvait au premier rang parmi les assaillants, reconnaissable à son képi et à sa petite tunique galonnée pour un officier supérieur, leur ordonna de s’arrêter, et d’un brusque mouvement de son sabre releva les baïonnette qui nous menaçaient :

-       « Rendez-vous ! » nous dit-il.

-       « Nous nous rendrons, répondis-je, si vous nous laissez nos armes et notre fourniment, et si vous vous engagez à faire relever et soigner notre lieutenant que voilà blessé. »

L’officier consentit à tout, puis comme ces premiers mots avaient été échangé en espagnol : « parlez-moi en français, me dit-il, cela vaudra mieux, sans quoi ces hommes vont vous prendre pour un espagnol, ils voudront vous massacrer, et peut-être  ne pourrais-je pas me faire obéir… ».

Cependant l’officier parlait à l’un de ses hommes ; il se retourna et me dit : « Venez avec moi. » Là-dessus il m’offrit le bras, donna l’autre à WENSEL blessé, et se dirigea vers la maison ; CONSTANTIN nous suivait de près.

Je jetai les yeux sur notre officier que nous laissions par derrière.

-       Soyez sans inquiétude, me dit-il , j’ai donné ordre pour qu’on prit soin de lui ; on va venir le chercher avec un brancard. Vous-mêmes comptez sur moi, il ne vous sera fait aucun mal.

Pour dire vrai, je m’attendais à être fusillé, mais cela m’était indifférent, je lui dis :

-       Non, non, reprit-il vivement, je suis là pour vous défendre.

Au moment même où, sortant du corps du logis, nous debouchions sur la route, toujours à son bras, un cavalier irrégulier fond sur nous avec de grands cris et lâche des deux mains sur WENSEL et sur moi deux coups de pistolet ; sans mot dire, l’officier prend son revolver dans sa ceinture, ajuste froidement et casse la tête au misérable qui roule de sa selle sur la chaussée ; puis nous continuons notre route sans nous occuper autrement de lui.

Nous étions arrivés dans un petit pli de terrain, à quelque distance de l’hacienda, où se tenait le colonel MILAN et son état-major.

-       C’est là tout ce qui reste ? demanda-t-il en nous apercevant. On lui répondit que oui et, ne pouvant contenir sa surprise, « Pero non son hombres, s’écria-t-il, son demonios ! ». Ce ne sont pas des hommes, ce sont des démons ! Puis s’adressant à nous en français : « Vous avez soif, messieurs, sans doute. J’ai déjà envoyé chercher de l’eau. Du reste ne craignez rien, nous avons déjà plusieurs de vos camarades que vous allez revoir ; nous sommes des gens civilisés, quoi qu’on dise, et nous savons les égards qui se doivent à des prisonniers tels que vous. »

Au lendemain du combat, le caporal BERG, prisonnier avec ses camarades survivants, écrivait à son  Chef de Corps ces simples mots :

-       « La Troisième du Premier est morte, mon Colonel, mais elle en a assez fait pour que, en parlant d’elle, on puisse dire, elle n’avait que de bons soldats. »

Au mois d’Août, 12 prisonniers furent rendus, les autres avaient succombé à leurs blessures.

 

Caporal MAINE

 

Nota bene:

Le caporal Maine écrit que le capitaine DANJOU avait été "grièvement blessé en Crimée".

En réalité, le 1er mai 1853, au cours d'une expédition topographique en Algérie, il perd la main gauche à la suite de l' explosion de son fusil. Il la remplaça par une prothèse articulée en bois et s'en servait avec beaucoup de dextérité au point comme le dit encore le caporal MAINE: "il s'en servait avec beaucoup d'adresse même pour monter à cheval".

CAMERONE par le caporal MAINE

Une entreprise bien légionnaire

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Publié le 25 avril 2015 par légionnaires-officiers

Ancien et jeune, un même regard !

 

Oueah, qui s'écrit aussi Weah est une petite ville de la république de Djibouti où était implantée l'escadron de reconnaissance de la 13e Demi Brigade de la Légion étrangère.

Située à 40 kilomètres à l'Ouest de la capitale, elle surplombe la route nationale 1 qui relie Djibouti-ville à l’Éthiopie.

A l'époque du récit qui suit, en contrebas de la ville d'Oueah, les Forces françaises stationnées entretenaient un poste militaire constitué d'un escadron de la Légion, le poste "Bruno de Sairigné".

En plusieurs phases, Alviero FEDELI nous offre une page d'histoire de la Légion, un régal qui sent bon le sable chaud... Christian Morisot

 

 

Note de l'auteur: Ce récit est basé sur des faits réels, toute ressemblante avec des situations et  des personnages existants ou ayant existé n’est absolument pas fortuite. Les noms ont toutefois été changés pour, d’une part préserver l’anonymat si important dans l’institution légionnaire, et d’autre part laisser à chacun des acteurs et des lecteurs le plaisir de deviner qui peut bien se cacher derrière chaque pseudonyme. Merci à tous ceux qui par leurs confidences et souvenirs  ont permis de reconstituer cette belle page de la petite histoire de l’escadron de reconnaissance de la 13e demi-brigade de Légion étrangère.

 

PHASE 1 : L’idée se met en place.

Le capitaine Laurent avança jusqu’à l’emplacement prévu pour le commandant des troupes, au milieu de la place d’armes de l’escadron, s’arrêtant dans un garde-à-vous impeccable. Tout en rendant le salut à son adjoint qui lui présentait l’unité rassemblée, il observait le dispositif. Les légionnaires étaient parfaitement immobiles, dans des tenues impeccables et regroupés par pelotons rigoureusement alignés par les maréchaux des logis de service. Pourtant quelque chose lui gâchait le plaisir, et ce depuis deux ans. Toute cette rigueur légionnaire était perdue : la place d’armes en forte pente et parsemée de trous et de rochers affleurants rendait les toits aléatoires et ruinait les perspectives des alignements.

Il passa le dispositif en revue, accompagné par son adjoint. Depuis deux ans il n’avait pas pu s’y faire : cette simple opération, par ailleurs fort agréable car elle symbolisait son commandement, était restée un exercice à risques : comment regarder chaque légionnaire dans les yeux, alors qu’à tout moment un trou ou une bosse, érigés en véritables obstacles de manœuvre, pouvaient vous faire trébucher et vous couvrir de ridicule ? Et que dire de la remontée à l’opposé, où le cavalier qu’il était prenait une allure d’alpin remontant vers le sommet ?

Pourtant il en avait fait des dossiers pour demander à ce que l’unité bénéficie d’un lieu de rassemblement digne de ce nom : chaque fois il se heurtait à l’intransigeance budgétaire du service du génie. Ah, le service du génie… quelle engeance ! Pas plus tard que trois mois auparavant, le colonel de la DMT avait déclaré, lors d’une réunion : « Je veux bien m’occuper de la piscine d’Oueah mais il est hors de question que nous détruisions le toit : la Légion l’a construit, elle n’a qu’à le détruire ! ». C’était tout dire sur les rapports entre l’escadron et le génie.

Finie l’inspection et remises les troupes à la disposition des chefs de peloton, Laurent convoqua le capitaine Hubert, officier adjoint, et l’adjudant Graziani, adjudant d’unité.

Dans le bureau, après que les deux subordonnés se soient présenté réglementairement, il  prit la parole : « Mettez-vous au repos, mes seigneurs ! Je vous ai faits venir car je voudrais que vous réfléchissiez sur comment obtenir une place d’armes digne de ce nom. Le génie ne veut pas et le régiment a d’autres soucis et d’autres priorités, ce n’est donc pas la peine de regarder de ces côtés. Présentez-moi un projet qui tienne compte des difficultés de financement. J’en parlerai à mon successeur, car je quitte le commandement cet été et je ne veux pas lui laisser un bébé de cette taille sans qu’il soit au courant et consentant. On en reparlera après la saint Georges et Camerone. Si vous n’avez pas des questions, vous pouvez disposer. ».

En sortant du bureau du capitaine, l’officier adjoint et l’adjudant Graziani arboraient une mine plus que dubitative.

« Du travail pour rien en perspective », dit l’officier, « Faire plus avec moins, c’était encore possible, mais dans ce cas il s’agit de faire tout avec rien. Dans ce projet, il ne s’agit pas de gagner du temps, il s’agit de ne pas en gaspiller en pure perte. Alors, mon lieutenant, je vous propose que vous, qui avez un bon sens artistique et maniez les crayons avec maestria, dessiniez une vue d’artiste du dernier projet que nous avons présenté, vous savez, le carré avec les trois mâts. Ca aura l’avantage de donner une vision plus concrète de la réalisation et de la présenter dans son contexte. Nous verrons bien ce que l’ancien en pense. Comme-ça nous ne perdrons pas beaucoup de temps ». C’est ainsi que Graziani hérita, sans bien s’en rendre compte, d’une mission pharaonique, digne de l’épopée bâtisseuse de la Légion.

Quelques mois plus tard, dans son bureau, le capitaine Bruno, qui avait succédé à Laurent à la tête de l’escadron, recevait au rapport son adjudant d’unité. Après l’entretien plus formel, déstiné à avoir une bonne connaissance de ses subordonnés, portant comme pour les autres sous-officiers sur l’emploi, la situation de la famille, les problèmes éventuels tant personnels que professionnels, le commandant d’unité entreprit Graziani sur « sa  fameuse » place d’armes.

« Si je ne m’abuse, c’est vous qui êtes à l’origine de cet excellent projet, mon lieutenant. Je vous en félicite. Je ne vois pas encore comment nous pourrions le financer : mes premiers contacts avec le génie m’ont bien fait comprendre qu’il ne fallait pas compter sur eux. Ils nous ont dans le nez depuis l’affaire de la piscine. Nous devons d’ailleurs commencer à en démolir le toit. Mais je tiens beaucoup à cette idée, alors je vous remercie de vous y engager avec autant de détermination. Je suis sûr que vous saurez la mener à bien. Dans la limite des moyens financiers de l’unité, je promets de vous aider, mais ne vous attendez pas à des miracles. Avez-vous des questions ? »

Surpris d’être désigné comme volontaire, l’adjudant Graziani ne broncha pas. Interprétant son silence comme une hésitation, le capitaine reprit : « …évidemment, si vous pensez que c’est impossible … ». La moustache de Graziani frémit : « Mon capitaine, il n’y a pas de mission impossible pour la Légion. Où il y a la volonté, il y a un chemin. Celui qui veut cherche un moyen, celui qui ne veut pas, trouve une excuse. Donnez vos ordres et l’escadron les exécutera ! ».

« Je n’en attendais pas moins de vous, mon lieutenant. Le 1er février 1988 l’escadron aura 20 ans. C’est l’age de raison et ce sera une excellente occasion de faire d’une pierre deux coups : fêter nos vingt ans et notre place d’armes. Vous avez carte blanche, dans la limite du raisonnable, et dix-huit mois. Au travail !».

Graziani en sortant du bureau n’en menait pas large : une chose était de débiter toute une série de poncifs sur la « débrouillardise légionnaire » en restant au garde-à-vous et une autre était la mise en œuvre effective de cette qualité… Mais à chaque jour suffit sa peine, pensa-t-il en se rendant à la popote dans le but de se remettre de ses émotions.

 

 

PHASE 2: le plan s’ébauche

Dans les jours et les semaines qui suivirent une grande agitation s’empara des membres du peloton de commandement de l’escadron. Au niveau des gradés : réunions avec le chef du casernement, liaisons sur Gabode pour mettre au point les plans et voir l’aide, officielle et officieuse, que l’on pouvait espérer du régiment, invitations à déjeuner des responsables des différents « cordons de la bourse » pour les convaincre du bien fondé du projet… Au niveau des légionnaires : traçage du gabarit des fondations sur la place d’armes et destruction du toit de la piscine. Les blocs de béton provenant de ce chantier furent stockés en prévision du nécessaire arasement du socle du futur lieu de rassemblement.

