AALEME

Légionnaire toujours...

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2010




Question : Combien de temps estimez-vous nécessaire pour que l’armée nationale afghane soit réellement autonome ?


Colonel Benoît Durieux : Alors en Surobi, je pense qu’il y a une perspective à moyen terme, une perspective réelle, de donner la responsabilité à l’armée afghane.

 

Question : En fonction de ce que vous nous avez raconté sur vos relations avec l’armée afghane et la manière dont vous travaillez avec elle, on pourrait comprendre qu’en fait vous n’avez aucune capacité d’autonomie ou d’initiative ?


Colonel Benoît Durieux : La règle qu’on s’était fixé, parce qu’elle me parait essentielle, c’est qu’on ne faisait aucune opération sans la participation de l’armée afghane. Quand l’armée afghane me dit non, pour des motifs de disponibilité d’unités par exemple, alors je ne faisais pas l’opération. De plus, chaque opération était étudiée avec l’armée afghane, la planification des opérations, c’est-à-dire décider d’aller opérer dans telle zone à tel moment. On inscrivait en permanence notre action en soutien de l’armée afghane, c’est absolument essentiel.

 

L’initiative est très importante. Mais simplement elle consiste à proposer au chef de bataillon afghan, que je voyais très régulièrement, qu’est-ce qu’on va faire la semaine prochaine, qu’est-ce qu’on va faire le mois prochain. Je n’étais pas du tout sous ses ordres ou lui n’était pas sous mes ordres. Simplement, j’étais convaincu qu’une opération où il n’y avait que les forces françaises, elle n’était pas très utile. Ce qui est important, c’est de permettre à l’armée afghane de prendre pied dans toutes les zones, d’affirmer le contrôle de l’État afghan et, inversement, l’attrition des insurgés, ça a une efficacité extrêmement limitée.

 

Question : Vous avez donc donné le relais à un autre colonel pour six mois. À votre avis, qu’est-ce qu’il peut faire dans les six mois qui viennent ? Qu’est-ce qui peut aller mieux que la situation que vous avez connue ?


Colonel Benoît Durieux : Nous lui avons passé le témoin avec une analyse de situation la plus sincère et la plus précise possible. Moi, je crois qu’il va pouvoir continuer à progresser doucement, parce que c’est toujours très lent dans la vallée d’Uzbeen, vers le Nord. Notamment il y a un chantier en prévision pour poursuivre l’axe qui permet de monter encore plus vers le Nord de la vallée. D’autre part, je sais que l’effort va aussi passer vers le sud de la vallée de Tagab qui fait partie, depuis début novembre, de la zone de responsabilité du bataillon. C’est là, clairement, que les marges de progrès en termes de sécurisation sont les plus importantes et que les besoins sont les plus importants.

 

LES INSURGES

Question : Est-ce que vous avez fini par percevoir une forme de coordination entre les mini seigneurs de la guerre dont vous parlez ? Est-ce que vous avez eu le sentiment qu’il y avait une volonté, par exemple, de coordonner une offensive ou de coopérer dans des opérations communes ? Est-ce que vous avez senti une coopération avec Al-Qaïda ?


Colonel Benoît Durieux : Oui, ils y arrivent, en fait dans deux types de circonstances. La première, c’est quand il y a un afflux massif d’argent. Au fond, amener de l’argent, c’est le seul moyen qu’avaient les instances talibanes extérieures (les shuras de Peshawar ou autres) de redynamiser l’insurrection dans notre zone. Donc dans ce cas-là, ils payent tout le monde pour qu’il y ait un accroissement des attaques contre nos forces. Et cela va durer quinze jours. Mais il n’y a pas vraiment de coordination, il y a plutôt simultanéité.

Les insurgés ont beaucoup de mal à se coordonner de manière volontariste pour prendre l’initiative parce que là ils ne sont jamais d’accord. Il y a des intérêts qui sont divergents. En fait, ils cherchent tous à prendre le pouvoir dans la zone donc ils ne veulent pas que ce soit un chef local qui en tire le bénéfice. En revanche, quand un combat commence, ils vont appeler les autres et, dans ce cas-là, ils sont capables de se coordonner, très ponctuellement, dans des attaques d’opportunité. En ce qui concerne Al-Qaïda, non, très honnêtement, en Surobi, je n’ai pas constaté leur présence.

Question : On dit toujours que vous êtes face à des groupes talibans et des groupes d’Hekmatyar. Est-ce que chez Hekmatyar, il y a différents groupes, est-ce que chez les talibans, il y a différents groupes ? Ou finalement il y a deux grands courants ?


Colonel Benoît Durieux : En Surobi – et je pense que c’est un peu partout pareil – il est vrai qu’il y avait le HiG dans une partie de la vallée, dans la partie nord-ouest essentiellement. Dans la partie nord-est, nous avions un autre mouvement. La différence essentielle, en réalité, c’est entre les insurgés locaux – c'est-à-dire ceux qui sont issus des villages de la vallée (90 % à peu près pour autant qu’on puisse l’estimer) – et puis ceux qui viennent de l’extérieur qui sont souvent, alors là plus proches effectivement des mouvements talibans plus durs, plus fondamentalistes et qui viennent précisément pour essayer de fédérer, de redynamiser, d’obtenir plus d’actions.

 

Alors quand ils arrivent, d’un côté, ce n’est pas très bon parce que ça veut dire qu’il va y avoir plus d’attaques, mais d’un autre côté, on se dit que s’ils éprouvent le besoin d’envoyer des émissaires et de l’argent, c’est que finalement notre action atteint ses buts.

 

Question : C’est très difficile d’estimer le nombre des extérieurs (talibans et autres), des insurgés locaux. Est-ce que vous avez quand même une idée de leur nombre ? Combien représentent une menace ? Sur cette aide extérieure, jusqu’où ça peut aller ? un IED, ça coûte tant ? Est-ce qu’une prise d’otage, une attaque, une embuscade ? Est-ce que vous avez réussi à avoir une estimation ?


Colonel Benoît Durieux : C’est vraiment très difficile à dire. D’autant plus que ça bouge et que les gens se déplacent. On estimait que, dans le nord de la Surobi, il y avait entre 100 et 150 combattants permanents. Effectivement ce qui est sûr, c’est que les motivations sont surtout économiques, c’est surtout une crise sociale, à mon sens.

 

Quant au coût, nous avions des informations selon lesquelles des insurgés qui participaient à un combat touchaient 200 dollars. Sachant que le salaire mensuel d’un ouvrier est de l’ordre de la centaine de dollars. Et détruire un véhicule blindé, pouvait rapporter de l’ordre de 2 000 dollars. Je ne connais pas la valeur de ces chiffres mais cela me paraît cohérent.

