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L’armée populaire de libération à Djibouti : une évolution notable des stratégies chinoises

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[23 juin 2015] • François Danjou

 

12 ans après les États-Unis qui ont établi leur Commandement en Afrique et y ont déployé 4000 hommes, 5 ans après le Japon, la Chine envisage d’installer un point d’appui militaire à Obock exactement en face des GI’s et des militaires nippons.

Djibouti a le double avantage de bénéficier d’une stabilité politique unique dans une région bouleversée et d’être une position d’observation idéale et un éventuel point d’appui à proximité du détroit de Bab el-Mandeb, porte d’entrée du canal de Suez, l’une des routes maritimes les plus fréquentées de la planète. Également débouché naturel de l’Éthiopie et de la voie ferrée venant d’Addis-Abeba, cette position stratégique, ancienne colonie française, autrefois occupée par 2 unités de l’armée de terre dont l’une a été transférée vers les Émirats Arabes Unis en 2011, est aujourd’hui investie par les États-Unis, le Japon et bientôt la Chine.

Si la présence militaire américaine dans la région qui remonte à 2001 n’est pas une surprise, celle du Japon jusque là peu enclin à se projeter militairement à l’extérieur et celle de la Chine qui a toujours nié vouloir mettre en œuvre une stratégie de bases militaires prépositionnées à l’étranger, méritent attention.

Pékin après Washington Tokyo dans le chaudron de l’Est africain.

L’intérêt de ces grands rivaux stratégiques du XXIe siècle pour l’ancienne colonie française est accru par l’insécurité récurrente dans toute la corne de l’Afrique.

D’abord au Yemen, aux prises avec l’insurrection chiite des Houthis contre les clans de l’ancien président Ali Abdullah Saleh et la réaction des tribus sunnites rivales qui fut le terreau du terrorisme lié à Al Qaida ; ensuite, en Somalie où, depuis 2006, le groupe salafiste Al-Shebab (5000 Djihadistes divisés en plusieurs factions rivales mais toutes unies contre le président somalien Sharif Ahmed) fomentent des troubles révolutionnaires qui se nourrissent d’une économie en déshérence et de l’explosion du chômage, générant spontanément la profusion des pirates en mer d’Arabie.

A ces déstabilisations durables d’une région stratégique où se croisent les intérêts énergétiques planétaires, s’ajoute pour la Chine les effervescences du sud Soudan (700 km de frontière commune avec l’Éthiopie) où sont investis les groupes pétroliers chinois et où, en décembre dernier, l’APL a décidé de tripler le nombre de militaires engagés au sein de la mission des Nations Unies, dépêchant pour la première fois de son histoire une unité combattante de 700 hommes dans une zone de conflit, dont le déploiement s’est achevé début avril.

Non loin des 4000 « Gis » américains stationnés au Camp Lemonnier, l’ancienne base de l’unité de Légion Étrangère basculée vers les Émirats en 2011, la présence militaire japonaise, tout en restant modeste, n’en signale pas moins l’évolution des ambitions stratégiques de Shinzo Abe décidé à augmenter le rôle international des Forces d’auto-défense aux côtés des États-Unis.

Montés en puissance depuis mars 2009, les militaires japonais que l’ironie de l’histoire a installés non loin du camp Lemonnier du nom du général français assassiné à Lang Son au Vietnam par les troupes nippones en 1945, articulent essentiellement leur engagement autour de la lutte contre la piraterie et de la protection des ressortissants japonais. En même temps, les travaux de planification par l’état-major japonais du point d’appui mettent en mesure les forces d’auto-défense stationnées sur place d’accueillir des renforts venant du japon en cas d’aggravation de la situation.

Fort de 200 hommes, le détachement japonais met en œuvre 2 appareils de surveillance maritime P-3C 2 destroyers de la marine et 2 sections d’infanterie équipées de blindés légers destinés à la protection du site et à l’éventuelle extraction de citoyens japonais. La première base militaire japonaise à l’étranger depuis 1945 dont le loyer annuel coûte 40 millions de dollars au budget du pays, fut formellement établie en 2010.

Notes :

[1Interrogée sur l’installation d’une base militaire chinoise à Djibouti lors d’une conférence régulière du Waijiaobu, le 11 mai 2015, Hua Chunying la porte parole a répondu que la Chine était à la fois « prête et obligée » de contribuer à la stabilité et à la paix de région.

 

Les intérêts internationaux de la Chine explosent.

 

A la fin mars, plusieurs bâtiments de la marine chinoise firent escale à Djibouti pour évacuer du Yemen plus de 500 ressortissants chinois et sri-lankais.

Face au déploiement de ses deux plus grands rivaux stratégiques dans une zone où ses intérêts sont au moins aussi importants que ceux de Washington, Pékin ne pouvait pas rester indifférent. Même si le Bureau Politique communique peu sur le sujet, l’évolution stratégique chinoise est à l’œuvre. L’entorse aux principes de non ingérence énoncés par Zhou Enlai à la conférence de Bandung il y a exactement un demi siècle, n’est cependant que théorique. Rappelons en effet que Mao les avaient constamment violés en apportant une aide systématique aux mouvements révolutionnaires dans le tiers-monde.