Cette destruction fut un véritable travail de titans, qui à lui tout seul mériterait que l’on lui consacrât un livre. Construit en « dur » par le casernement du corps, le toit était constitué d’une dalle en béton armée de près de 15 centimètres d’épaisseur. Il devait être rasé car, les intempéries aidant, des gros blocs de béton s’en étaient détachés et étaient tombés dans la piscine. A l’heure où une dizaine de bambins barbotaient dans l’eau, cela avait provoqué des éclaboussures jusqu’à l’état major ! Le génie avait effectué des appels d’offre, mais les prix demandés par les entreprises civiles étant exorbitants, il avait décidé de confier à la Légion la destruction du monstre qu’elle avait construit. Perché à près de quatre mètres de hauteur, le personnel du casernement auquel s’ajoutaient parfois des punis, maniait masses et pioches pour découper des morceaux de béton ni trop gros, ni trop petits.

Devant la résistance et la solidité, typiquement légionnaires, de l’ouvrage l’adjudant Graziani appela son camarade de la 2e compagnie de travaux : « Salut Benoît, j’aurais besoin de tes services. Tu sais, le toit qu’il nous faut descendre pour Noël ? Eh bien, il est plus solide qu’il n’y paraît. A part l’explo, je ne vois pas comment le détruire. Bien entendu, il est hors de question d’employer cette méthode. Quoi que … Blagues à part, peux-tu faire quelque chose pour m’aider ? Evidemment, c’est à charge de revanche. ».

« Te bile pas, Graziani. J’ai ce qu’il te faut. Seulement il faudra que tes gars apprennent à s’en servir parce que je ne peux pas te donner les servants. Ca a l’air facile, mais c’est plus compliqué qu’il n’y paraît. Je viens dimanche avec l’engin. Tu me rassembles deux ou trois jeunes et je leur en explique le maniement ; ça te convient ? »

« Ok, mon pote, ta bière et ton repas sont déjà réservés ! Merci et à dimanche. »

Le dimanche à 8H00 du matin un compresseur et un marteau piqueur arrivèrent à l’escadron. L'adjudant Benoît fit l’instruction à deux brigadiers-chefs du casernement et à Graziani, au cas où. Plus tard, pendant qu’ils sirotaient une bière en attendant de passer à table, Benoît précisa : « Ce n’est pas tant la manipulation de l’engin qui me préoccupe, c’est plutôt l’état de la dalle. Si un bout de béton se détache du bord avec un bonhomme dessus… A quatre mètres du sol ça peut être dangereux. Il a aussi le bruit : avec ce vacarme il est difficile de se faire entendre et ce n’est pas pratique pour passer des ordres ou lancer des avertissements. Peut-être faut-il mettre des barrières tout au tour du toit pour éviter de s’approcher du bord. Enfin, tu verras bien. »

Cette prédiction ne manqua pas de se réaliser quelques jours plus tard. Le brigadier-chef Auguste, préposé au déblaiement des morceaux décrochés par le marteau piqueur, recula sans s’apercevoir qu’il arrivait au bord du toit. Casqué pour amortir le hurlement du compresseur et le vacarme du marteau piqueur, il n’entendit pas la mise en garde pourtant criée à pleins poumons par l’adjudant et il chuta du haut du bâtiment.

La chute ne provoqua que quelques contusions bénignes mais aurait pu se révéler bien plus grave car Auguste était tombé à quelques décimètres de deux fers à béton sur lesquels il aurait pu s’empaler. Après s’être occupé de l’évacuation du blessé et du compte-rendu, fortement édulcoré, au capitaine, Graziani, dut s’octroyer une bonne dose de pastis pour se remettre de ses émotions. « Encore quelques coup comme-ça et je vais attraper des cheveux blancs. Des cheveux blancs ou alors un gros nez rouge ! » se lamenta-t-il au gérant du mess venu l’assister dans la difficile épreuve de l’apéritif.

Après la prise d’armes de la saint Georges, le 24 avril 1987, les travaux sur la place de rassemblement purent réellement commencer.

 

 

PHASE 3 : l’œuvre se construit.

Il fallait construire un mur de soutènement, un enclos de 104 mètres de périmètre et 40 centimètres d’épaisseur. Cela débuta par le creusement des fondations, un fossé de 50 centimètres de profondeur et 50 centimètres de large. Premiers travaux et premières crises de nerfs pour Graziani. Les ouvriers, de recrutement local, avaient jeté la terre vers l’extérieur au lieu de l’accumuler dans l’enclos pour commencer à le remplir. Rendu amorphe par l’utilisation intensive du khat, le contremaître ne comprenait pas la colère de l’adjudant : « C’est pas problème, chef, nous met’ après. C’est bon travail. Ici ou là c’est pareil. ».

Arriva le moment d’ériger le mur. Cela nécessitait des pierres, du ciment, du sable et des fers à béton de 10 millimètres dont l’escadron n’avait pas le premier kilo.

Pour les pierres Graziani fit encore appel à la main d’œuvre locale. Les « artisans » d’Oueah s’improvisèrent tailleurs de pierre pour  produire des moellons parallélépipédiques d’environs 40 centimètres de longueur, Graziani veillant à la régularité de la taille et écartant inexorablement tout élément « ne ressemblant à rien ». Une fois résolu ce premier problème, il restait les autres. Le sable n’en posait pas trop : quelques allées et retours sur le chantier de la piste d’Arta-plage permit, avec encore la complicité de la 2e CT et de son adjudant d’unité, d’en récupérer suffisamment. Mais comment trouver les 20 tonnes de ciment nécessaires ? L’adjudant avait beau se creuser les méninges, il ne voyait pas de solution. Le capitaine, interrogé sur les possibilités de financement, avait proposé une somme qui permettait tout au plus d’acheter deux à trois sacs de 50 kilos : même pas de quoi commencer !

La réponse vint du brigadier-chef Roméo. Un matin après le rassemblement, il vint voir l’adjudant d’unité : « Mon lieutenant, vous savez, pour le ciment j’ai peut-être une solution. Ce week-end je suis descendu à Djibouti faire un brin d’hygiène, si vous voyez ce que je veux dire. Jeudi soir j’étais au Galaxy, vous savez, la boîte rue de l’Ethiopie… »

« Viens-en à l’essentiel, ta vie pleine de trous m’intéresse pas ! »

« Bon, j’y arrive. J’étais en train de boire ma bière en réluquant les filles histoire d’en choisir une, puis j’ai vu un p’tit gars qui se faisait un peu bousculer par des marins. J’ai remis de l’ordre et il m’a payé le coup. C’est un ch’ti gars du Nord qui vient d’un coin pas très loin de chez moi. Je me demande même si j’ai pas bien connu sa grande sœur … »

« Ca repart sur les histoires de cul. Abrège, je n’ai pas que ça à faire. » l’interrompit Graziani.

« J’y arrive. Gègè, c’est comme ça qu’il s’appelle, m’a dit qu’il était ici en tant que VSL et qu’il était magasinier aux entrepôts de la direction des travaux du génie ou quelque chose comme ça, j’ai pas bien pigé. Ce que j’ai compris c’est que dans son gourbi il y avait des parpaings, des ferrailles, du sable, du gravier et… des sacs et de sacs de ciment. A l’entendre, il y en a des centaines de tonnes. »

« Tu parles d’une info. Je sais bien que dans ces entrepôts il y a plein des trucs intéressants. Mais le génie ne veut pas les lâcher, alors… » rétorqua l’adjudant un peu déçu.

« Mais il m’a dit qu’il avait les clés et que, moyennant une ou deux caisses de bière il pouvait me laisser rentrer discrètement avec un ou deux camions. De toute façon il s’en fout, il est rapatriable dans trois mois. »

Graziani exulta : « Ok, Tu vois avec lui pour organiser la chose. Pour ce qui est des caisses de bière, t’as qu’à les prendre au foyer, et rajoutes-y une coupelle et un fanion de l’Escadron. »

C’est ainsi que pendant les trois week-ends suivants une étrange noria de véhicules effectua, dans une relative discrétion, la liaison entre Oueah et Djibouti et rentra chaque fois visiblement chargée. Il est fortement probable que les prélèvements allèrent au-delà des souhaits de Gégé mais, en bon ch’timi et considérant qu’il avait donné sa parole et qu’il pouvait encore rencontrer des marins en goguette, ce dernier ne laissa rien paraître de sa désapprobation. Seules conséquences, une grosse facture de bière payée sur la « caisse coiffeur », certainement plus que les deux caisses prévues au départ, et une remarque désobligeante du capitaine Hubert qui trouva que les carnets de bord des camions de l’unité étaient mal tenus et que la consommation de carburant avait drôlement augmenté. « C’est un peu le bordel, mon lieutenant. Et c’est quoi ces missions de liaison en plein week-end et avec plus de 150 kilomètres  au compteur alors que Djibouti est à moins de 40 ! Un peu plus de rigueur pardi. » reprocha-t-il à l’adjudant Graziani avec une parfaite mauvaise foi.

Ce dernier, cependant, jubilait intérieurement tout en prenant l’air contrit : 22 tonnes de ciment étaient rangées dans les hangars des ateliers, bien à l’abri des regards indiscrets. La version officielle, servie à tous les visiteurs qui s’interrogeaient sur le financement de l’ouvrage, était que le ciment, d’origine yougoslave, avait été acheté au rabais à un cargo de passage : pas très réglementaire comme procédure mais, nécessité faisant loi, à la guerre comme à la guerre, quoi !

Le chef de la Direction des travaux ne fut pas dupe longtemps : il avait l’intime conviction que ce ciment sortait de ses services mais l’intime conviction, fut-elle celle d’un colonel du génie, ne constitue pas une preuve. Les ouvriers locaux, interrogés parfois sans y paraître, furent remarquables de discrétion : ils ne savaient rien, ils ne comprenaient pas bien le français, le travail était bon … Quant au fameux Gégé, rapatrié pour fin de séjour et ayant depuis rejoint ses foyers, il était désormais hors d’atteinte des foudres de son ancien chef.

Le mur entre temps progressait. Graziani, toujours sur la brèche, dispensait conseils et encouragements à tour de bras. Son obsession était la régularité de la coupe des pierres : toute pierre présentant un profil un tant soit peu arrondi était inexorablement écartée au grand dam des ouvriers djiboutiens et l’hilarité des autres cadres de l’escadron qui en faisaient les gorges chaudes à la popote : « Eh !, Graziani, alors ton mur, ça avance ? On voit que c’est une affaire carrée et que ça roule ! », l’apostrophaient les plus audacieux à l’heure de l’apéro. C’est dans cette ambiance que survint « l’affaire de la pierre ronde ».

Un soir, après que des nombreux chants aient retenti jusqu’à tard à la popote, des ombres se glissèrent subrepticement  du côté du chantier. Ils portaient, outre des outils, un étrange colis, assez lourd et surtout rond. Une pierre fraîchement posée fut descellée et remplacée par le contenu du colis. Le tout ne prit pas plus d’une demi-heure.

Le lendemain les travaux continuèrent comme si de rien était. Ce n’est que trois jours plus tard que l’adjudant d’escadron aperçut avec horreur, une pierre inexplicablement ronde au milieu d’une rangée de pierres carrées. Il se précipita sur le chantier, engueulant les ouvriers qui n’avaient rien vu. Devant leur air amorphe comme d’habitude, il appela le sergent de semaine lui enjoignant d’effectuer une enquête et établir un compte-rendu écrit sur l’affaire. Puis il évalua la possibilité de détruire la partie supérieure du mur, desceller la pierre et la remplacer, mais conclut rapidement que c’était impossible.

Bien que ne décolérant pas, il se contraignit à plus de modération, faisant mine de prendre cela comme une bonne blague. Sentant d’ailleurs son impuissance il finit par en conclure, non sans une certaine philosophie : « Quand on l’a dans le cul, mieux vaut pas s’agiter. Ca évitera au moins de les faire jouir ! ». Et les petits plaisantins finirent par se fatiguer de guetter la colère du spiess.