 

Question : Qu’est-ce que vous pouvez constater sur la culture de pavot ? Est-ce que c’est vital ? Quelle est la consigne alors et le financement pour les talibans ou les insurgés ?


Colonel Benoît Durieux : Vous avez très peu de pavot en Surobi. Il est sûr que le pavot rapport beaucoup plus que le blé mais il y en avait très peu dans nos zones. Ce n’était donc pas un problème dans notre secteur.


L’EMPLOI DES MOYENS

Question : Est-ce que vous ne pensez pas que le succès en Afghanistan, dans la zone française en tout cas, repose plus sur ce qu’on appelle les actions indirectes ou les actions non cinétiques que par des déploiements de forces ?


Colonel Benoît Durieux : Très sincèrement, je crois qu’il faut vraiment les deux. Il ne faut pas être angélique non plus. Les actions CIMIC ou les actions de développement, il faut les faire à bon escient. Il faut être sûr de l’endroit où l’on va dépenser l’argent, car on peut penser qu’une partie s’évapore vers les insurgés.


Et il y a des moments où il faut utiliser la force, c’est très clair. C’est important, à la fois dans la culture locale et parce que c’est indispensable. Je crois qu’il ne faut pas être angélique. Il y a un moment où il faut utiliser la force et il y a des moments où il faut savoir la retenir. C’est parfois très difficile de décider entre les deux. En plus, il n’existe pas de parallélisme disant : il y a les actions non cinétiques (suivant un terme anglo-saxon) et puis il y a les actions strictement militaires.


Moi, je crois qu’il y a un objectif politique local. On cherche à asseoir l’autorité du sous-gouverneur, on cherche à faire remonter son autorité de plus en plus loin dans la vallée, on cherche à permettre aux insurgés locaux de déposer les armes, parfois en leur donnant les moyens de sauver la face. Pour atteindre cet objectif politique, de temps en temps, il faut utiliser la force. De temps en temps, il faut l’utiliser de manière ouverte, de temps en temps, de manière dissuasive. Et cet objectif politique local, il est aussi atteint parfois, par des actions CIMIC effectivement.

 

Question : Les Tigre ou les Gazelle HOT, ça vous a, entre guillemets, « sécurisé » à travers la progression dans les vallées ?


Colonel Benoît Durieux : Oui, c’est un atout considérable. D’abord, parce que c’est un moyen de renseignement extrêmement utile qui vient en complément des drones dont on a déjà parlé. Ensuite parce que c’est aussi un atout essentiel en termes de dissuasion, les Tigre ont un effet dissuasif certain. Et cela est très important car en réalité une grande partie de notre mode d’action a fonctionné sur la dissuasion. Enfin, c’est un outil essentiel quand on sent que ça peut commencer à aller mal. Et là c’est une arme extrêmement efficace.

 

Question : Sur le drone SDTI, vous, en tant qu’utilisateur de ce moyen, qu’est-ce que vous en pensez ?


Colonel Benoît Durieux : Nous l’avons utilisé à de très nombreuses reprises. C’est comme tous les moyens que nous avons à notre disposition, ce n’est pas un outil magique. Ce n’est pas la clef à tous les problèmes, mais c’est souvent une aide appréciable, notamment pendant les accrochages, par exemple, où il est très utile pour essayer de suivre la situation, de voir si d’autres insurgés arrivent dans la zone de l’accrochage. Et donc pour ça, c’est vraiment extrêmement utile.

 

LES RELATIONS AVEC LA POPULATION

Question : La population de la vallée rappelle les promesses non tenues ou soi-disant non tenues. Quels sont les besoins qu’elle avance ? Et quelles ont été les réponses qui on pu être apportées ?


Colonel Benoît Durieux : Je pense qu’il y a deux types de besoins en réalité. Il y a un besoin qui est non exprimé mais qui me paraît assez juste et qui est réel, c’est un besoin de reconnaissance, un besoin plutôt de l’ordre du symbolique.

Et il y a des besoins concrets, pour les plus importants, qui ont trait à tout ce qui est tout simplement l’eau et l’adduction d’eau, creuser des puits. C’est un premier type de besoin important. Et le deuxième besoin, majeur et, à mon sens, la clef du succès, c’est la viabilisation des pistes et des routes parce que ce sont des régions qui sont très mal desservies. Il est très difficile d’aller là-haut, en dehors de tout problème de sécurité.

 

Question : Quelle est la perception des gens dans la région où vous étiez ? Est-ce qu’ils ont le sentiment que depuis la présence des Français, tout s’améliore, qu’ils ont quelque chose à gagner ou est-ce qu’ils sont tout à fait fatalistes en se disant, un jour, les Français vont partir et ça redeviendra comme avant ?


Colonel Benoît Durieux : C’est difficile à dire parce que les Afghans sont des gens assez secrets et aussi extrêmement polis. Ils m’ont dit qu’effectivement, ils étaient très attachés à notre présence. Ceci dit, je crois que c’est un peu vrai quand même. Il y a quelque chose qui revenait en permanence. Quand cela revient une fois, deux fois, on se dit qu’ils sont vraiment très polis ces Afghans, mais en fait, quand cela revient à chaque fois, finalement, on se dit qu’il doit y avoir un fond de vérité. Ils nous disaient toujours : « Vous, vous avez fait 7 000 kilomètres, loin de vos familles, il faut qu’on vous remercie vraiment de venir vers nous ». Donc, il ne faut pas tout mettre sous le couvert du culturel, d’une sorte de déterminisme qui voudrait qu’une force française ou occidentale soit nécessairement accueillie soit comme des libérateurs, soit, à l’inverse, comme des occupants dans un pays. Il y a aussi les relations humaines qui se créent peu à peu, les relations qui se nouent, une certaine amitié avec les responsables locaux. Pour moi, finalement, c’est ce qui est probablement le plus important.


L’EXPERIENCE PERSONNELLE

Question : Une question un peu plus personnelle. Vous avez passé six mois dans la vallée de Surobi, à Tora, vous avez emmagasiné un certain nombre de connaissances, de renseignements, vous avez noué des relations. Six mois, ce n’est pas trop court pour un chef ? Et deuxièmement, comment l’institution capitalise votre expérience ?


Colonel Benoît Durieux : Sur la durée du mandat, je pourrais être assez clair, six mois, c’est évidemment trop court. Il faudrait être là plus longtemps. Mais il y a un compromis évident à trouver avec d’autres problèmes qui sont des problèmes d’organisation, des problèmes de rotation des unités, et des problèmes, par exemple de famille. Six mois, c’est très long pour les familles.

