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Légionnaire toujours...

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« Tout n’est pas possible »

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L’armée de la Nation

Il y a des phrases que l’on n’oublie pas. Car elles offrent, avec des mots simples et bien ordonnés, une réponse claire à une question dont l’issue semblait confuse. C’est ainsi que j’ai gardé en mémoire une formule du Général De Favitski, énoncée en1974 devant les officiers stagiaires de l’Ecole de Guerre. Sachant leur esprit parfois aventureux, il les mettait en garde contre  l’idée de « vouloir bâtir l’Armée, en général, et l’Armée de Terre en particulier, à l’image de la Nation, alors qu’elle doit être seulement l’Armée DE la Nation, et qu’elle ne répondra aujourd’hui à cette finalité que si, précisément, elle n’est PAS à l’image de la Nation ».

Cette phrase m’est revenue à l’esprit à la lecture du texte de l’allocution prononcée par M. Le Drian, Ministre de la Défense, en Mars 2014, lors d’une cérémonie en hommage aux « Femmes de la Défense ». Parlant de « l’Armée de demain », que la loi de programmation actuelle s’attache à refonder, il déclarait : « Elle devra être exemplaire dans ses valeurs, dans ses pratiques, et notamment par sa capacité à intégrer les avancées de la société,- dont elle est le reflet-, et même à les favoriser ».

J’ai alors réalisé combien la spécificité du soldat pouvait être imaginée de façon parfaitement discordante. « Pas à l’image de la Nation » pour l’un, « reflet de la société » pour l’autre. Sans doute le soldat  se voit-il et se veut-il comme il sait qu’il doit être. Le politique, lui, rêve le soldat au travers de sa philosophie, de son éthique, tel qu’il voudrait qu’il soit. Ceux-là seraient-ils faits pour ne pas se comprendre ?

L’armée ne peut pas être le reflet de la société


Pour le soldat, c’est apparemment l’évidence. L’Armée ne doit pas, surtout pas, être à l’image de la Nation, un « reflet » de la société. Vous imaginez une Armée structurée par des syndicats, défendant ses droits acquis en faisant grève ? Vous imaginez la cacophonie d’une libération sans frein de la parole militaire, la paisible revue « Armées d’aujourd’hui » remplacée par un   hebdomadaire au titre insolent « Soldat lève toi ! ». Vous imaginez que le soldat, à  l’image des citoyens dits normaux, soit désormais avant tout soucieux de niveau et de qualité de vie, n’hésitant pas, si besoin est, à pratiquer la désobéissance civique ? Que des bérets rouges se mêlent aux bonnets rouges ? Qu’il ne soit plus, au fond, qu’un civil en uniforme…

A lui seul ce mot, « uniforme », devrait d’ailleurs vous détromper. L’uniforme, c’est la marque d’appartenance à un « ordre » particulier qui a ses codes, ses valeurs, ses pratiques, et fait fi de l’individualisme civil. C’est un « ordre » où l’on parle de « vocation », où l’on a soif de règle, de discipline, que le civil, lui, tient en général pour des servitudes.

Les soldats vous diront souvent que leur passion est de « Servir », dévoilant ainsi cette sorte de feu sacré qui les anime. Servir leur Pays, la France. Servir la Nation. À notre pays, « mère des arts, des armes, et des lois », chaque régime a apporté sa pierre, et l’édifice est suffisamment beau, et grand, et majestueux, pour susciter le désir  et l’ardente obligation de le défendre qui habitent le cœur du soldat. Et donc l’acceptation du combat, l’éventualité de tuer, le risque d’être tué. Certains, orgueilleusement, parleront de l’acceptation du « sacrifice suprême ». D’autres, pragmatiques, évoqueront la « prise de risque » bien calculée, mais aussi le hasard malheureux ou l’erreur tragique, que l’intelligence des situations, un équipement adapté, et un sévère entraînement permettent  de réduire.

Et lorsqu’il songe à la devise de la République, - liberté, égalité, fraternité -, le soldat sait bien que la fraternité reste son énergie première. Sa liberté, il l’aliène en effet, sans marchander, au service du Pays. Quant à l’égalité, elle n’a que peu de sens dans sa famille rigoureusement hiérarchisée où certes tout individu mérite respect, Aldo vaut Hans, Ali vaut Charles-Albert. Mais, dit-on, « à chacun selon son travail », et la promotion interne, dans la société militaire, est à cet égard exemplaire : 70% des officiers, par exemple, sont issus du corps des sous-officiers.

Ainsi le soldat pourrait avancer en souriant que, ardent et fidèle défenseur de la République, il sert une maîtresse exigeante qui se plait pourtant à le priver de ces droits particuliers - expression, association… - qu ‘elle accorde généreusement à d’autres qui, eux, souvent, la trompent, et parfois même la vomissent. Mais il ne faut pas s’y tromper, c’est la soumission apparente et volontaire du soldat qui fait sa grandeur, qui est son honneur. Il n’envie pas le civil.