La construction arrivait à son terme, l’on devait maintenant songer à remplir le tout. Avant de procéder au remplissage  il fallut, sur conseil avisé mais tardif du chef du casernement, penser à mettre en place des drains ; « C’est pas qu’il pleuve beaucoup, dans ce pays, mais quand il pleut, c’est du sérieux. Et si on y a pas pensé avant, après on va chercher la place d’armes dans l’oued ! » avait-il dit d’un air sentencieux.

« C’est quoi ça des drains et comment ça se fabrique ? » avait demandé Graziani.

« C’est simple comme bonjour. Vous mettez une couche de gravier à l’intérieur du mur, ça permet à l’eau de ne pas rester en surface, puis vous mettez de tuyaux qui traversent le mur pour permettre à l’eau de s’évacuer. Et c’est tout ! »

«Et c’est tout, qu’il dit ! Bougre d’âne bâté ! C’est maintenant que tu m’en parles ? maintenant que le mur est fini, il faudrait que je fasse passer des tuyaux au travers ? Couille de loup, va ! Je vais te foutre un motif pour sabotage, ça vaut au moins 30 perles ! »

« Mais on peut peut-être rattraper le coup », se défendit le maréchal des logis-chef, «  On peut creuser à l’intérieur jusque sous les fondations et remplir de gravier. Puis on cale-le tout avec les blocs de béton de la piscine. Je reconnais que c’est un peu bidon mais ça devrait tenir. »

« T’attends quoi pour t’y mettre ? Et si ça ne tient pas, il ne te reste qu’à demander l’asile politique à l’Ethiopie, avec toute ton équipe de bras cassés. »

Une fois les drains  « bidon » mis en place sous l’œil suspicieux du spiess, la fastidieuse opération de remplissage put commencer. Ce fut également l’occasion pour exécuter un grand nettoyage du quartier : tout ce qui traînait comme ferrailles et blocs de ciment au casernement, dans les ateliers, dans les magasins et dans toute l’emprise militaire y passa. Malgré le volume important de cette matière première, il restait un grand trou à remplir.

Dans un premier temps ce furent les véhicules de l’escadron qui, par une noria incessante, récupérèrent la terre sur la piste d’Arta-plage, où la compagnie de travaux avait un chantier. Mais le poids excessif transporté et les mauvaises conditions de la piste eurent bientôt raison des pauvres véhicules. Six d’entre eux durent subir des lourdes et coûteuses réparations qui déclenchèrent les foudres du capitaine Bruno, qui pourtant ne savait pas tout, et surtout de l’officier adjoint, responsable du matériel qui lui en savait un peu plus.

« La place d’armes, la place d’armes » hurla-t-il à l’adresse de Graziani qui lui présentait le bilan de la semaine, « Je m’en fiche de la place d’armes. N’oubliez pas que nous avons une revue à la fin du mois et que seule comptera à ce moment, la disponibilité des matériels. Et le responsable ce sera moi ! Vous jouez avec mes nerfs et ma carrière, mon lieutenant. ». Constatation consternante qui laissa toutefois le spiess de marbre.

Il fallait cependant trouver une solution pour continuer le remplissage, mis à mal par l’indisponibilité des camions. Ce fut encore l’adjudant Benoît qui vint au secours de son camarade. En allant visiter le chantier de sa compagnie sur la piste d’Arta-plage, il ne manquait jamais de s’arrêter rendre une petite visite à l’escadron, juste le temps de boire une mousse et fumer un joint en regardant le paysage à partir de la terrasse du mess.  Lors d’une de ces visites, Graziani lui fit part de ses soucis de transport. « Si je comprends bien, t’es encore emmerdé ! Je te propose, mais pas tout de suite parce que j’en ai besoin sur le chantier, de mettre à ta disposition le Cat. Ca devrait faire l’affaire et accélérer le mouvement. » lui répondit Benoît.

« Ok, toi t’es un vrai pote. Je sais pas ce qu’est un Cat mais je te fais confiance. »

« Un caterpillar, espèce d’ignare ! »

« Je sais pas le dire, mais je saurais l’utiliser au mieux, t’en fais pas ! »

Et effectivement, dès l’arrivée de l’engin, l’entreprise prit immédiatement une autre dimension. La terre fut prélevée à l’autre bout du poste et le remplissage s’accéléra jusqu’à ce qu’un incident malheureux, surtout pour les punis, vint le ralentir à nouveau. Le caterpillar posa dans le remblai un rocher pesant plusieurs tonnes. Hélas, il dépassait de plus de cinq centimètres. Calé entre les blocs de béton et d’autres cailloux de moindre taille, il était impossible à bouger sans mettre en danger la structure bâtie. Le spiess n’entrevit qu’une solution : la masse.

Il fit fabriquer par le casernement deux masses d’environ dix kilos. Les premiers essais se révélèrent peu concluants car les légionnaires punis, préposés au maniement de ces outils, s’évertuaient à en casser les manches afin de se ménager des larges plages de repos. Mal leur en prit car le remède fut pire que le mal : les masses furent équipées de solides manches fabriqués avec des tubes d’acier. Leur utilisation était particulièrement désagréable, car les vibrations secouaient tous les os. A preuve, ce commentaire peu amène d’un brigadier qui expliquait à un camarade : « Ca vibre tellement que si je tiens le manche serré, j’ai le futal qui fout le camp ! ».

Satisfait de sa trouvaille, Graziani poussa son avantage jusqu’à faire fabriquer une masse de dix-huit kilos, équipée d’amblée avec le manche en acier. Bien que disgracieuse et particulièrement haïe, elle portait le joli prénom de « Julie ».

« Pourquoi Julie ? » interrogea le capitaine Bruno.

« Vieux souvenir de la section d’épreuve à Corte, et des concours de coup de masse qui y étaient organisés », répondit l’adjudant d’unité, « J’ai bien connu un gars qui y avait goûté pendant six mois et qui détenait le record, un certain Romero. Une vraie force de la nature : je crois que son record tient toujours. »

« Oui, et comme il n’y a plus de section d’épreuve, il devrait continuer de tenir. J’espère du moins que vous n’allez pas tout de même … Non, mon lieutenant, pas de concours de masse à l’escadron ! »

« Dommage, la saine émulation donne souvent des bons résultats sur les esprits tordus des légionnaires qui ont mérité une punition. » philosopha Graziani

C’est ainsi que les malheureux qui avaient la mauvaise idée d’arriver en retard, d’avoir une tenue imparfaite à la garde, un lit ou un placard non parfaitement rangés, firent connaissance avec Julie.

Bien entretenue et astiquée, elle bénéficiait d’une surveillance particulière de la part de l’adjudant. Ce qui n’était pas le cas des deux autres.

C’est ainsi qu’un soir, deux brigadiers-chefs qui arrosaient au centre de repos du légionnaire leur départ en permission, qui devait avoir lieu le lendemain, en vinrent à parler des trois « fillettes » que tous les militaires du rang connaissaient et haïssaient au plus haut point.

« J’t’en ficherais moi de Julie et ses consœurs, j’te dis que c’est pas correct de traiter les punis comme des bagnards. J’en ai eu pour une semaine parce que j’étais resté collé avec une fille et que je suis arrivé à 5H45, avant le rassemblement mais, hélas, après l’appel. Une semaine de taule et une quinzaine d’ampoules aux mains ! » récriminait l’un des deux compères.

« C’est pas parce que j’y ai pas goûté que j’apprécie le traitement. C’est une épée de Damo… ch’ais plus comment, enfin un truc qui peut te péter à la gueule à n’importe quel moment. J’ai bien cru que j’y passerais le jour où le spiess a trouvé mes rouflaquettes trop longues à la revue de la garde. Il s’est contenté de m’envoyer chez le coiffeur. Ca m’a coûté mille dej mais j’ai échappé au pire. »

« Faut penser aux copains » reprit le premier, « Si on fait disparaître les engins, je ne crois pas qu’il pourra en fabriquer d’autres. En tout cas ça prendra du temps et c’est toujours ça de gagné.  Elles sont déposées dans le magasin du service général. Il est tout le temps ouvert et la nuit il n’y a personne pour voir. On s’y glisse, on récupère les trois masses, on les fait disparaître et, ni vu ni connu j’t’embrouille, demain nous sommes permissionnaires et au-dessus de tout soupçon. »

Deux bières plus tard l’expédition était organisée. Elle fut immédiatement exécutée, mais hélas, la « môme Julie » n’était pas dans le magasin. Chaque soir l’adjudant d’unité la faisait récupérer et déposer dans son bureau, précaution qui révéla à cette occasion toute son utilité. Ils ne purent donc s’emparer que des deux  « petites ». Il restait à régler le problème de la disparition. Les cacher à l’intérieur du quartier était sans aucun doute peu prudent, les risques de les retrouver étant forts ; l’envoi par-dessus le mur paraissait insuffisant car une simple ronde les aurait rapportées ; la vente ou la cession gratuite aux artisans locaux était stupide et même suicidaire vu que l’adjudant aurait tôt fait de retrouver non seulement les masses mais aussi les responsables. Quoi en faire alors ? Un des deux amis eut une idée qui, vu l’heure avancée et l’alcool ingéré, révélait un esprit inventif et quelque peu poétique.

« Ecoute. Si on se met en tenue et que l’on sort en ville pour boire un coup, personne n’y trouvera rien à redire. On jette les deux masses par-dessus le mur, on sort par le poste de sécurité, on les récupère, on va les planquer dans l’oued puis, comme si de rien était, on prend le taxi et on descend sur Djibouti. On rentre à l’heure pour pas s’faire remarquer et le tour est joué. » Sitôt dit, sitôt fait et c’est avec la protection bienveillante de saint Antoine et saint Georges, tous deux sensibles aux souffrances des légionnaires, que les deux camarades réussirent leur coup. Ce fut une étrange cérémonie un peu surréaliste, digne d’un tableau de Dali,  que l’enterrement de deux masses de 10 kilos, par une nuit sans lune et dans un oued sans eau, par deux ombres furtives surmontées toutes deux par la blancheur d’un képi.

Le lendemain le chef de poste rendit compte de la disparition au spiess qui demanda immédiatement une sanction pour tout le poste de sécurité et régenta une enquête approfondie qui ne donna pas de résultat. Mais, constatant que le rocher était pratiquement arrivé au niveau requis, Graziani ne fit pas fabriquer des nouveaux outils et Julie n’eut plus à servir beaucoup.

Pendant que le remplissage s’effectuait, l’adjudant d’escadron ne se tournait pas les pouces : il fallait songer à équiper la place d’armes : mats des couleurs, éclairage, arrosage, plaque commémorative, gravier, autres décorations diverses… des accessoires parfois inutiles, souvent indispensables mais toujours coûteux et dont l’escadron n’avait pas le premier sou ou presque. Car l’ingénieux adjudant avait mis au point un système pas très éloigné du racket pour renflouer les caisses de l’escadron : la « caisse coiffeur ». Voilà comment cela marchait.

Le coiffeur du régiment ne venait à Oueah qu’une fois par semaine. Afin de rafraîchir, entre deux passages, la coupe du personnel de service, il avait été mis en place le matériel nécessaire (tondeuse, peignes, brosses, ciseaux, stérilisateur) auprès du bureau de semaine. En principe l’utilisation de ce matériel devait être gratuite mais, regrettant le gaspillage de cet énorme potentiel financier, l’adjudant avait établi un barème : 500 francs lorsqu’il s’agissait d’un militaire du rang, 1000 francs pour un « extérieur » ou un sous-officier et 1000 francs pour tout personnel qui se présenterait à la prise de service en ayant les cheveux trop longs, c’est à dire non coupés le jour d’avant. Ce petit « trafic » donnait quelques remords à Graziani, parce qu’il se faisait tout de même au détriment des légionnaires, mais il s’empressait de les étouffer, si besoin en buvant un coup, car, comme il disait, c’était tout de même pour la bonne cause.