 

Pour la capitalisation, c’est un élément essentiel. J’y passe beaucoup de temps en ce moment, c’est tout à fait normal. Au sein de mon régiment, j’ai donné des directives pour qu’on puisse tirer partie au maximum de notre expérience : essayer de l’écrire, entraîner maintenant les jeunes légionnaires qui arrivent, les jeunes cadres, à la lumière de ce qu’on a appris là-bas. Et dans le cadre plus large de l’armée de Terre, il y a de très nombreux séminaires auxquels je vais participer, où on essaye de tirer toutes les leçons de cette expérience effectivement très riche.

 

Question : Qu’est-ce que vous, vous en avez retiré pour vous-même en tant que militaire ?


Colonel Benoît Durieux : Une très bonne question, très difficile. J’ai surtout mesuré en pratique des choses que je savais de façon purement théorique, j’ai mesuré en pratique à quel point elles étaient vraies.


J’ai mesuré qu’engager une opération militaire réelle, même si on se prépare à ça, même si, avant, on trouve ça exaltant, c’est l’aventure, c’est finalement difficile parce qu’on risque la vie des gens.


J’ai mesuré qu’il fallait monter les manœuvres les plus simples possibles parce que la malchance, la friction, ça existe partout.


J’ai appris que, en revanche, que je pouvais demander énormément aux légionnaires que je commandais et, souvent, ce qu’ils faisaient dépassait mes attentes.


J’ai découvert une société afghane extrêmement respectable, très attachante, avec une densité humaine très forte. J’ai mesuré à quel point il était difficile de décider quand est-ce qu’on va mener une action militaire et quand est-ce qu’on va décider de ne pas la mener. Il n’y avait pas de solutions très simples à des problèmes très compliqués et qui se résolvent dans le long terme.


Source : Point presse du Ministère de la Défense du 11 mars 2010 - Intervention du colonel Benoît Durieux, commandant le GTIA Surobi d'août à janvier 2010.


Deux Bruntrutains à la Légion étrangère

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Article paru dans le bulletin de la société Jurassienne des Officiers N° 26 de février 2010.


Le capitaine jolidon et le colonel jean-Richard
 

Deux Bruntrutains

à la Légion étrangère

 

De nombreux Suisses ont servi dans la Légion étrangère en toute illégalité (Constitution fédérale oblige), parfois légalement, lorsqu'ils avaient obtenu la nationalité française après quatre ou cinq années de service. C'est le cas pour Jean-Pierre Jolidon et Roland Jean-Richard, tous deux Bruntrutains.

 

 

Depuis sa création par le roi Louis Philippe en 1831, la Légion étrangère a compté des Suisses dans ses rangs; sous l'Ancien Régime déjà, les rois de France appréciaient leur valeur et surtout leur fidélité. En 1914, un officier suisse rejoint la Légion étrangère: il s'agit d'Albert de Tscharner, d'une famille patricienne bernoise qui a servi les Bourbons. Après la guerre, il reste au 3e Régiment étranger d'infanterie et fait la campagne du Maroc. C'est une grande figure de la Légion qui obtient le grade de lieutenant-colonel, le plus élevé pour un Suisse depuis 1831. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Albert de Tscharner sert comme colonel dans l'armée suisse, un temps comme commissaire à l'internement .

 

Jean-Pierre Jolidon de Porrentruy peut apparaÎtre comme une victime de la communication! Quand on lui demande pour quelles raisons il a quitté sa patrie pour entrer à la Légion, après son école de recrues et avant son école de sous-officiers, il répond avec un certain sourire :«Par réaction contre la campagne anti-Légion faite en Suisse vers 1958.

 

Le lieutenant-colonel Albert de Tscharner (1875-1948), commandeur de la Légion d'honneur, 16 campagnes, 11 citations, 7 blessures.

 

Très précisément à cause d'un article paru dans un illustré romand; je me suis dit en voyant ces images de combat : c'est exactement ce qu'il me faut.» Homme sérieux, cultivé, il sert notamment au 5e Régimemt mixte du Pacifique et, dans les années 1970, à la maison-mère à Aubagne. Il appartient à la compagnie des services de la Légion étrangère, commandée à l'époque par le capitaine ... Jean-Richard.


 Roland Jean-Richard, sous-officier ...

 


 

Roland Jean-Richard s'engage
par hasard à la Légion

 

Roland Jean-Richard dit Bressel naît à Porrentruy le 30 octobre 1929. Son père Charles, d'une famille originaire de La Sagne, figure dans la liste des contribuables de 1937 comme «employé» (il est encaisseur à la Banque Populaire Suisse à la rue du Temple), puis comme laitier dans celle de 1954. Il a également été le tenancier du Cercle de l'Union. Après son école primaire et son progymnase à l'Ecole cantonale, Roland fait pendant trois ans un apprentissage à la Municipalité de Porrentruy, suivant les cours de l'Ecole professionnelle commerciale dirigée alors par le professeur Ali Rebetez, colonel de milice. Il finit son apprentissage «libre de tout engagement», selon le certificat signé par Xavier Billieux, secrétaire municipal.

 

L'un de ses meilleurs camarades, Antoine Barthe le fait engager chez Lucien Vallat, agent Ford à Porrentruy, puis il part à l'école de recrue. Là se joue le destin d'un jeune homme qui «s'est consenti des avances sur salaire imprévues par les patrons». Il traverse la frontière, puis se retrouve à Paris, sans un sou.

... Il vient à Porrentruy présenter sa future épouse à ses parents.

A la tête de sa compagnie, le capitaine Jean-Richard défile aux Champs-Elysées le 14 juillet.
 

Alors qu'il divague en bord de Seine, il rencontre un agent de police à qui il demande : « La Légion, c'est où ? » Aujourd'hui, encore, Roland Jean-Richard, du haut de ses quatre-vingts ans, est incapable de préciser l'origine de cette question: livre, film ou l'Alpone Chavannes, employé au garage Ford, ancien légionnaire ?

 

Rendu au fort de Vincennes le 22 février 1949, il est viré parce que trop jeune (dix-neuf ans dans quatre mois). Il se représente le 23 et demande à voir le directeur ... En fait, c'est un capitaine qui le reçoit et lui fait signer une demande d'engagement provisoire. Puis c'est le bas-fort Saint-Nicolas à Marseille et Sidi Bel-Abès. Test auto, transmission, dactylo où il brille. Incorporé à la compagnie d'accueil comme dactylo puis muté dans un bureau de l'état-major, sans avoir fait le moindre jour d'instruction militaire! Deux ans plus tard, un lieutenant, qui remplace le chef de bureau en permission, lui

 

demande où il a fait son instruction. La réponse ne l'empêche pas de proposer Roland Jean-Richard pour le peloton des élèves-caporaux. Celui-ci, doutant de sa réussite car il ne connaît rien au métier, termine le stage et, contre toute attente, en sort premier. Affecté d'office au peloton d'élèves-sous-officiers, il est sergent quatre mois plus tard à la fin 1952.