Une communauté exemplaire aux yeux du politique

Le politique, en charge de l’Etat, est-il conscient de ce « mauvais sort » fait au soldat ? Sans doute, mais ce sort ne lui apparaît pas « mauvais » ; il est celui qu’il faut que le soldat subisse pour servir avec discipline, loyauté, fidélité, « sans hésitation ni murmure ». C’est là d’ailleurs tout le sens que le Ministre de la Défense veut sans doute donner à ses propos en évoquant une Armée « exemplaire dans ses valeurs, ses pratiques ». Le politique, en fait, voit le soldat comme une sorte de sujet modèle, obéissant, disponible, fidèle et loyal, et pressent alors, - sans peut-être oser l’avouer -, que cette sorte d’homme ne sera « exemplaire » que parce que, justement, il ne sera pas citoyen à part entière. Dès lors, s’il est un « reflet » de la société, c’est un reflet trompeur. La société est diverse, éclatée, l’Armée est monolithique, uniforme.

Comment d’ailleurs imaginer que l’Armée puisse « intégrer », et même « favoriser » ces « avancées de la société » qu’évoque le Ministre ? Celles-ci, parfois déroutantes, ne sont le plus souvent que droits nouveaux arrachés, libertés conquises, souvent par des minorités ou des groupes de pression, quand les soldats, eux, se contentent, humbles et disciplinés, d’accomplir le devoir assigné. De plus, avec la suspension « haut et court » du service militaire, n’a t’on pas déchargé le citoyen normal, celui de la société civile, de toute obligation en matière de défense ? Et n’est-il pas piquant de constater que notre Armée n’a jamais été plus populaire  auprès des citoyens que depuis qu’elle ne leur demande plus rien ? L’Armée est devenue pour eux, - cœurs traditionalistes, mais esprits libertaires -, une sorte de communauté exemplaire, pétrie de nobles idéaux, pavée de toutes ces valeurs antiques qu’ils admirent, sans les pratiquer.

Défendre et protéger la Nation, c’est désormais une affaire de professionnels. Pour permettre aux citoyens de la société civile de vaquer à ces choses essentielles que sont l’économie, la politique, la culture, il faut donc des soldats non pas dans la Cité, non pas dans la société, mais autour, sur les remparts. Voilà sans doute pourquoi les dirigeants de tout bord qui se succèdent aux commandes de l’Etat s’ingénient à cantonner strictement le soldat dans ce qu’ils appellent le « cœur du métier », qui bat dans les guérites des remparts.

C’est là en effet le meilleur, et même le seul moyen de garder le soldat à l’abri de toute contamination sociétale, de préserver sa « pureté » en quelque sorte. Et cela, le politique peut le faire sans état d’âme puisque le soldat est désormais un « volontaire », qui ne réclame rien, et semble même se satisfaire du sort qui lui est fait. « Donnez-moi, mon Dieu, ce qui vous reste », chantent même les parachutistes ! Les voilà donc servis.

Le soldat, aimé des Français ne comprend plus le politique

Et pourtant… Et pourtant le politique ne devrait-il pas craindre qu’un soldat concentré sur le cœur de son métier, - le maniement du glaive et du bouclier-, n’en vienne, peu à peu, à se comporter en automate ? Et dans les circonstances présentes, un automate qui garde sa capacité de penser ne risque t’il pas de « s’encolérer » ? Pourquoi ?

Parce que le soldat ne comprend plus le langage politique. M. Valls, premier Ministre, ne l’a t’il pas d’ailleurs qualifié de « langue morte » ?

Alors le soldat ne comprend pas que le politique puisse décider de réduire drastiquement les effectifs militaires  alors même qu’il déclare que « les menaces se sont amplifiées ».

Le soldat ne comprend pas non plus qu’on puisse, pour réduire les déficits et alléger la dette, supprimer 70 000 postes à la Défense…et en créer 70 000 à l’Education nationale.

Comment un président de la République qui prétendait, en matière de Défense, « redonner à la France sa place et son rang » compte t’il y parvenir avec de telles amputations ? On pourrait, au risque de lasser, continuer la litanie des incompréhensions, et notamment rappeler le soixantième et dernier engagement du Président.