Ce système permit de financer, parmi d’autres petites choses, le dispositif d’arrosage, installé à l’occasion d’un changement de tuyauterie. L’asperseur, placé au centre de la place d’armes, avait un rayon d’action de 10 mètres.  Mis en marche avec discernement, il limitait les envolées de poussière, si abondantes dans le pays surtout par temps de Khamsin, le vent brûlant du désert. Vu les difficultés d’approvisionnement en eau que connaissait le poste, ce n’était pas vraiment indispensable, mais à ce stade de la réalisation plus personne ne se posait trop de questions.

Graziani avait du reste plus d’une corde à son arc et son esprit imaginatif foisonnait d’idées qui permettaient à d’autres de payer, sans le savoir bien entendu, ce que l’escadron ne pouvait s’offrir.

Ce fut le cas par exemple des mâts des couleurs. L’installation avait commencé en même temps que le remplissage. Les plans prévoyaient trois mâts : un pour le drapeau national, un pour le drapeau djiboutien et un, central, pour la flamme Légion et la flamme orange du « caïd » symbolisant la présence du capitaine dans le poste. Le casernement ne disposait que de deux poteaux électriques, qu’il avait habilement transformés pour les adapter à leur nouvelle utilisation. Il en manquait donc un. C’est à l’occasion d’une liaison avec le régiment qu’un camion s’égara dans les faubourgs de la capitale, le quartier de Balbala. Il en ressortit une demi-heure après : il transportait un objet fin et long qui dépassait de la caisse de plus de trois mètres. L’arrivée vers 13 heures au camp Brunet de Sairigné, se fit dans une grande discrétion, car les cadres étaient à table ou au bar. Cette initiative du chef de bord, qui engageait tout de même la sécurité, n’eut d’autre répercussion que de freiner durablement le développement économique de la jeune république de Djibouti. Les trois poteaux furent ainsi dressés au bout de la place d’armes par l’entreprise Colombo, la même qui procédait à l’installation des poteaux électriques de l’Electricité de Djibouti et qui connaissait donc le matériel. Cette opération fut l’occasion, pour les « tailleurs de costards » habituels, d’afficher sur le panneau d’information que le nouveau chant de la section de commandement était désormais: « C’est un fameux trois mat fin comme un oiseau, hissez-haut… ». D’autres plaisantins l’entonnaient, en sourdine, lors du passage du spiess qui vouait officiellement cette sale engeance aux gémonies, mais qui, somme toute, appréciait en connaisseur la plaisanterie.

Pour  le système électrique, ce fut une autre combine. L’EMIA avait chargé l’escadron de réaliser la piste nautique d’Arta-plage et avait mis en place une ligne de crédits. Profitant de l’aubaine, Graziani et le chef du casernement, « chargèrent » un tout petit peu les factures. Cela permit au second de compléter ses lots d’outils, bien éprouvés par les travaux en cours et au premier d’acheter quatre lampes de jardin, une quinzaine de spots, le matériel électrique nécessaire et l’installation de l’ensemble par l’entreprise Aubelec.

« Formidables, ces mecs, » avoua-t-il à son complice, « Ils ont accepté de nous l’installer pour trois fois rien, alors que tout le monde les trouve très chers. Va savoir pourquoi ! » Cela tenait essentiellement aux qualités « relationnelles »  que Graziani entretenait avec le personnel des entreprises : petits cadeaux symboliques, déjeuners d’affaires beaucoup moins platoniques et autres petites attentions qui « marquaient » ses interlocuteurs qui, de toute façon, trouvaient leur compte par ailleurs.

Le gros œuvre se terminait, il restait à apporter quelques touches finales parmi lesquelles l’inscription « LEGION ETRANGERE » sur un des murs de soutien de la place d’armes.

L’adjudant Graziani alla demander au capitaine des moyens financiers pour réaliser ce travail

« Pas de problème, mon lieutenant. Vous n’avez qu’à acheter la peinture noire ou blanche ou comme il vous plaira et me faire signer la facture. C’est entendu. » lui répondit le commandant d’unité.

« Je vais tout de même pas saloper ma place d’armes avec de la peinture qui va s’écailler et disparaître avant la fin de l’été. Sauf vot’ respect, c’est une plaisanterie, mon capitaine ! »

«  Que voulez-vous d’autre ? Ce n’est tout de même pas la huitième merveille du monde que vous nous montez là. » rétorqua Bruno, un peu vexé.

« Non mon capitaine. Mais j’aime encore mieux me débrouiller qu’adopter votre solution, qui est, si vous le permettez, un peu trop facile. » lui répondit Graziani dignement.

Et il se « débrouilla ». C’est à dire qu’il profita de l’escale du BAP Jules Vernes pour inviter des officiers mariniers et des marins à visiter le camp. La réception fut fastueuse et permit aux brigadiers-chefs de l’escadron de lier des nombreux contacts et liens d’amitié avec les militaires du rang du bâtiment. De nombreuses visites furent organisées d’un côté et de l’autre. Chacune d’entre elles se terminait par une cuite générale et un échange de souvenirs  et parmi les nombreux cadeaux il y eut les fameuses 15 lettres qui composent « LEGION ETRANGERE » découpées dans du cuivre de 4 mm d’épaisseur, pratiquement introuvable à Djibouti ou alors à des prix faramineux. Elles furent fixées au mur et éclairées par un spot placé derrière chacune d’entre elles. Cela donnait un très bel effet.

« C’est peut-être pas la huitième merveille du monde, mais, bordel, que c’est beau ! » s’auto congratula Graziani en la regardant.

Pour le gravier il n’y eut pas besoin de monter une grosse cabale. Le chef de corps, qui suivait les travaux avec intérêt, fut très impressionné par cette véritable œuvre de bâtisseur. Le colonel Charles proposa de payer le gravier en raison d’une couche de 5 centimètres. Le matériau était à chercher dans le dépôt d’une société auprès de laquelle le régiment avait un énorme avoir, fruit d’une tractation mal conduite. Graziani revint de la visite au dépôt et se rendit illico dans le bureau du capitaine.

« Retour de mission, mon capitaine. C’est pas bon du tout : les graviers sont trop gros et la couleur, je vous en parle pas. Autant couvrir la place d’armes avec du dégueuli d’ivrogne ! L’idéal serait que vous demandiez au colonel de nous accorder l’argent correspondant, et nous nous débrouillerons. » Ce qui fut fait. Avec la somme d’argent ainsi octroyé par le régiment, on put couvrir la place d’armes d’une belle couche de gravier fin et noir faisant plus de 7 centimètres d’épaisseur.

Restait la cerise sur le gâteau, la surprise du spiess, comme il l’appelait l’adjudant. Quelques jours avant l’inauguration, il fit installer au pied du mât des couleurs une magnifique plaque en acier de deux mètres sur un, enchâssée dans un cadre d’aluminium brossé. Partie en trois champs, de gueules, vert et d’azur, comme disent les héraldistes elle portait en son centre l’insigne de l’escadron, entourée par 22 insignes entrelacés d’autres unités de cavalerie de Légion, le tout verni avec trois couches de vernis marin spécial, destiné à éviter que la peinture ne s’écaille. Cette véritable œuvre d’art, signée par un numéro matricule (152340), fit l’admiration de tous, à partir du capitaine qui décida d’en faire la carte de vœux de l’escadron pour le prochain Noël. Nombreux furent ceux qui demandèrent des détails techniques : type de peinture, type de vernis, nom de l’artiste … Beaucoup moins nombreux, et heureusement encore, furent ceux qui s’intéressèrent à l’origine de cette belle plaque d’acier et de son cadre en aluminium qui, au prix du marché local devait coûter très cher.

Tout avait commencé par une facture présentée comme payée au commandant d’unité pour certifier la véracité de la dépense. Devant le regard interrogateur pour ne pas dire inquisiteur du capitaine, le spiess se sentit obligé d’affirmer : « Vous inquiétez pas, mon capitaine. Tout est carré. Il s’agit d’une manip purement administrative. Signez sans crainte, je vous expliquerai tranquillement plus tard. » Ce qui eut pour effet d’augmenter la suspicion du capitaine qui toutefois signa.

En réalité la facture ne faisait que donner une « existence juridique » à la plaque et surtout à son châssis dont l’origine était plus contestable. La base aérienne avait passé un marché pour changer les fenêtres des bâtiments. La plaque, l’encadrement et d’autres menus matériels, furent inclus dans le marché, bien entendu à l’insu des commanditaires. L’ensemble de la commande fut livré, inventorié, stocké et payé. La pose, à cause du retard accumulé dans la réfection des immeubles, ne devait avoir lieu que plus tard. Il suffisait, à ce stade, d’organiser la  récupération du matériel « commandé » par l’escadron. Ce fut l’adjudant lui-même, secondé par le brigadier-chef Roméo, celui qui avait déjà participé à la récupération du ciment, qui se chargea de la mission. L’action se déroula en pleine semaine, pendant les heures de service, sous le regard de nombreux témoins potentiels. Arborant la fameuse facture certifiée par le capitaine et un visage digne de la plus haute confiance, Graziani, qui pourtant n’en menait pas large, récupéra son dû avec la complicité, bien involontaire, d’un adjudant de l’armée de l’air qui procéda, tout naturellement, à l’actualisation du stock faisant ainsi disparaître tout à fait officiellement tous ces matériels. Bon garçon, il proposa même à ce sympathique adjudant de Légion de l’inviter boire un apéritif au mess. Refus poli de Graziani qui, pressé de se faire oublier, prétexta la difficile route de retour et les délais qu’elle imposait : « Tu comprends ? Vu l’heure j’ai juste le temps de rentrer pour le rompez. J’en fais assez déjà pour pas faire du rab. » eut-il même le culot de dire, lui qui ne comptait jamais son temps. Lors de l’inauguration, admiratif devant cette véritable œuvre artistique, le chef de corps décida de rembourser la fameuse facture « payée » par l’escadron, rendant ainsi au capitaine les 294000 francs djibouti qu’il n’avait jamais déboursés.

 

 

PHASE 4 : l’inauguration

Le 1er février 1988, vingtième anniversaire de la création de l’Escadron, la place d’armes fut inaugurée comme prévu. Pour l’occasion il y eut une prise d’armes présidée par le chef de corps, suivie d’un spectacle « son et lumière » retraçant l’historique de l’unité.

Dernier clin d’œil de l’adjudant d’unité, la place d’armes était éclairée comme en plein jour par deux énormes phares halogènes fournis par l’entreprise Colombo, en échange d’un hangar en bois destiné normalement à la destruction. Ces phares ne seront pas perdus : ils seront ensuite installés sur le bâtiment troupe et sur le château d’eau.

Au cours de son discours, le chef de corps mit en exergue l’esprit bâtisseur et légionnaire qui avait animé tout au long de la réalisation les différents acteurs et remercia tout particulièrement ceux qui, de loin ou de près, il aurait pu ajouter consciemment ou inconsciemment, avaient aidé l’unité à réussir une telle entreprise. Au cours du cocktail qui suivit, d’aucuns furent surpris par l’absence, parmi les 230 invités, des représentants de la direction mixte des travaux du génie. L’adjudant Graziani, interrogé répondit : « C’est une question de tact. Vous comprenez, comme la direction n’a pas pu financer les travaux, il nous a paru inconvenant de les inviter. Cela eut été comme si on avait voulu leur montrer que l’on peut se passer d’eux. ».

Tard dans la soirée, une dame s’extasia auprès du spiess de la beauté du bosquet dans  lequel se déroulaient les festivités : « C’est rare sur le territoire de trouver autant de verdure. C’est un endroit charmant. Il n’y a que la Légion pour réussir de si belles choses. Comment avez-vous fait ? »

Galant, Graziani répondit : « Pour charmant qu’il soit, ce bosquet l’est beaucoup moins que vous, chère madame. Quant à comment il a été réalisé, c’est une longue histoire que j’aurai énormément de plaisir à vous conter un jour… si l’occasion se présente ».

Un témoin en bois des îles

FIN

 

Alviero FEDELI


Autre "Camerone" le combat de Santa Isabel

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Publié le 23 avril 2015 par légionnaires-officiers

Le combat de Santa Isabel est peu connu car il n’en revint que peu de survivants.