 

Dans la foulée, Roland Jean-Richard est convoqué chez le capitaine, chef du Bureau statistique de la Légion étrangère, en clair la Sécurité militaire « Légion». Un carton portant « 0» (A observer) « car susceptible de déserter» est présenté au nouveau sergent par le capitaine qui lui demande: «As-tu toujours envie de déserter ?» L'intéressé répond qu'il n'a pas fait le peloton pour déserter. Le capitaine lui dit alors qu'il est prévu pour le Bureau statistique de Saïgon et que sa fiche est supprimée.


La carrière de Roland Jean-Richard en style militaire

- Sur sa demande expresse, incorporation au bataillon de marche N° 1 de la Légion étrangère en renfort dans le massif des Aurès (janvier 1955).

- Novembre 1955, promu sergent-chef et désigné comme commandant d'un poste isolé (effectifs 2 sous-officiers, 30 caporaux-chefs, caporaux et légionnaires, dont 1 Suisse, 1 Espagnol et... 30 Allemands).

- Début 1956, affectation au Bureau statistiques d'Alger.

- Fin 1957, retour en opération (5e compagnie du 3e Régiment étranger d'infanterie), Croix de guerre avec citation à l'ordre de la brigade.

- 1960, sous-officier de carrière, affecté à la Sécurité militaire de la zone du Nord-Algérois. Putsch du général Challe, Roland Jean-Richard est affecté dans le Jura à Lons-le-Saunier au60e Régiment d'infanterie.
 
-1963, admis à l'Ecole de l'infanterie, adjudant en octobre, sous-lieutenant le 1er août 1964. Retour à sa demande au 60e Régiment d'infanterie pour y payer son galon.
 
- Lieutenant le 1er août 1966, il rejoint le 3e Régiment étranger d'infanterie à Madagascar. En cours de séjour, il commande un détachement en Grande Comore. De retour sur la Grande île, il est désigné comme directeur de stage "Snipers" puis, pendant un an à Mayotte, comme chef de section.

- Sur les conseils de son colonel, l'âge étant là - trente-huit ans - ii s'oriente vers les services administratifs et financiers des éléments organiques de la 4e Brigade motorisée à Beauvais comprenant une compagnie de QG, une compagnie légère de transmissions, un escadron de transport et une compagnie de réparation. Le colonel, susceptible de prendre le commandement de la Légion, avait ajouté qu'il envisageait de donner le commandement d'une compagnie à Roland Jean-Richard, dès sa promotion au grade de capitaine.

- En 1971, après avoir assuré en Corse la reconversion d'un groupe de snipers sur le fusil FRFI, promu capitaine le 1er août, il commande la compagnie des services du 1er Etranger aux effectifs de 340 dont 220 présents à la portion centrale. Le départ d'un commandant du 1er Etranger, chef des services administratifs et financiers, amène le commandement à confier cette fonction à Jean-Richard (mi-1974 - mi-1975), son expérience dans le domaine administratif et financier à Beauvais est à l'origine de cette décision. Dans la même fonction, il est muté à la 13e Demi-brigade de Légion étrangère à Djibouti  (1975 - 1977) et, en 1978, à l'école de l'Infanterie à Montpellier. Quatre ans plus tard( 1er octobre 1982), promotion au grade de lieutenant-colonel.

- Mi-1983, le général commandant la Légion étrangère lui demande de créer et d'animer le poste d'officier chargé de la communication à l'issue d'un stage au au Centre de formation des journalistes de Paris.


Le lieutenant Jean-Richard reçoit la médaille de chevalier dans l'Ordre du mérite des mains du général Henry.
 
En 1985, Roland jean-Richard quitte l'active. Promu au grade de colonel dans le cadre technique et administratif, section Etat-major, le 1er octobre 1989, il reçoit l'honorariat de ce grade le 1er avril 1990.Il bénéficie d'une retraite de colonel 2e échelon et est pensionné de guerre pour des affections contractées en Indochine. Totalisant trente-six ans et six mois de service, dont vingt-deux au sein de la Légion étrangère, titulaire de la Médaille militaire, officier dans l'Ordre national du Mérite, Croix de la valeur militaire avec citation à l'ordre de la brigade, Croix du combattant volontaire ...
 
 
Selon le colonel Roland jean-Richard, seule la Légion étrangère, institution française multiraciale, permet, quelles que soient les origines sociales, culturelles ou professionnelles de l'intéressé, de gravir les échelons de l'échelle des responsabilités, grâce à l'encadrement et à la conduite d'officiers français les meilleurs du monde militaire. D'autres pays ont tenté l'expérience d'une Légion sans jamais connaître le succès. Concernant les quatorze années passées dans l'armée française régulière, Roland Jean-Richard souligne le bonheur qu'il a eu, à trois reprises, de servir au 60e Régiment d'infanterie à Lons-le-Saunier avec des appelés du cru, des jurassiens, excellents soldats. A l'Ecole de l'infanterie, la qualité des cadres civils et militaires est reconnue de tous.

Le musée de l'Infanterie à Neuf-Brisach...

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                La lettre de l'ANORI pour le musée de l'Infanterie

 

N°1 Février 2010

 

Comme annoncé dans la rubrique « Fenêtre sur le musée de l’Infanterie » du site de l’Association Nationale des Réservistes de l’Infanterie (ANORI) http://anorinfanterie.free.fr le Musée de l’Infanterie sera installé à NEUF-BRISACH (Haut-Rhin).


C’est ce que M. Hervé MORIN, ministre de la Défense, a confirmé officiellement aux collectivités locales concernées par un courrier du 7 janvier 2010.


Au plan financier, c’est l’État qui financera le fonctionnement du Musée, lequel restera un musée militaire dirigé par du personnel militaire. Le budget annuel est évalué environ à 500.000€.

 

Pour ce qui est de l’aménagement des locaux, ce sont les collectivités territoriales alsaciennes qui devront en assurer le financement, qui s’élèverait à plusieurs millions d’euros.


C’est dans l’ancienne caserne SUZONNI que le Musée de l’Infanterie doit renaître d’ici à 2014. Cette année sera chargée de symboles avec le centenaire du début de la Première Guerre mondiale et l’inauguration de la rénovation de l’HARTMANNSWILLERKOPF, le « VIEIL ARMAND », haut lieu de combats de la Grande Guerre, situé dans les environs.