In fine, ce que le soldat ne comprend plus, c’est que l’on réduise ses moyens, alors que l’examen de faits particulièrement têtus en Afrique, au Moyen-Orient, en Europe centrale, et tout simplement en France, indique qu’il serait sage, et avisé, de les accroître. Les termes d ‘« Armée bonsaï », d’ « Armée d’échantillons » agacent les responsables, dit-on, mais jamais leur emploi n’aura été aussi justifié. Au terme de la loi de programmation militaire (LPM), en 2019, ils traduiront  la réalité de notre Défense, sa « vérité vraie ». Et ceci alors que le discours sur la défense, lui, reste invariable, hardi, conquérant, suffisant même, disent certains, dénonçant ainsi l’illusion de la puissance qui embrume encore certains esprits.  Les prétentions utopistes ne changent pas, quand les moyens s’étiolent et disparaissent. Et chacun, selon son regard, de parler de mensonge, d’aveuglement, d’incompétence, d’irresponsabilité…

L’armée peut-elle se résoudre à obéir passivement jusqu’à disparaître ?

Et alors ? Et alors le soldat risque de réaliser que se suffire de sa condition d’automate, ne s’attacher qu’à « faire au mieux » comme le lui enjoint le CEMA, obéir perinde ac cadaver , c’est se résigner, inéluctablement, à l’impuissance.

D’ailleurs, tous les hauts responsables militaires qui se sont succédé depuis 2008 ont, devant les hautes instances du pays, dit leurs craintes, souligné les risques, montré les dangers, mis en garde. Les politiques sont restés de marbre, comme fascinés par les courbes du chômage, de la dette, du déficit public, qui constituent l’alpha et l’oméga de leur réflexion.
Et puis, forcés se plier à de drastiques économies après avoir, pendant près de trente ans, dilapidé les ressources de l’Etat, ils ont, à tour de bras, taillé  dans les Armées, sachant que, ce faisant, ils ne risquaient ni grèves, ni révoltes, ni défaites électorales. Ils ont pris ce « risque de la faiblesse » que le Livre blanc stigmatise durement et justement chez les autres, sans réaliser que nous en sommes tout autant affligés.

On garde en mémoire la question angoissée aux parlementaires d’un ancien CEMAT, après qu’il ait décrit l’effarante réduction de nos Armées : « Est-ce bien cela que vous voulez ? », restée sans réponse. On a à l’esprit une phrase toute récente du CEMA, qui cette fois n’est plus une mise en garde, mais l’illustration de la résignation des chefs : si le budget prévu par la LPM devait être rogné, dit-il, « ce serait un autre projet. Tout est possible, simplement il faudra le dire ». Qui donc va croire  qu’ « ILS » vont se gêner pour le faire! Seul contre Bercy et les autres, dit-on, le Ministre mène aujourd’hui un combat d’arrière-garde, « arc-bouté » sur son budget gelé, résolu à sauver les « Rex » (ressources exceptionnelles), mais estimant désormais que l’action de nos services de renseignement permettrait « de dimensionner au plus juste notre force de frappe nucléaire ». Et qui donc va croire que cette très éventuelle « économie » restera dans l’escarcelle des Armées ?

Une clarification des rôles s’impose pour assurer à la France une défense pérenne

La réflexion s’achève. Au bout du chemin s’ouvrent d’autres pistes…

Celle de l’obéissance passive est connue. Elle mène inéluctablement au déclin, et surtout, ici ou là, à des défaites insupportables, suivies de sursauts, hélas trop tardifs. Est-ce cela que nous voulons ?

Celle de la fronde apparaît de plus en plus possible, voire souhaitable pour certains. Ceux-là disent par exemple qu’en 2012, une grève générale et dure des personnels civils et militaires chargés de la solde aurait vraisemblablement évité l’effarant scandale de Louvois. Mais la fronde peut aussi mener au chaos. Est-ce cela que nous voulons ?

 Si l’on veut éviter ces deux pistes fatales, sans doute conviendrait-il d’en ouvrir une autre, en réalisant tout d’abord qu’une armée désormais professionnelle ne peut continuer à être conduite comme une armée de conscription. Le « pro » est un « engagé » à qui l’Etat doit des engagements, et notamment celui, en tous domaines, de ne pas le traiter au rabais, en valet muet et docile, car « tout n’est pas possible ».

Au politique de dire la mission, au soldat d’en réclamer les moyens nécessaires, et non de « faire au mieux » avec un existant insuffisant. Le métier militaire garantit la défense de la Nation, service public prioritaire. C’est donc le devoir du soldat de le défendre, avec l’âpreté et l’intransigeance qui conviennent, sauf à manquer à sa charge. 

Aux chefs et responsables militaires, par conséquent, de créer au plus tôt les cellules structurant un « corps » de défense dédié, et d’en activer les mécanismes, pour la défense du service public de défense.

Sinon ? Sinon, la « base »  s’en chargera. Et nous n’aurons plus à craindre la colère des légions, car il n’y aura plus de légions.

Bernard MESSANA

Traduction

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