En 1866, toutes les péninsules du Nord du Mexique étaient en effervescence, des bandes harcelaient les postes et les petites garnisons. Dans la ville de Parras, il y avait quatre compagnies du 2e bataillon, sous le commandement du chef de bataillon Brian, fortes de 280 légionnaires appuyés par environ 250 mexicains des gardes rurales, sans grande valeur militaire.

Un fort contingent juariste, évalué à 1 500 hommes s’était établi à 3 lieues de la ville, sur les collines de Santa Isabel.

Le commandant Brian marcha imprudemment à l’ennemi et un seul légionnaire revint de cette expédition risquée, l’ordonnance du capitaine-adjudant-major. Le commandement avait emmené avec lui, trois de ses compagnies, soit 8 officiers et 177 hommes, ainsi que des mexicains auxiliaires. Il laissait à Parras la 5e compagnie, soit 80 hommes presque tous malades. Arrivé en vue de l’ennemi, le 1er mars 1866, il donna l’ordre d’attaque, sans avoir reconnu le terrain. La charge fut battue à 800 mètres de l’objectif, les légionnaires parvinrent essoufflés aux murs d’une hacienda. Aussitôt, il furent accueillis par une terrible fusillade mais poursuivirent leur marche sous le feu. Quelques-uns parvinrent au sommet et s’y firent tuer.

La cavalerie juariste survint dans la plaine, les auxiliaires mexicains s’enfuirent, les compagnies légionnaires firent demi-tour. Le chef de bataillon Brian blessé, essayait de garder le contact avec ses hommes et avançait lentement, soutenu par le sergent Racle. Les mexicains l’entourèrent, tuèrent le sergent puis achevèrent le commandant. Le combat dégénéra en duels confus, le flot ennemi submergeait les légionnaires. La petite colonne fut anéantie : 7 officiers sur 8 furent tués, 93 hommes abattus, 82 prisonniers dont 40 grièvement blessés furent emmenés en captivité. Beaucoup décédèrent de leurs blessures.

Après ce combat, les mexicains marchèrent sur Parras où la 5e compagnie, commandée par le lieutenant Bastidon se défendit âprement, ce qui permit au bataillon du commandant Saussier d’intervenir.

Trois jours après, les troupes du général Douay arrivaient à leur tour et purent constater l’étendue du désastre lorsqu’elles enterrèrent les morts.

Les légionnaires du commandant Brian, eux aussi n’avaient pas démérités à l‘exemple de ceux qui avaient fait « Camerone » quelques années plus tôt.

Christian Morisot


L'amour du Chef l'obéïssance...

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Publié le 21 avril 2015 par légionnaires-officiers


Mon ami Alviero Fedeli nous apporte son concours à placer sur ce blog quelques écrits qui reflètent parfaitement l'ambiance légionnaire. Un vrai régal. Les légionnaires-officiers commencent à participer à rendre ce blog intéressant, c'est une grande satisfaction, qu'ils en soient remerciés.

"Si dans l’imaginaire collectif et dans ce que l’institution légionnaire peut laisser entendre, Monsieur Légionnaire est un exemple d’obéissance et de dévouement pour ses chefs, il arrive parfois qu’il se sente quelques peu agacé par ce devoir. Il suffit d’une contrariété, d’un sentiment d’injustice et cet éternel adolescent affamé d’amour peut se révolter. N’allez pas imaginer une quelconque mutinerie, non, tout cela se fait avec panache et subtilité, une sorte d’obéissance aveugle qui renvoie le chef à plus de vigilance dans sa manière de donner les ordres. La plus belle illustration de ce « système » est la célèbre anecdote rapportée par Boncarrère. En Indochine, conviés par note de service au bal du gouverneur, des officiers de Légion se présentèrent avec, pour tout vêtement, leurs décorations « pendantes », prétextant, à juste titre, que sur la note de service, qui équivaut à un ordre, il était précisé : « Tenue : décorations pendantes ». Depuis, les notes de services, précisent toujours le numéro interarmées des uniformes.

Moins spectaculaires, des nombreuses histoires témoignent de cette « résistance » dont le légionnaire est capable. En voici quelques unes, totalement véridiques même si, pour des raisons d’anonymat les noms ont été modifiés et les dialogues quelques peu « arrangés ».

Tout droit.

Le caporal Khune attendait sa fin de contrat après un séjour à Djibouti. Affecté à la Compagnie administrative du personnel de la Légion Etrangère (CAPLE), il avait été détaché pour emploi et pour quelques mois, au Bureau du Personnel de la Légion Etrangère (BPLE) en qualité de conducteur d’autorité. Il était censé accompagner le chef du BPLE dans ses déplacements et rester donc à sa disposition. Evidemment, le lieutenant-colonel Blois ne se déplaçait pas tous les jours et, en dehors d’aller le chercher à son domicile le matin et de le raccompagner le soir, Khune n’avait pas une grande activité. Après avoir fait les niveaux de la 4L de service et d’avoir frotté carrosserie et vitres, il lui restait beaucoup de temps libre, qu’il passait à lire dans la salle d’attente.

Mais voilà, les bonnes choses ont une fin. Cette fin s’appelait sergent Flamand, nouvellement affecté au Groupe de Liaison informatique de la Légion Etrangère (GLILE-9), chargé de mettre à jour et exploiter l’extraction des données du personnel de la Légion du fichier national « Non-officier d’active ». En dehors du travail de réflexion, soit l’écriture des programmes avec leur corollaire d’études et d’analyses, le travail d’exploitation s’effectuait sur le Burroughs 2500 du Centre de traitement de l’information de la 7e Région militaire, sis à la caserne Bugeaud à Marseille. Pour la petite histoire, le GLILE avait pris le cardinal 9 car il y avait à l’époque un centre de traitement de l’information pour chaque région militaire (donc 7) et un pour le Forces françaises en Allemagne (c’était encore leur appellation). Le GLILE venait donc en neuvième position.

Un officier et quatre sous-officiers composaient le GLILE-9. Jusque là, ceux qui se rendaient au CTIR7, effectuaient le déplacement avec leur véhicule personnel, le trouvant sans doute plus confortable que le véhicule de service. Mais le jeune sergent, non encore régularisé d’état civil, c'est-à-dire servant encore sous un nom d’emprunt, n’avait pas de permis et encore moins de véhicule. Le chef du BPLE, mis au courant du problème, avait immédiatement mis sa voiture et le chauffeur à la disposition du GLILE-9 pour ces déplacements.

Pour le caporal Khune, fini la tranquillité : 4 à 5 fois par semaine, le voilà parti pour accompagner le sous-officier. Si ce n’avait été que cela… Le statut de « conducteur du chef du BPLE » donnait le droit au caporal, de dîner à la « petite-soupe », servie avant le dîner commun. Or, le retour de mission ne s’effectuait qu’après 18H30, voir plus tard, et Khune se retrouvait à dîner au mieux avec les autres, ou pire, après, lorsque le repas était presque froid. De plus, le jeune sous-officier, frais issu des rangs du Groupement d’Instruction de la Légion Etrangère du 2e Etranger (GILE) où il était instructeur à la Compagnie d’instruction des cadres (CIC), était sinon pédant, du moins un peu trop « scolaire », voire psychorigide, sur les rôles du conducteur et du chef de bord : visite avant le départ, entretien du véhicule à la halte, conducteur en place dès lors que le véhicule n’était pas au quartier… En outre le jeune gradé avait des règles en conformité avec la rigueur propre à l’instruction, mais bien loin des habitudes des régiments opérationnels : interdiction de porter des lunettes de soleil, retenues incompatibles avec la tenue militaire, interdiction de mâcher du chewing-gum pendant la conduite, obligation de porter la coiffure dès lors que l’on n’était plus dans un bâtiment… Bref, le dialogue entre caporal et sergent se limitait à une longue litanie de « fais pas ci… fais pas ça… » auxquels il fallait répondre « A vos ordres, sergent ! ». Non, pour être tout à fait honnête il faut ajouter que le sergent Flamand, prenant son rôle de chef de bord très au sérieux, entre deux remarques il s’évertuait, bien que Khune connaisse le chemin, à lui indiquer la route.

Les jours et les semaines passaient, sans que des changements notables vinssent changer les choses.

Ce jour là, Khune espérait encore plus que d’habitude qu’il n’y ait pas de mission  pour le GLILE. Hélas, au retour de la petite-soupe, vers 12H15, le sergent l’attendait : « Caporal, cet après-midi nous allons en mission à Marseille. Va faire le plein, mets à jour le carnet de bord et tiens toi prêt car je compte partir dès 14H00 ! ». Le caporal se contenta d’un laconique : « Reçu, sergent ! ». « Tu me prends pour un poste radio ? Tu ne peux pas tous simplement dire : à vos ordres sergent ? », s’exclama alors Flamand et il enchaina en lorgnant vers la tenue du caporal, qui portait les plis d’une utilisation journalière ; « Puis, regarde un peu ta tenue, t’as intérêt à la repasser d’ici demain ou je ferais une demande de punition pour tenue négligée ! ».

« Sergent, il y a un problème avec les fers à repasser dans les chambres de la CAPLE : dès qu’on est plus de deux à repasser, les plombs sautent. Hier soir, il y avait toute la relève de la garde qui devait repasser la tenue et l’adjudant d’unité m’a dit que je n’étais pas prioritaire. » s’expliqua Khune. « Je ne te demande pas de me raconter ta vie pleine de trous, caporal, mais d’avoir une tenue correcte pour représenter la Légion là où nous nous rendons. ». Puis il tourna les talons et partit en direction du Mess sous-officiers pour déjeuner.

Khune, ferma dans un premier temps le carnet de bord avec le relevé kilométrique, puis vérifia les niveaux et, comme il avait fait le plein le matin avant d’aller chercher le chef du BPLE à son domicile, il décida de ne pas se déplacer pour si peu, certainement un litre ou deux.

A 13H45 le sergent était de retour, récupérait les dossiers d’exploitation et les consignes de travail puis rejoignait le véhicule. Après avoir vérifié l’état et la propreté de la voiture, il demanda le carnet de bord pour contrôler s’il était ouvert et si le plein avait été fait. « C’est quoi ce bordel, caporal, ne t’ai-je pas dit de faire le plein ? » s’exclama-t-il en constatant que ce n’était pas fait. Khune essaya de s’expliquer : « Sergent, j’ai fait le plein ce matin, avant d’aller récupérer le colonel, alors j’ai pensé que… », « T’es pas payé pour penser mais pour exécuter des ordres. Je pense et tu fais ce que je te dis ! » lui rétorqua le sergent : « Le règlement précise que les pleins doivent être faits avant tout départ en mission. Alors, pour cette fois on partira en l’état car je ne veux pas être mis en retard par ta faute, mais gare à toi la prochaine fois. Non exécution d’un ordre reçu, ça peut aller chercher loin ! Contente-toi de faire strictement ce que je te dis ! » puis il prit place dans la 4L.

Dès la voiture démarrée, le sergent donna ses instruction : « A la sortie du quartier tu tournes à gauche, tu ne prends pas tout de suite l’autoroute pour Marseille mais tu vas jusqu’au rond-point à l’entrée d’Aubagne, tu tournes au tour du rond-point et tu reviens pour prendre l’entrée d’autoroute. ». C’était, bien entendu, le parcours habituel et Khune le connaissait par cœur. Il espérait toutefois un répit sur l’autoroute, du moins jusqu’à la sortie de la Pomme, mais ce jour-là il n’en fut rien. Flamand était en pleine forme : « Roule à droite et ne dépasse pas 90 kilomètres/heure ! » commença-t-il dès les premiers mètres d’autoroute. Devant le silence un peu buté du caporal, il reprit : « T’as pas appris à dire : à vos ordres ? qui t’a fait l’instruction ? ». Khune se fendit d’un « A vos ordres sergent ! » à peine audible et manquant visiblement de conviction. En arrivant à la sortie de la Penne sur Huveaune, les consignes reprirent : « Mets ton clignotant et déplace toi sur deuxième file pour laisser rentrer les autres usagers. Puis remets ton cligno et reviens à droite ! ». C’est à peine si Khune s’entendit dire « A vos ordres, sergent », tant il avait la haine… Il savait aussi que le pire, le parcours en ville, était à venir.