Installé dans une région touristique et au coeur même d’une place forte de VAUBAN classée au patrimoine mondial par l’UNESCO, le Musée de l’Infanterie se trouvera aussi à proximité de plusieurs régiments d’Infanterie.

 

Cette implantation s’inscrit également dans le cadre de la revitalisation de NEUF-BRISACH. La venue de nombreux visiteurs sera un atout supplémentaire pour la ville, qui renforcera ainsi son image de cité d’histoire.


Il faut maintenant relever les manches et mettre en oeuvre les procédures administratives pour la transformation du bâtiment qui accueillera le Musée. Il n’y a pas de temps à perdre, car il est nécessaire que la France ait son Musée de l’Infanterie.

 

Lieutenant-colonel (r) Patrice FICHET

Président de l’ANORI        


Deux ans au Groupement d'Instruction de la Légion étrangère, 1971 - 1973

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Lieutenant-colonel (er) Jean-Pierre RENAUD
président du CHMEDN


 

A cette époque, l'instruction des légionnaires se faisait au Groupement d'Instruction de la  Légion étrangère (GILE 1) dans deux garnisons corses, Bonifacio et Corte. Le GILE faisait partie du 1er Régiment étranger dont la base était à Aubagne. Ma première affectation Légion fut donc Bonifacio où je rejoignis la citadelle de Montlaur perchée sur la partie rocheuse du bout de l'île face à la Sardaigne. La citadelle avait la particularité d'inclure au bout de son domaine militaire surplombant la mer le cimetière du village de Bonifacio, si bien que les villageois pouvaient accéder librement aux tombes de leurs familles en traversant la citadelle. La garnison regroupait une compagnie d'engagés volontaires du GILE (la 1re) et deux

 

compagnies du Groupement opérationnel de la Légion étrangère (le GOLE). L'autre partie du GILE, à Corte, comprenait une deuxième compagnie d'instruction d'engagés volontaires (EV), la compagnie d'instruction des cadres (CIC) et la compagnie d'instruction spécialisée (CIS). Le nombre de sections à l'instruction au sein des compagnies d'EV variait en fonction du nombre d'engagés. Les effectifs en hiver étaient toujours plus importants que ceux de l'été. Le froid arrivant, on se pressait plus aux postes d'engagement. Aussi les effectifs de la première section que


(1) Le GILE avait quitté sa garnison de Sidi-bel-Abbès en 1962 pour s'installer en Corse .


La citadelle de Bonifacio

l'on me confia compta un effectif de 85 dont 1 officier, 1 sous-officier adjoint, 3 sous-officiers chefs de groupe, 3 caporaux-chefs ou caporaux, 3 fonctionnaires-caporaux et 74 engagés volontaires (EV). Je n'avais jamais connu avant mon arrivée à la Légion la fonction de fonctionnaire-caporal que nous appelions les « fout-fout» ; ils avaient été sélectionnés dans la section d'EV précédente ou même deux sections plus tôt. Il fallait qu'ils fassent un temps de « fout-fout» avant de rejoindre un peloton d'élève caporal à Corte. Un temps précieux, qui nous permettait de confirmer la valeur de l'individu. Que l'on veuille bien s'imaginer la chambrée de section avec les 74 EV, les 3 caporaux-chef ou caporaux et les 3 fout-fout, 80 personnes! Certains lits métalliques étaient étagés sur 3, un bel exercice physique pour monter et descendre du lit ! Cet imposant effectif avait naturellement des répercussions sur toutes les activités : les temps de distribution et de réintégration de l'armement, le nombre de séries de tir, etc. Il fallait donc se lever plus tôt, revenir plus tard, etc. Chaque EV disposait d'une armoire individuelle métallique dans laquelle son paquetage était rangé façon Légion avec un pliage millimétré, en particulier, sur la seule étagère de l'armoire où figurait la «télévision» : le linge de corps enveloppé d'une serviette blanche avec, au dessus, à chaque angle, une épaulette tradition (corps vert, tournante rouge, franges rouge). Un morceau de carton derrière la serviette aidait à maintenir verticalement «1'écran» de la «télévision».

L'habillement

La tenue était le treillis mIe 47. Il me semble aussi que même la deuxième tenue en dotation pour chaque EV était une tenue mIe 47 et non le treillis satin 300. Je me souviens d'une anecdote à propos des rangers pour l'un de nos EV. Un géant d'origine allemande, de plus de deux mètres de haut nous arriva et, chaussant du 52, il lui fallut attendre un bon mois pour disposer de ses rangers. En attendant, il faisait tout en
 

espadrille, l'ancien modèle des chaussures de sport que j'avais découvert dix ans auparavant au 9e RCP. Pour revenir à ce type de treillis, ce fut un des meilleurs en qualité de résistance aux ronces et autres obstacles du terrain. Les sections d'EV faisant leur instruction pendant la saison chaude voyaient le pantalon de treillis remplacé par un short taillé dans des pantalons couleur beige (celui de l'ancienne tenue de sortie en toile au repassage pénible). Si bien qu'en tenue de sport, EV et cadres avaient un bronzage bien caractéristique ! Sur la splendide plage de Palombaggia, on repérait tout de suite un cadre de l'instruction pour son bronzage démarrant à mi-mollet et terminant dix centimètres au-dessus du genou. Pour l'hiver, les cadres pouvaient se faire retailler une capote kaki en trois-quarts par notre «tailleur» compagnie, un vieux légionnaire d'origine polonaise capable, lors d'un égarement haut en couleur, de surpiquer un paquet de cigarettes dans une couture.

L'instruction, les parcours de tir réels, la visite du Père Légion.

Une bonne moitié des EV était d'origine non francophone. Il fallait donc leur enseigner le français dès le premier jour d'instruction pour qu'ils puissent comprendre l'instruction. Une

 En remontant vers la citadelle


des méthodes consistait à faire répéter comme un perroquet tout ordre reçu par l'EV ; je dois avouer que je fus surpris par ce procédé particulièrement efficace. Par ailleurs, chaque cadre officier et même sous-officier proposait à un EV de devenir son ordonnance 2 libre à elle d'accepter ou non. Celle-ci devait toujours être d'origine étrangère et non francophone. L'intérêt pour cet EV était d'avoir des cours supplémentaires de français, de recevoir une petite rétribution financière et, pour l'ordonnance du chef de section, d'être exempté de toute garde au quartier comme sur le terrain. J'eus ainsi au cours de ces deux ans des ordonnances d'origine américaine, yougoslave et polonaise. Toute l'instruction se faisait aux abords du champ de tir de Bonifacio et dans la presqu'île de Santa Manza : départ à pied, retour à pied, soit un déplacement journalier de presque 10 km non inclus l'instruction elle-même. Les mollets enflaient au fil des jours! Après la phase de formation élémentaire toutes armes (FETTA), rigoureusement identique à celle des appelés du contingent dans la Régulière, nous abordions le combat de l'équipe choc et de l'équipe feu sous la forme de drill. Dans l'instruction figuraient des parcours de tir réels que nous répétions une première fois avec arme sans cartouches à blanc, une deuxième fois avec cartouches à blanc avant de passer au parcours avec les cartouches réelles. C'est lors d'une répétition d'un parcours de tir réel que je vis un hélicoptère se poser en retrait du parcours. Surpris de voir un hélicoptère aux abords d'un champ de tir, je vis descendre le Père Légion, le colonel Le Testu 3 ... Panique à bord! M'ayant reçu à mon arrivée à la Légion et, tenu pendant une bonne heure au garde à vous dans son bureau d'Aubagne, il m'avait fort impressionné. Que venait-il faire ce jour là ?  Arrivé dans mon dispositif, se