Aujourd’hui, le prosélytisme idéologique maoïste a disparu. Mais la motivation globale est toujours là et se renforce. Elle est attisée par la rivalité stratégique avec Tokyo et Washington à quoi s’ajoute l’explosion planétaire des intérêts chinois soulignés par la présence partout dans le monde de 5 millions d’expatriés et par l’augmentation des stocks d’investissements dont le volume a bondi de 3 Mds de $ au début du siècle à plus de 100 Mds aujourd’hui. Presque mécaniquement, la Chine est poussée à l’intervention pour protéger ses intérêts et ses ressortissants.

Alors que durant les 36 dernières années elle a soigneusement évité de se laisser entraîner dans un conflit armé, là voilà aujourd’hui engagée dans un affichage militaire outre-mer qu’elle a toujours affirmé vouloir éviter. Dans le même temps, l’image internationale de la Chine se modifie par l’attente qu’elle suscite chez nombre de rivaux de Washington qui la voient comme le principal pôle alternatif à la puissance sans partage des États-unis. Sans compter que la diplomatie américaine elle-même exhorte régulièrement Pékin à assumer ses responsabilités dans la conduite des affaires du monde.

Tel est le fond de tableau de la récente initiative chinoise pour installer une base militaire à Djibouti. Confirmée de manière sibylline par le porte parole du Waijiaobu, le 25 mai dernier [1], la décision de Pékin constitue le signal d’un changement stratégique dont il est impossible de minimiser la portée.

Pour autant, depuis le début des années 2000 Pékin avance en Afrique à sa manière qui n’est pas que militaire. Les stratégies de la Chine sont en effet articulées autour de coopérations d’infrastructures dont le but essentiel est d’augmenter son influence auprès du plus grand nombre possible de dirigeants africains. En même temps, miroitent les grands projets de voies ferrées trans-africaines capables de désenclaver des régions entières du Continent.

Entorse à la non ingérence militaire : Obock après le Sud-soudan.

L’APL s’installera à l’écart des Japonais, Américains et Français, à Obock sur la rive nord du golfe de Tadjourah, à 42 km à vol d’oiseau au nord de Djibouti avec qui la France a toujours un accord de défense révisé en 2011 qui stipule que l’armée française assure la surveillance de l’espace aérien djiboutien et la défense de son territoire en cas d’agression extérieure.

Obock fut la première possession française de la région et la première capitale du territoire. On peut encore y visiter les maisons d’Arthur Rimbaud et d’Henri de Monfreid. Achetée en 1862 par Napoléon III au sultan de Tadjourah pour 10 000 Thalers autrichiens (soit environ 80 000 € actuels), devenue indépendante en 1977, elle est une position stratégique convoitée dont l’importance augmente en même temps que se dégrade la situation de sécurité aux portes des gisements d’hydrocarbures du Golfe.

La stratégie du rail. Recherche d’influence par les infrastructures.

 

Essai des voitures du chemin de fer Djibouti – Addis Abeba construit par la Chine. la ligne devrait être mise en service en octobre.

L’installation des militaires chinois à Obock que Pékin louera 100 millions de $ par an contre 63 millions payés par les Américains pour le Camp Lemonnier, fera suite à un accord stratégique signé avec Pékin dont une des clauses autorisait la marine chinoise à utiliser le port de Djibouti. En échange, l’APL a promis de participer à la formation de l’armée djiboutienne.

Mais l’initiative chinoise s’inscrit dans une coopération plus large commencée en 1979 au cours de laquelle Pékin a financé un stade de sports, le ministère des Affaires étrangères, le centre de conférences international du « Palais du Peuple » et un hôpital à Arta dans l’arrière pays à 80 km à l’ouest de Djibouti. Surtout, le 12 juin, le président djiboutien Ismail Omar Guelleh et le premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn ont inauguré la dernière portion de la voie ferrée de 750 km reliant Djibouti à Addis-Abeba construite et financée par la Chine.

Alors que les essais ont commencé, le premier convoi reliant les deux capitales est planifié pour octobre. Capable de transporter 3500 tonnes de fret (soit 3 fois la charge de la vieille ligne construite par la France en 1917), le nouveau train électrifié accomplira le trajet en moins de 10 heures au lieu des deux jours par la route. Il sera le cordon ombilical du commerce éthiopien et la principale voie d’exportation des produits de Djibouti vers le marché éthiopien, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique (95 millions). Deux autres tronçons sont prévus, l’un vers Mekele, 500 km à l’ouest, sur la route du nord-Soudan, l’autre vers le sud Soudan.

Profitant de l’élan des autorités djiboutiennes qui veulent faire du territoire le principal nœud logistique de l’Est africain, - envisageant de construire 6 nouveaux ports et 2 aéroports - les spécialistes des constructions d’infrastructures du Groupe chinois de génie civil (中国土木工程集团) sont à leur affaire.

Déjà surgissent, en phase avec les grands projets chinois d’infrastructure, que Pékin développe ou envisage en Asie centrale et en Asie du Sud-est, des projets transafricains qui, selon Abubaker Hadi, Directeur du port de Djibouti pourraient voir le jour en moins de 10 ans.

Quoiqu’il en soit, en prenant pied sur cette partie stratégique de l’Afrique, la Chine ajoute un nouveau maillon à la chaîne de ses bases logistiques le long de ses lignes de communication vers le golfe. En même temps, elle se donne les moyens de participer à la lutte contre la piraterie, tout en marquant au plus près les Japonais et les Américains, développant par la même occasion, son emprise économique et son influence dans la zone.

En complément :
- La huitième perle
- Chine – Afrique, une autre vision
- Li Keqiang en Afrique. L’heure des bilans


Traduction

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