Toujours sous l’assistance du sergent, le parcours se déroulait sans autres anicroches que les échanges « Fais ci ... fais pas ça… » de l’un et les « A vos ordres, sergent ! » de l’autre. C’est en arrivant devant la gare de la Blancarde que l’idée jaillit dans le cerveau du caporal. Flamand, à l’accoutumé, lui donna les consignes : « Reste à droite et suis le boulevard Marechal Foch, en face, puis, en arrivant  au rond point en bas du boulevard, tu iras tout droit. ».

Il aurait dû se méfier, car le « A vos ordres sergent ! » était d’un ton plus sûr, plus convaincu !

Khune s’engagea sur le boulevard et prit un tout petit peu de vitesse. Observant le trafic, il s’arrangea pour ne pas être obligé de s’arrêter avant le rond point, puis, en y arrivant il partit tout droit,  se payant le rebord et atterrissant dans le parterre du rond point. Le sergent assena une calotte sur la tête du caporal tout en s’exclamant : « Bougre d’âne, connard, débile profond… T’es bourré ou quoi ? T’as vu ce que tu as fait ? Je ne sais même pas si nous pouvons en sortir, il va falloir appeler la dépanneuse. Je vais demander que tu sois foutu en tôle jusqu'à la fin du contrat… ». Khune, laissa passer les premières bordées puis, calmement, il répondit : « C’est vous qui m’avez dit d’aller tout droit. Après tout, je ne suis pas payé pour réfléchir mais pour exécuter vos ordres ! ». Après un premier mouvement de colère, Flamand reconnut en son fort intérieur que c’était vrai et qu’il venait de recevoir une leçon de « Formation Légion » bien méritée. Il organisa le dépannage de la 4L, qui au passage avait subi quelques dommages, De retour au quartier, il convia Khune au foyer pour boire une bière ensemble, puis, conformément au règlement et à la satisfaction du caporal, il rédigea un rapport et une demande de sanction : il demanda 10 jours d’arrêts pour le conducteur et … 6 jours pour le chef de bord.

Dans ce cas, la sanction apparait presque comme un titre de gloire. L’histoire fait rapidement le tour du régiment et tout le monde, y compris la « victime », reconnaît un certain panache, voir une part de courage pour braver ainsi l’autorité. Quant au gradé, il  comprend la fronde apprécie l’hardiesse et, s’il est bon, il ne commettra pas l’erreur une seconde fois.

Mais d’autres fois la fronde devient plus franche et le refus d’obéir ne s’encombre plus de faux semblants. Alors, seul le panache de la réponse, va forcer l’admiration des légionnaires et des cadres, les contraignant à la modération.

Tu vas savoir comment je m’appelle.

« Putain, Piriou, tu n’peux pas me faire ça, pas toi, pas à moi… », s’exclama l’adjudant Brindisi en lisant la note de service pour l’organisation de la remise des képis blancs à la section du lieutenant Lalboche.

« Je regrette, vieux, mais t’es la seule section disponible : Fritz est au raid de fin de section et Franchi est de service régimentaire. Il ne reste que toi. » lui répondit l’adjudant d’unité.

« Mais tu sais que le lieutenant Lalboche et moi, c’est la guerre : c’est tout juste si l’on s’adresse la parole… »,

« Je sais, et je sais aussi que les adjoints se tirent dans les pattes avec les perceptions et que les caporaux font un concours de beuglements tous les matins. Le vieux le sait aussi, tu penses bien ! », lui répondit d’un ton péremptoire Piriou.

Brindisi admit que l’inimitié entre les deux chefs, avait déteint sur tout l’encadrement des sections : les sous-officiers adjoints s’accaparaient du matériel d’instruction ou demandaient des perceptions ou des réintégrations dans l’objectif de se gêner l’un l’autre et les caporaux, en attendant le rassemblement, faisaient chanter les deux sections simultanément en essayant de surpasser l’autre plus en quantité de décibels que en qualité de chant…

Piriou le sortit de sa rêverie en lui demandant : « Et si tu m’expliquais les raisons d’une telle inimitié ? Je t’avoue que ni moi ni le capitaine n’y comprenons rien. ».

Brindisi lui répondit : « Ecoute vieux, c’est une longue histoire. Si tu veux en savoir le fin mot, t’as qu’à m’offrir une bière au club. ».  Piriou sourit et invita Brindisi à le suivre tout en le chambrant : « Vieille histoire ? tu m’en diras tant. Ca fait deux mois que le lieutenant est là… Dis plutôt que t’as soif ! ».

Les deux sous-officiers s’installèrent au comptoir du club compagnie et Brindisi entreprit son récit.

« Tout a commencé il y a 3 ou 4 semaines. J’avais réservé la zone 1 au domaine Saint Jean (1), tu sais, celle qui va du parcours du combattant au stand ball-plast (3) et au golf-grenades (4) ? Bon, j’y arrive avec ma section et j’y trouve ce blanc-bec, installé sur le plateau à côté du stand de tir. Je lui demande poliment ce qu’il fiche là, et il me répond qu’il a réservé le stand et qu’il occupe le terrain à côté pour des ateliers ordre serré, instruction de tir et français. Je reste poli mais je fais valoir que j’ai retenu cette zone pour l’instruction combat et là, sais tu ce que trouduc me répond ? », « Non, mais tu vas certainement me le dire ! » interjeta Piriou, «  Et comment je vais te le dire, à condition que tu m’en paye une autre. Donc, l’animal me répond que le terrain fait partie du stand et que de toute façon il ne bougera pas ! Il me sort un truc du genre : ‘possession vaut droit’. J’t’en foutrais mois de droit et de possession ! » s’exclama Brindisi en vidant goulument sa bouteille.

Piriou l’observa, un peu interloqué, puis lui demanda : « Et alors, qu’as-tu fait ou répondu ? ».

« Que veux-tu que je fasse ? J’ai fermé ma gueule. J’n’allais pas lui fiche mon pied au cul devant toute la section. Note que ce n’était pas l’envie qui m’en manquait… J’ai pris ma section et je suis allé ailleurs. Mais j’ai donné les ordres à Kintz pour qu’il emmerde au maximum cette section. D’où tout ce que tu as remarqué. », conclut Brindisi en attaquant la deuxième 33 export.

« Ca fait un bel bordel pour pas grand-chose », lui répondit Piriou, « Ce que je peux te dire c’est que de toute manière c’est toi qui fournira la section d’honneur pour le lieutenant Lalboche et que je ne peux rien y changer. Au contraire, ça sera peut-être l’occasion, au pot qui suivra la cérémonie, de se parler et arrêter les conneries ! Je te laisse, j’ai un boulot, moi ! » dit Piriou en se levant et en prenant congé. « Et moi, des convictions ! » termina Brindisi en soulevant sa boisson à l’adresse de son camarade.

Originaire du Piémont, engagé en 1959, Brindisi avait vécu la fin de la guerre d’Algérie et la déception de l’abandon de ce beau pays. Affecté depuis son retour de Madagascar, au Groupement d’instruction de la Légion Etrangère (GILE) du 1er régiment étranger, il considérait cette affectation, sa première hors d’un régiment opérationnel, comme une sanction injustifiée. Il s’y prêtait toutefois, sinon de bonne grâce, du moins sans réelles réticences, laissant par ailleurs courir des bruits qui asseyaient solidement sa « mauvaise » réputation. Il se racontait, entre autres, que lors d’un footing dans les gorges de la Restonica, petite rivière qui contournait le piton de la Citadelle de Corte pour rejoindre le Tavignano, un jeune légionnaire de sa section avait eu un malaise. L’adjudant, l’aurait obligé à continuer de courir jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus. Il l’aurait alors laissé seul, à moitié dans les vapes, continué le footing avec le reste de la section et n’aurait alerté les secours qu’à son retour au quartier. Le jeune en serait mort…

Inutile de dire qu’il y avait aucune chance que ce récit soit véridique ; dans un régiment opérationnel personne n’y aurait cru, mais dans un détachement d’instruction, avec l’aide de l’image « romantique » encore présente dans les esprits des jeunes recrues, ça ne laissait aucun doute…

Arriva enfin la soirée de la cérémonie. Piriou avait fait élever un grand bûcher sur le plateau au pied di Nid d’aigle, partie la plus haute de la Citadelle, puis il avait tendu des cordelettes pour marquer les emplacements de chaque section : au centre, la section qui recevait le képi blanc, d’un côté la section d’honneur à 1.3.18, (comprenez : un chef de section, trois chefs de groupe et 18 légionnaires) et de l’autre côté les cadres sans troupe, généralement les sous-officiers administratifs de l’unité, les délégations des autres sections et quelques invités. Les emplacements du commandant des troupes, de l’autorité présidant la cérémonie (la plupart du temps le commandant d’unité, parfois le chef de corps) et du légionnaire qui serait chargé de promettre, au nom de tous les autres, de servir avec honneur et fidélité, étaient matérialisés par des ronds de craie pilée, le chemin par lequel l’autorité arriverait, était balisé par des brulots.

Le déroulement de la cérémonie n’a que très peu changé depuis : les troupes sont présentées au commandant d’unité qui ordonne : « Coiffez vos képis blancs ! », les légionnaires s’exécutent avec un bel ensemble, fruit d’un entraînement de deux ou trois jours, puis le capitaine ordonne de remettre les insignes et fourragères et l’encadrement de la section passe dans les rangs pour accrocher l’insigne régimentaire à la poche de poitrine droite et, s’il y a lieu, la fourragère sur l’épaule gauche. Puis un légionnaire, choisi entre les meilleurs, sort du rang et s’avance jusqu’à la marque qui lui est destinée et prononçait la phrase : « Nous promettons de servir avec honneur et fidélité ! », il fait demi-tour et rentre dans les rangs. Aujourd’hui cette phrase est remplacée par la récitation des sept articles du code d’honneur.

Afin de mettre en valeur la blancheur des képis, la cérémonie se passe souvent en soirée.

Brindisi prit place avec sa section à l’heure prévue. Piriou remarqua qu’il avait la tête des mauvais jours mais il se dit qu’il était là, et c’était déjà un point positif. Le sergent de jour procéda à la mise en place et à l’alignement de la section, puis commanda le « repos ». La section Lalboche était quant à elle déjà installée et le lieutenant s’était déjà mis à hauteur de la marque destinée au commandant des troupes. Il fallait attendre l’arrivée du capitaine car, comme le disait en blaguant lourdement Piriou, « Soleil arrive quand soleil s’en va ! », car le capitaine (en procédure radio « soleil »), était censé arriver à la tombé de la nuit, quand le soleil serait parti. Piriou se tenait par ailleurs prêt à mettre le feu au bûcher.

Lorsque le capitaine Cazals fut en vue, le jeune lieutenant, pour qui le stress de la première cérémonie avait été augmenté par l’attente, rectifia sa position et lança d’une voix forte : « A mon commandement, présentez…armes ! ». Il s’en suivit, au lieu des claquements secs attendus, un roulement chaotique de crosses frappées. Avec consternation, le lieutenant s’aperçut qu’il avait omis, avant de commander le « présentez-armes », de mettre les troupes au « garde-à-vous ». Les légionnaires s’étaient donc exécutés mais avec maintes hésitations. Perdant contenance, Lalboche ne sut que regarder Brindisi qui était resté ostentatoirement au repos.

« Brindisi, vos légionnaires sont au présentez-armes, vous pourriez vous mettre au garde-à-vous ! »

Piriou, sur les rangs des sans troupe, s’adressa à son voisin à voix basse : « Putain, ça va chier dur ! ».