(2) Une fonction aujourd'hui disparue.
(3) Voir ln memorium Général Marcel LE TESTU 1918-2006 dans la revue n° 51- 2e semestre 2006.

 

 Le colonel Le Testu au pas de tir (non pas celui de Bonifacio mais à madagascar; 3e REI in Képi Blan, mars 1969)

mettant derrière un tireur FM en position, il m'interpelle:

-«Renaud, vous vous êtes mis à la place du tireur FM ?»
-«Heu ... non mon colonel.»
Le Père Légion demande au légionnaire de laisser son FM sur place et de se lever. Il prend sa place ... je commence à trop bien comprendre ...
-«Renaud, prenez la place du tireur»
J'exécute et m'aperçois immédiatement que le tireur n'avait pas choisi un emplacement lui permettant d'avoir un tir efficace.
-«Alors ?»
-«Mon colonel, à l'avenir, je vérifierai chaque fois les emplacements de tir. .. »
-«Prenez toujours à votre compte les FM et les fusils de précision.»

L'entraînement commando

Dans la formation de base des EV figurait l'entraînement à la marche commando, une des épreuves du stage commando des unités de


la Régulière auquel ils n'accédaient pas. Nous entraînions néanmoins nos jeunes EV à cette marche sur un circuit en boucle de 8 kilomètres proche du champ de tir de Bonifacio. La ligne de départ était séparée d'une cinquantaine de mètres de la ligne d'arrivée. Le contrat pour les EV était de boucler les 8 km en moins d'une heure avec le sac à dos lesté à 8 kg. Quelques uns n'y parvenaient pas du premier coup. Mais, à leur arrivée, ils savaient que si le temps avait été dépassé, ils parcourraient les 50 m les séparant du départ pour recommencer dans la foulée une deuxième fois leur marche commando. Et là, comme par enchantement, ils faisaient beaucoup moins d'une heure.

Le séjour à l'Ospédale

La Légion disposait dans l'arrière pays de quelques chalets bien agréables où nous séjournions pendant une bonne douzaine de jours mis à profit pour faire du combat en zone boisée et initier nos jeunes EV à la varappe. L'ordinaire était agrémenté d'un sanglier dépecé et découpé en un rien de temps ; un sanglier égaré qui, confiant, avait trouvé comme seule issue le camp Légion! Le séjour était d'autant plus agréable pour les EV que le pouf 4 de la citadelle Montlaur nous rejoignait en GMC pour une soirée ou deux.

Remise des képis blancs et rythme du pas
Légion.

A l'issue de la Marche des Képis blancs, les EV recevaient leurs képis blancs au cours d'une cérémonie nocturne dans la cour de la citadelle; une cérémonie attendue par les EV, marquante dans leur engagement, inoubliable pour beaucoup, qui avait été répétée pour sa gestuelle et son chant jusqu'à la perfection.

(4) A cette époque chaque garnison Légion disposait d'un pouf; pour la Corse, il y avait donc un pouf à Bonifacio, Corte et Calvi.
(5) «Dans le chant «Les Képis blancs» : le «La rue appartient» est orgueilleux, dense, écrasant. Le «Combien sont tombés» est grave, plus sourd, presque cassé» (Extrait de la Note n° l712/RE/GILE/DLEB/SEC, Bonifacio, le 08.09.1970, capitaine Jean-Marie Sélosse, commandant le Détachement de Légion étrangère).
 

Le chant des « Képis Blancs 5» (puisqu'il nous faut vivre et lutter dans la souffrance .. .) commençait d'être appris dès la première semaine d'instruction en même temps que les cours de français; il était répété autant de fois que nécessaire pour être parfait lors de la cérémonie. Presque simultanément, les EV apprenaient le chant de leur section puis celui de la compagnie. Cela peut paraître beaucoup mais le temps ne comptant pas, les paroles étaient sues très rapidement.

D'un côté, les couleurs de la Légion étrangère -vert et rouge- avec le chiffre 2 du régiment dans la grenade

 De l'autre, la couleur de la 1re compagnie, le bleu, et celle de la 4e section, le vert


A l'issue de la cérémonie, entonnant la marche des Képis blancs, en tenue de lumière, la section rejoignait le pouf de la citadelle avec ses cadres: découverte du site, de l'ambiance, bières et chants, la grande récrée pour les jeunes EV et les cadres qui devaient obligatoirement accompagner leurs légionnaires. Un lieutenant, très ancien, n'ayant pas voulu suivre cette tradition dut rejoindre la Régulière dans les plus brefs délais. Très vite, tout déplacement à l'intérieur de la citadelle se faisait en chantant. La cadence du pas était théoriquement de 88 pas par minute contre 120 pour les autres unités. Mais 88 pas par minute apparaissait beaucoup trop rapide pour l'encadrement si bien que le franchissement de l'entrée de la citadelle démarrait à une cadence descendant parfois à 65 pas par minute ce qui faisait hurler le commandement. Nous jurions, bien sûr, de ne plus recommencer ...

La marche de fin de formation Sartène-Corte

La fin de formation des EV se concrétisait par une longue marche de 142 km. La colonne était suivie d'un GMC assurant la voiture balai, l'intendance, et la penderie où étaient soigneusement accrochés treillis de défilé et képis blancs pour l'arrivée à Corte. Selon la saison l'itinéraire variait car les trois cols à franchir étaient souvent enneigés l'hiver ; il fallait donc redescendre dans la plaine.  A l'approche du camp Légion de Corte, nous nous arrêtions près d'un torrent (Le Tavignano) pour le décrassage et revêtir treillis immaculé et képi blanc. Puis les EV franchissaient le seuil du quartier de Corte, sac à dos, fusil sur l'épaule, baïonnette au canon, en chantant et sans boiter ! Les derniers vingt à vingt cinq kilomètres de cette marche Sartène-Corte avaient été effectués en ambiance combat en appliquant le mécanisme «fixer-déborder» au niveau du groupe de combat. Nous restions une semaine à Corte pour l'affectation des légionnaires dans les corps. En attendant de passer individuellement devant un officier
 

orienteur, les EV participaient aux travaux d'amélioration du camp Légion. Chaque section d'EV avait à coeur de personnaliser son passage.

Conclusion

Ce séjour de deux ans à l'instruction constituait une mise dans l'ambiance exceptionnelle pour un officier affecté pour la première fois à la Légion étrangère. En formant de jeunes engagés, nous nous formions nous-mêmes, l'esprit Légion nous pénétrait de part en part sans nous en rendre compte. Certains jeunes officiers sortant d'Application ou arrivant d'autres corps métropolitains n'avaient pas cette chance et rejoignaient directement un régiment opérationnel, ce qui pouvait poser problème. Les affectations suivantes au sein de la Légion permettaient de retrouver quelques uns des EV formés, un grand moment d'émotion.
 

 

 

Insigne du 2e Etranger en argent offert au départ d'un lieutenant

 

 

 Numérotation de l'insigne

 

 

 

 

 

 

Portrait de légionnaire par Edmond Lajoux in Les Africains de Pierre Mac Orlan


Capitaine Jean Danjou

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13/07/07

"The Legion dies;  It does not surrender!"

The French Foreign Legion is without a doubt one of the most hardcore military units ever assembled, and is probably one of the most badass organizations this side of the Praetorian Guard or the original N.W.A. lineup.  Around the time of its inception it was comprised exclusively of foreign soldiers led by French officers and had a reputation of being a tough-as-nails assortment of scoundrels and degenerates the likes of which would make Mos Eisley Cantina look like the lobby of the Ritz Carlton.  The lack of any background checks on incoming recruits meant that the Legion was largely comprised of criminals, mercenary thugs, and various assorted evildoers escaping their homelands for one dubious reason or another and who had probably received the death sentence on no less than twelve systems.  Of the hardcore thugs that escaped life to join the Legion, only a handful actually managed to make it through the most brutal basic training program in military history without deserting, going home and crying to their mothers, or suffering a severe case of Death By Bludgeoning and/or Heatstroke.  What remained after ten weeks of ball-busting training in the middle of the Algerian desert was a rugged cadre of disciplined motherfuckers who would just as soon shiv you in a parking lot with a broken spork as they would look at you.  It's a legion of badasses, and at no time in history did they prove that more than at the Battle of Cameron under the command of Capitaine Jean Danjou.

In 1863 the French Emperor Napoleon III was being a dumbshit and trying to fuck with Mexico for some reason that is inconsequential in the grand scheme of things.  The important thing for this story is that the French Army was besieging the Mexican town of Puebla, and it wasn't really going so hot for them.  French command ordered that a crucial convoy carrying three million Francs and several hundred pounds of ammunition be brought up to re-supply the seige, and gave the 3rd Company of the Foreign Legion the task of making sure the supplies reached the front.  Well unfortunately, half of the goddamned Foreign Legion were crapping their pants with dysentery and consumption brought on by the harsh Mexican climate, including half of the 3rd Company's soldiers and all of their officers.  But little things like explosive diarrhea don't keep military units from completing their orders, so the 62 men who were still capable of self-locomotion formed up and prepared to march.  Since there were no officers left to lead the detachment, the Foreign Legion's Regimental Quartermaster, Captain Jean Danjou, volunteered to personally command the mission.

It took a total badass to command a unit of mercenaries and criminal dirtbags, and Danjou fit the bill perfectly.  He was a veteran of many combat operations, having served in Algiers, fought the Russians in the Crimean War, battled the krauts in the Austro-Sardinian War, and stomped nuts in Morocco.  He had his left hand blown off in combat years ago, and sported a badass fake wooden hand that he occasionally used to beat the shit out of disobedient soldiers or play hilarious practical jokes on his superiors.  He also had a mustache and goatee that proved he meant business.  Just check out that portrait if you don't believe me.

3 officers and 62 enlisted men headed out on 30 April, marching 15 miles before deciding to stop at Palo Verde for some much-needed rest.  Unfortunately, that rest was not to be had.  As soon as the legionnaires sat down, they heard the rumbling of horse hooves that indicated the rush of incoming cavalry.  Danjou immediately ordered his men to fix bayonets, form up into a square Duke of Wellington-style, and prepare to repulse the Mexican horsemen, who by this point were hell-bent on putting the pointy ends of their cavalry sabers right up the legionnaires' asses.  They were not successful.

The Legion began a fighting withdrawal back to the nearby town of Cameron, repulsing three separate cavalry charges while sustaining minimal casualties to themselves.  When they reached Cameron, they holed up in an inn in the middle of town, which was protected by a ten foot high wall and was surrounded by a tight courtyard that would make it difficult for any sort of cavalry maneuvers.  Little did Danjou know, he was facing more than just cavalry.  His sixty men were going to make their last stand against an onslaught of three Mexican infantry battalions and one cavalry battalion, comprised of a total of 1,200 men and 800 cavalry.

The Mexican commander approached the Cameron Inn under a flag of peace.  He told Danjou, "you guys are basically fucked so you might as well just give up".  Danjou looked at him cooly and responded: "We have munitions.  We will not surrender."  The Legion began to fortify their position, and the Mexicans attacked.


Sixty men stood in extreme heat without any sort of food or water, battling it out against a force of 2,000 enemy soldiers.  The legionnaires hadn't had anything to eat or drink in over twenty-four hours, they were exhausted from marching, and they were in a hopeless situation, but like true badasses they stood their ground and fought with everything they had - guns, knives, bayonets, elbow strikes to the groin, you name it.  Danjou ran up and down the line encouraging his men and firing his pistol into the endless horde of Mexican infantrymen who continually hurled themselves at the inn.  Legionnaires fell to the earth dead and wounded, ammunition ran low, the inn caught fire, but through it all Danjou shouted over the flames, "The Legion dies; It does not surrender!"

As the onslaught began to take its toll on the legion, Danjou was dropped by a sniper round in the chest.  While you'd think this would end the story, his death only made the Legionairres EVEN MORE PISSED, and they continued to battle the Mexicans.  Finally, after eleven hours of battle, only five men remained.  They were completely out of ammunition, and almost too exhausted to even stand.  Rallied by the inspiration of their fallen captain, the five survivors fixed bayonets and charged out from behind the protective walls of the inn, right into the heart of the Mexican formation.  Three were killed by gunfire, and two were beaten down by Mexican rifle butts.  Just as the Mexican troops were preparing to tear the two survivors into tiny gibs, their commander called his men off.  The Mexican general approached the two half-dead men and demanded their immediate surrender.