En effet, Brindisi, se mit au garde-à-vous, sortit des rangs, exécuta un demi-tour droit impeccable et s’adressa à ses légionnaires : « Bande de brèles, on n’exécute aucun mouvement de pied ferme à partir de la position repos. Vous ne méritez pas d’être la section d’honneur. Reposez…armes, repos, gaadavous, à droite-droite, à la disposition du sergent de jour pour retourner dans la chambre ! », puis il partit en direction de l’escalier qui descendait vers la compagnie. Tous les présents étaient sidérés, le sergent de jour de la section comme les autres et n’osant pas sortir de rangs pour exécuter le commandement de son chef. Lalboche, essayant de sauver la face, rappela l’adjudant : « Brindisi, revenez à votre place ! Je suis votre lieutenant et vous me devez le respect ! ». Brindisi s’arrêta et se retourna, prit une inspiration et répondit d’une voix sourde : « Je m’appelle Julio pour les femmes, Brindisi pour mes amis, et mon adjudant pour les petits cons comme toi ! » puis il reprit son chemin. C’est alors que le Cazals prit la parole et, d’une voix ferme dit à l’adresse de l’adjudant : « Brindisi, vous pourrez ajouter un nom à votre panoplie, car, dans mon bureau demain matin vous allez vous entendre appeler Arthur ! ».

Notes.

(1) Domaine Saint Jean : vaste domaine, situé au pied du pic de la Punta del Corbo,  en face de la Minoterie, cantonnement de la Compagnie d’instruction des cadres et des spécialistes (CICS). Il était délimité au Nord par la RN200, au Sud par la voie de chemin de fer, à l’Est par la piste d’instruction de conduite et à l’Ouest par le chemin d’accès à la Section d’épreuve (2). Parsemé de petites constructions, anciens abris d’agriculteurs et bergers, il disposait de nombreuses installations d’entraînement physique, technique et tactique : parcours du combattant, piste du risque, golf-grenades, piste combat anti-char, stand de tir ball-plast... Il était en outre divisé en « zones d’instruction tactique et de bivouac» des vastes plateaux non mieux délimités que par des murettes à moitié écroulées et par l’habitude des utilisateurs.

(2) Section d’épreuve : unité héritière des compagnies de discipline elle était situé au nord du domaine Saint Jean. Entourée de murailles en pierre sèche de 2 mètres de haut et d’un de large, montées par les légionnaires qui y étaient affectés. L’affectation dans cette unité constituait une sanction décidée par une commission d’enquête qui faisait suite à une faute grave ou à de l’inconduite habituelle. Elle était organisée en deux groupes : le groupe d’instruction, à la discipline très dure, et le groupe de combat, à la discipline dure. Les légionnaires affectés à la section d’épreuve travaillaient dix à douze heures par jour à des tâches pénibles et, parfois, sans réelle utilité. Les séjours, à l’époque, ne dépassaient que très rarement les trois mois, l’objectif étant de favoriser la réinsertion du légionnaire dans une unité plus classique.

(3) Ball-plast : munitions à balle en plastique, destinées au tir à courte distance. Dotées d’une forte vitesse initiale et donc une trajectoire avec peu de flèche, elles étaient utilisées pour permettre un bon réglage des armes.

(4) Golf-grenades : parcours parsemé d’obstacles qui représentent différentes situations d’emploi des grenades à main : fenêtre, trou de combat proche ou loin, vasistas, tourelle de char. Il se parcourt en courant d’un obstacle à l’autre et en transportant une musette contenant les grenades inertes.

Seule la prompte réponse du capitaine a atténué l’impact que l’insubordination de l’adjudant aurait pu générer auprès des légionnaires. C’est une manière de reprendre la main, de garder l’initiative, d’avoir le « dernier bon mot »  et, quelque part, de « poser son personnage ». Les légionnaires y seront sensibles et, tout en admirant le présumé panache de l’adjudant, il reconnaîtront celui du capitaine qui aura, non sans humour, répliqué en asseyant son autorité sans l’agiter comme un étendard."

Alviero Fedeli


A 10 jours du 152ème anniversaire de Camerone

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Publié le 20 avril 2015 par légionnaires-officiers

CAMERONE 30 avril 1863.

CAMERONE 30 avril 1863.

Il est toujours intéressant de temps à autre de fréquenter la salle d’archive du musée de la Légion, on y apprend énormément de choses. Notre faiblesse est de considérer  « paroles d’évangile » certains récits d'historiens qui ne méritent pas cette qualification et romancent à leur gré et à tout va l'histoire. Soyons donc vigilant sans naïveté, heureusement, il  existe des témoignages, de vrais trésors pour les amoureux d'histoire.

« Il eut été vraiment dommage », écrit le général de Villebois-Mareuil, dans un article paru en 1896 dans  la revue des deux mondes, de priver la Légion de l’immortalité de Camerone.

Tout est dit ! De décembre 1861 à mars 1875, il n’existe plus qu’un régiment étranger. Au début de 1863, on apprend à la Légion que les  zouaves  (prononcé "ouaves" par les légionnaires qui ne souhaitent pas de liaison avec ces gens là...),  embarquent afin d’aller faire la guerre en Amérique Centrale. Grand émoi dans les mess et dans les endroits où les légionnaires se retrouvent pour boire et retrouver un peu leur passé… au fond d’un verre. La Légion n’est pas prévue pour faire partie du corps de débarquement. C’est pour l’ensemble des hommes du régiment étranger inadmissible, inimaginable, une vexation. Les officiers subalternes du régiment adressèrent directement une pétition (j’imagine cela aujourd’hui !) à l’empereur Napoléon III. L'impératrice Eugénie use de son influence auprès de son époux impérial et intervient au profit des légionnaires. Il ne pouvait en être autrement, c’était encore, comme disaient les légionnaires : « un sacré tour de ces damnés bureaux qui ne connaissent rien à la Légion.  En hommage, les légionnaires chantent « Eugénie », nul ne sait si, en partant pour le Mexique ceux-ci avaient les larmes aux yeux, mais ce qui ne faisait aucun doute, c'est qu'ils étaient bien contents de partir.

Ainsi donc, le 28 mars 1863, le Régiment Etranger débarque à Vera-Cruz.

La puissance d’une atmosphère exotique Mexicaine agit profondément sur tous les légionnaires dont l’imagination est fertile et même pour certains… ardente. Le régiment est commandé par le colonel Jeanningros, la Légion avait la mission de la garde des terres chaudes, pernicieuse contrée qui avait pour but d’assurer les communications entre Puebla et Vera-Cruz. Ce n’était pas la plus désirable des missions.

Les terres chaudes comme leur nom l’indique est une région du Mexique couvée par un soleil infernal qui distribuait sans compter le Typhus, les fièvres et le « vomito négro ». Sous ce soleil, le paysage se transformait en un bagne incandescent, les légionnaires devaient assurer la protection des convois contre des partisans féroces éparpillés adroitement dans ces régions hostiles.

C’est en accomplissant ce lourd travail meurtrier et quotidien que les légionnaires vont inscrire le plus beau fait d’armes de leur esprit de sacrifice : « Camerone », un nom qui sera brodé sur la soie de leurs drapeaux.

Au petit matin du 30 avril 1863, la 3e compagnie du 1er bataillon commandée par le capitaine Jean Danjou, forte de 62 hommes reçoit l’ordre de se porter au devant d’un convoi très important qui se dirige sur Puebla. La mission est d’explorer les environs de Palo-Verde et de disperser  les guérillos qui y sont signalés. Le petit jour se lève à peine que déjà les légionnaires ont atteint le petit poste de Paso del Macho. Personne ne soupçonne que 1200 fantassins et 850 cavaliers surveillent la colonne Danjou, profitant d’un terrain boisé pour se dissimuler.

La compagnie Danjou atteint le point d’eau de Palo Verde et met sacs à terre. Les sentinelles sont mises en place et surveillent les quatre points cardinaux. L’excellent café du matin embauche, quand, une sentinelle appelle aux armes, les marmites de café sont renversées, la compagnie se replie. Tout à coup, la plaine se peuple de cavaliers mexicains; l’air manque autour du détachement. Du côté de Camaron, un nuage de poussière monte en trombe, le capitaine Danjou  se dirige vers le village.

Suit le récit du déroulement du récit du combat.

Le lendemain, un des blessés survivants est désigné par ses camarades du soin d’adresser un compte rendu du combat au colonel Jeanningros. Il écrivait : « la 3ème du 1er est morte, mon Colonel, mais elle en a fait assez pour que, en parlant d’elle, on puisse dire : elle n’avait que de bons soldats ».

Le culte de Camerone est célébré chaque année, vers la fin de 1863, le régiment a perdu 11 officiers et 800 hommes sur les 1400 de son effectif. Au total la campagne du Mexique a coûté au Régiment Etranger, tués à l’ennemi ou morts de maladie : 31 officiers et près de 1917 sous-officiers et légionnaires, mais la Légion rapportait dans les plis de son drapeau la gloire de Camerone. Le régiment rejoignit l’Algérie en 1867, il n’avait pas eu le temps de se reconstituer que la déclaration de guerre à l’Allemagne mettait à nouveau les légionnaires sur la brèche. Après avoir été donnée à l’Espagne et participé aux soutiens familiaux de l’empereur Napoléon III, avec en filigrane sa dissolution programmée, la Légion reprenait le chemin de la gloire qui ne cessa  d’être fait avec honneur et Fidélité.

Christian Morisot


Une visite inopportune de monsieur Todeschini , Secrétaire d’Etat chargé des anciens combattants en Algérie.

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Posté le jeudi 16 avril 2015

L’Union Nationale des Combattants a appris avec stupeur l’annonce du prochain voyage du Secrétaire d’Etat chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire en Algérie du 19 au 21 avril prochain pour participer à la commémoration du massacre de Sétif du 8 mai 1945.

Elle tient à faire connaitre sa totale réprobation vis-à-vis de ce « voyage mémoriel (sic) » qui, en aucun cas ne contribue à apaiser la mémoire mais bien au contraire s’inscrit dans une démarche supplémentaire de repentance de notre pays, démarche que l’UNC condamne totalement et qu’elle avait déjà dénoncée lors d’un communiqué du Secrétaire d’Etat en décembre dernier.

La présence d’un membre du gouvernement de la France à une cérémonie où notre pays court le risque d’être une fois de plus vilipendé et invité à s’excuser constitue de nouveau pour les anciens combattants, les harkis et les pieds noirs une provocation inacceptable.

Elle estime que nos relations avec l’Algérie devraient s’inspirer davantage d’une mémoire partagée où chacun assumerait réciproquement ses zones d’ombres tout en traçant pour l’avenir une coopération solidaire pour faire face à la menace commune, à savoir le terrorisme.

Site internet : www.unc.fr

Adresse postale : 18, rue Vézelay – 75008 PARIS (Métro : Villiers)

Tél : 01 53 89 04 04   -  Fax : 01 53 89 04 00  - E-mail : Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.

L’ASAF partage sans réserve les termes du communiqué de l’UNC.


Christophe Lafaye: « la guerre en Afghanistan est la première guerre sans nom du XXIème siècle »

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Auteur d’une thèse sur le génie en Afghanistan, Christophe Lafaye a une formation d’historien. De 1994 à 1998, il a passé sa licence à Bordeaux 3 avant d’effectuer une maîtrise sur la chute de Dien Bien Phu et la 3ème DBLE. À cette occasion, il a recueilli des témoignages oraux et il a consulté des journaux de marche. En 2000/01 il écrit son DEA d’histoire sur l’histoire du 5ème REG. Il a effectué également son service militaire au 1er RE d’Aubagne. De 2002 à 2010, il travaille dans le secteur culturel à Besançon. Ayant envie de faire autre chose, il décide de monter un projet sur le génie en Afghanistan, en s’appuyant au départ sur les deux régiments du génie de la région : le 19ème à Besançon et le 13ème à Valdahon. Il est déjà un habitué des conflits coloniaux et il a pu se familiariser avec les savoir-faire du génie. Il retrouve également le même vocabulaire. Réserviste depuis septembre 2010, il se met en disponibilité du service public pour une enquête de terrain qui durera trois ans où il recueillera plus de cent témoignages. Il s’entretiendra également avec les généraux Irastorza et Georgelin. À Besançon pour un cycle de conférences sur la guerre en Afghanistan, il a accepté de répondre longuement à nos questions, abordant le travail de l’historien, l’armée française, l’Afghanistan, les questions de Défense, les enjeux tout au long d’une interview passionnante.

Pour faire son travail, Christophe Lafaye s’est concentré sur tous les domaines de compétence. Il a constitué de véritables fonds d’archives pour l’occasion, grâce aux données collectées. Il était donc à la fois historien et archiviste. Dans le traitement des sources, il reconnait que sa méthode était un peu particulière : « j’étais aussi un sociologue car j’analysais des recueils de vie mais j’étais également un anthropologue car j’étudiais l’institution de l’intérieur. » Sa démarche a été bien accueillie par les militaires : « j’avais un statut de chercheur tout en étant un officier de réserve. J’avais donc les clés, les codes pour comprendre et les mettre en confiance. Grâce à mon autonomie de chercheur, ils savaient que je ne venais pas de la hiérarchie. » Il a cependant rencontré certaines limites notamment à la Légion car certains légionnaires ne comprenaient pas toujours le but de la démarche. L’historien nous raconte cette anecdote où à la fin de l’entretien, un légionnaire lui dit : « ça va mon lieutenant, j’ai bien parlé ? »« Je savais donc qu’il m’avait dit ce que je voulais entendre. Je ne pouvais donc pas me servir de son témoignage. » Quand on lui parle d’histoire immédiate et du possible problème du recul, l’historien est catégorique : « que cela soit de l’histoire ancienne ou de l’histoire contemporaine, la problématique est toujours la même. Le recul est un non-sens. L’historien doit toujours critiquer les sources et nuancer ses conclusions. » Il est en tout cas persuadé que la guerre en Afghanistan a un avenir dans la recherche même s’il est plus difficile de mobiliser des sources : « l’historien devra aussi avoir une démarche d’archiviste. Il est très important par exemple de dater les photos et de noter les personnes présentes sinon elles n’ont aucune valeur. » Pour Christophe Lafaye, le tout est de savoir où les chercher et où les collecter : « il faudra de la volonté sinon on perdra la mémoire de ce conflit », un conflit qui fait partie d’une des nombreuses opérations extérieures menées par l’armée française au XXIème siècle.

Quand on évoque l’Afghanistan, on parle souvent de guerre sans forcément faire attention alors y a-t-il une différence sémantique avec l’opération extérieure ? Christophe Lafaye souligne qu’un autre historien Jean-Charles Jauffret parle d’une 4ème génération du feu pour l’Afghanistan tout en précisant : « d’un point de vue technique, on n’était pas en guerre. L’armée française agissait au sein de la FIAS sous mandat de l’ONU puis de l’OTAN mais la mission a évolué. Dans certains secteurs, son action était assimilable à des opérations de guerre. » D’ailleurs dans les témoignages qu’il a pu recueillir, les soldats parlent bien d’opérations de guerre. Mais l’historien précise que cette différence sémantique pose très concrètement des limites sur le terrain notamment quant aux règles d’engagement : « les sapeurs ne pouvaient pas faire ce qu’ils voulaient et les talibans savaient en tirer parti. » Le conflit n’en reste pas moins le plus dur et le plus éprouvant pour l’armée française depuis l’Algérie : « on a eu des combats de haute intensité et le conflit est exceptionnel par le nombre de militaires qui y ont participé. Les soldats, en instance de départ, se préparaient à faire la guerre» tout en précisant : « la guerre en Afghanistan est la 1ère guerre sans nom du XXIème siècle. » Pour l’historien, on n’est pas dans le même registre comme au Rwanda ou en ex-Yougoslavie : « le vécu est différent. Les soldats n’ont pas vu et ressenti la même chose. En ex-Yougoslavie, on était une force d’interposition. » Cela n’enlève toutefois rien au mérite des militaires français qui ont participé à ces opérations, ne manque-t-il pas de nous préciser.

Cependant Christophe Lafaye souligne que l’opération a servi de creuset à un esprit d’interarmes d’une nouvelle génération dont a bénéficié l’opération Serval. Revenant sur son travail, il souligne le rôle fondamental du génie dans cette élaboration interarmes : « c’est la maxime : pas un pas sans appui. Le génie aide à être mobile. Il permet aux bataillons français de se déplacer. Sans le génie, pas de point d’eau par exemple. » Le génie reste toutefois un corps très sollicité et participe également à des combats de contact : « c’est un travail usant et exigeant. Il ouvre entre autres l’itinéraire à l’infanterie. Il y a peu de temps mort » d’autant plus comme il l’a souligné plus tôt dans sa conférence que le génie est en sous-effectif chronique. Il prend une très grande importance à partir de 2009 mais ce n’est pas non plus un corps d’armes spécialement connu du grand public contrairement à des régiments plus prestigieux comme les parachutistes. Pour l’historien, au sein de l’armée, on ne fait plus la différence : « l’Afghanistan a forgé un esprit interarmes de fraternité. Après il y a toujours le discours des chefs qui aiment faire la distinction mais il y a une différence entre la perception grand public, le discours des chefs et la réalité sur le terrain. » Au-delà de cet esprit interarmes, la guerre en Afghanistan aura permis à l’armée française de se moderniser.

Fallait-il cette guerre pour que l’armée française évolue ? Christophe Lafaye estime que ce n’est pas vraiment la bonne problématique : « l’armée française s’est adaptée à une menace : le retour des talibans. Elle s’est battue contre ce qui a de mieux au monde en terme de combattant dans la contre-guérilla, le terrorisme et l’utilisation d’internet. Elle s’est forgée de nouvelles compétences. » Cependant il met en garde : « rien n’est acquis. Le rythme de renouvellement est très élevé chez les soldats. » Il cite en exemple le 19ème RG où il ne reste plus que cinq soldats de cette période la plus intense de l’été 2011. « La question de la préservation des savoir-faire est posée » d’autant plus que les réductions budgétaires ne permettent pas vraiment d’avoir un matériel opérationnel. Inscrivant son travail dans le temps long et soulignant que le génie a acquis ses premiers savoir-faire très spécifiques dans les guerres coloniales, nous lui avons demandé s’il n’y avait pas des similitudes avec la guerre d’Algérie : « à chaque fois, l’armée française a dû s’adapter. La plus grande différence c’est que la guerre d’Algérie a été une guerre anti-subversive très violente avec des résultats militaires mais une défaite politique. En Afghanistan, on a mené aussi une guerre de contre-insurrection mais pas de la même manière. Il y avait un cadre légal avec des méthodes de police scientifique qui permettaient de remonter les filières. Ce n’est pas pour autant que c’est un succès. De plus les prisonniers que nous faisions étaient livrés aux afghans et rien ne garantit qu’ils n’étaient pas torturés ou exécutés. On ne sait pas ce qui se passe après. Tout comme en Algérie, on a été défaillant dès le départ en ne définissant pas correctement notre adversaire. » Il estime d’ailleurs que la contre-guérilla du XXIème siècle est encore à écrire.

On ne pouvait pas parler de l’Afghanistan sans évoquer l’opinion publique car son rôle est important. Christophe Lafaye parle d’une tension médiatique quand des soldats étaient tués : « on s’est posé des questions : pourquoi était-on là-bas ? La nature du lien Armée-Nation a changé. On a sous-estimé la capacité de résilience de la population française face à la mort de militaires. Les talibans savaient que le point faible de la coalition était l’opinion du public. C’est cette dernière qui pouvait réclamer le retour des troupes françaises. » Mais, voulant approfondir le problème, il se pose cette question : « est-ce que la population française est correctement informée ? Il faut réfléchir à : comment réintégrer un débat sur les questions de défense ? Il faut rappeler que le chef de l’État est aussi le chef des Armées. Jusqu’en 2008, les principales orientations de défense étaient prises en conseil restreint sans aucun débat à l’Assemblée. Personne ne savait ce qui s’y disait. Le 22 septembre 2008, on a le premier débat sur l’Afghanistan. Désormais, le gouvernement doit informer l’Assemblée Nationale de toute opération à l’extérieur au plus tard trois jours après son lancement, tout en précisant les objectifs, et il peut y avoir un débat. Après quatre mois d’opération, l’Assemblée vote ou non sa prolongation. Mais il y a un vrai problème politique de débat autour de la Défense et de l’intégration des citoyens à ces questions. » Au passage, il regrette que la mort de soldats soit considérée désormais comme un fait divers.

Christophe Lafaye souligne que, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le grand public porte un réel intérêt au conflit afghan pour en comprendre tout le sens : « la preuve c’est qu’il y avait de l’affluence au cycle de conférences que j’ai donné. Il y a un questionnement. Après les attentats du mois de janvier, les gens se reposent des questions. On se doit de plus insuffler un esprit de défense et profiter de cet intérêt renouvelé pour ne pas le laisser retomber sans faire du bourrage de crâne. Il y a de véritables enjeux de Défense. » Il veut même aller plus loin en tant qu’historien-chercheur : « l’historien a un rôle actif à tenir dans la société civile. Il travaille sur le temps long. Il peut amener de la dynamique au débat public et il ne doit pas hésiter à y prendre part. Il faut que les historiens s’investissent. » Sa thèse doit être publiée en février 2016 aux éditions du CNRS.


Légion immortelle ?

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Publié le 30 mars 2015 par légionnaires-officiers

 

 

Il est curieux que la France ait toléré l’existence d’un corps plaçant la fidélité au dessus de celle qu’il devait au pays et dont la devise : « Legio Patria Nostra » est une déclaration de demi-allégeance.

Le général Rollet en développant voire en créant les traditions a provoqué l’isolement, le sentiment d’autosuffisance de la Légion pour glorification de ses mythes.

Ainsi, trop attaché à sa géographie morale, la Légion s’est faite prisonnière de ses propres contradictions et ne peut garder en mémoire que son rôle principal est de seulement mettre en œuvre la politique décidée par le gouvernement, sa mission fût-elle déplaisante, elle reste toujours comme le dit si bien le légionnaire Flutsch (dont le livre était récemment offert au jeune officier affecté à la Légion) : « un monastère d’incroyants. »

Ainsi « Legio Patria Nostra » justifierait-il la révolte d’Alger en 1962 ?

L’imagerie populaire de la Légion repose sur l’esprit de Camerone qui précise, exemple à l’appui, que le légionnaire reste toujours fidèle à la parole donnée et que de ce fait, la mission, il l’accomplira jusqu’au bout faut-il pour y parvenir, mourir.

C’est cette maxime qui donne à notre Institution légionnaire un panache exceptionnel qui a pesé très lourd quand son existence était menacée.

Il est tellement vraie que si la Légion est parvenue à s’imposer française par le sang versé, sa force reste d’être attachée aux préjugés et à la vanité des Français par des liens très forts où se mélangent les sentiments les plus divers de la fierté au mythe, en passant par l’admiration, l’inquiétude et la conviction d’exposer aux yeux du monde l’exemple indiscutable d’une intégration réussie de l’étranger au pays des droits de l’homme et du devoir du citoyen. 

Camerone, la main du capitaine Danjou représentation fétiche de la parole donnée, devant un tel symbole, la Légion ne peut que perdurer avec cet état d’esprit depuis longtemps disparus des armées des nations. La Légion est bien vivante et a de l’allure. Le musée des gloires passées où dans la crypte repose la main articulée du capitaine Danjou incarne un besoin

essentiel de l’âme légionnaire : « celui de pouvoir recommencer une vie brisée où est possible une forme de rédemption par le danger et la souffrance.

La Légion, n’en doutons pas, aura un avenir aussi brillant que son passé. Mais elle ne sera jamais une arme incontrôlable.

Ce 30 avril 2015, nous serons en communion de pensée avec nos camarades légionnaires et anciens légionnaires du monde entier et nous aurons une pensée respectueuse pour nos morts.

Christian Morisot


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