The men looked the commander in the eyes and demanded their immediate safe passage home, accompanied by their wounded, their fallen captain, their weapons and their regimental flag.  The Mexican commander looked back at them and said, "What can I do with such men?  No, these are not men, they are devils."  He granted their request, and the Legion withdrew from the field.


Over the span of 11 hours, 65 men resisted a force of 2,000 well-trained and well-armed Mexican soldiers, killing 300 and wounding an additional 300.  They were slaughtered nearly to a man, but their bravery under the command of Capitaine Danjou has since become legendary.  To this day, whenever the Mexican Army marches past the monument that was erected at the spot of the battle, they present arms as a sign of respect to the brave men that faced them that day.  The word "Cameron" now appears on the regimental flag of the Legion, and in France and throughout the Foreign Legion, every April 30th is known as "Cameron Day", where the wooden prosthetic hand of Jean Danjou is brought out and paraded around and French citizens celebrate the ultimate badassery that was displayed that day.


En ces temps là...

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  Je vous livre,  dans A MOI, LA LEGION,

  la dédicace de l'auteur,

  Raoul RAVON,

  © 1955,

  ces phrases :

 

 Ce livre est dédié...

 

A tous les hommes venus des quatre coins du monde,

qui crurent en la Légion : "LEGIO PATRIA NOSTRA"

et tombèrent pour elle et pour la France

sur tous les champs de bataille du monde;

 

A ce vieux légionnaire retraité,

 

A tous ceux dont on disait récemment qu'ils sont devenus

"Français par le sang versé",

 

Au jeune qui, déjà, a tant souffert et a trouvé un refuge

de ses peines dans la grande famille légionnaire,

 

A tous ceux qui font du courage, leur vocation,

d'HONNEUR et FIDELITE, leur devise,

fiers de leur métier de légionnaire,

 

A leurs Chefs, qui tout en restant des Hommes,

surent être Seigneurs dans le noble Métier des Armes;

 

Et aux petits gars de partout,

qui viendront à leur tour à la Légion,

à la recherche de ce que le monde ne peut plus

leur donner : l'HONNEUR en échange de leur VIE.

 

Ce livre est également dédié à toutes les femmes

dont le coeur était avec cet être chéri,

leur légionnaire,

 

Et à Jeanne TOURNIAIRE,

ma marraine de guerre, "pour qu'elle puisse être fière de son oeuvre"

                                                                                             Raoul RAVON.


« Pèlerinage » à El Moungar

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Qui parle encore d’El Moungar et de ses combats ? El Moungar, lieu déshérité et aride du grand sud oranais ; un puits cependant, mais l’eau n’en est pas potable, ni pour les hommes, ni même pour les animaux. El Moungar, lieu de passage vers Taghit et Beni Abbès ; lieu de combat aussi … en 1900 déjà, en 1903 surtout.

Les Doui Menia et leurs alliés, tribus beraber insoumises venues des confins marocains, vivaient de pillages et de razzia. Ils menaçaient les populations, nouvellement colonisées ; ils ne craignaient pas de harceler les troupes françaises ; ils s’enhardissaient jusqu’à attaquer les convois militaires, voire même les garnisons.

Au début 1903, la situation se fit préoccupante. Elle s’aggrava à l’été de cette même année avec le siège de Taghit : 4000 beraber et leur suite attaquèrent la redoute défendue par seulement quelques centaines d’hommes. Après quatre jours de combat, les assaillants, dont les pertes étaient énormes, s’enfuirent, affaiblis mais non pas vaincus. Quelques jours plus tard, le 2 septembre, des beraber rescapés de Taghit s’attaquèrent à un convoi apportant du ravitaillement aux postes de l’extrême sud ; l’accrochage eut lieu à El Moungar. L’escorte française, surprise, manqua d’être submergée et subit de lourdes pertes. Ce fut un désastre, on en fit un symbole : la vaillance et le courage des légionnaires du 2ème R.E.I. s’y exprimèrent en effet de telle manière qu’on oublia le drame pour ne plus retenir que la bravoure. El Moungar, pour le « grand 2 » c’est Camerone, héroïsme et esprit de sacrifice au service de la mission.

Des photos de l’époque et des témoignages des survivants permettent aujourd’hui encore de revivre quelque peu ces heures tragiques[2] : lieu des combats jonchés d’objets hétéroclites où se mêlent les cadavres de mulets ; soldats blessés soignés à Taghit ; tombe fleurie des deux officiers morts au combat ; monument du souvenir, érigé peu après … Ces documents -à les bien considérer- parlent. Ils n’évoquent pas seulement le pur héroïsme et l’esprit de sacrifice, mais aussi les racines de ces attitudes et leur dépassement dans une espérance plus haute.

Si la détermination farouche des légionnaires à El Moungar mérite d’être toujours donnée en exemple -invitation au courage et à l’aguerrissement-, ces autres qualités ne le méritent pas moins. Les évoquer relève même sans doute d’une pédagogie des plus pertinentes encore pour les combattants d’aujourd’hui.

Abnégation

Que faisaient donc ces soldats sur ces pistes brûlées par le soleil en ce 2 septembre 1903 ? Ils escortaient un convoi de chameaux pour ravitailler les postes de l’extrême sud : Taghit, Igli et Beni Abbès. Le chemin de fer s’arrêtait un peu au sud d’Aïn-Sefra (soit à 220 kms au Nord de Taghit) Les convois faisaient des étapes de 15 à 30 kms par jour, de puits en puits. Souvent les puits étaient à sec ou de débit trop faible pour suffire au convoi tout entier. Il fallait donc fractionner les convois, source de difficultés supplémentaires pour leur protection. Ces convois au total pouvaient comporter 2000 à 5000 chameaux chargés chacun à 100 ou 150 kgs. Particulièrement adaptés à la vie dans ce milieu désertique, les chameaux de bâts mourraient cependant dans une proportion effrayante, jusqu’à 30 % sur un seul voyage, du fait de la sècheresse, du manque d’eau et de la chaleur. Les hommes survivaient … on imagine à quel prix ! Il fallait toujours emporter une paire de souliers de réserve car les semelles s’usaient très rapidement sur ces terrains caillouteux. Si l’on n’y prenait pas garde on se retrouvait à marcher pieds nus …

A ces conditions sévères de travail, s’ajoutaient les attaques incessantes des beraber dont témoignent les rapports. Les accords de Paris de 1900 et 1902 entre la France et l’autorité chérifienne du Maroc jetaient les bases d’une délimitation de frontière entre Algérie et Maroc dans ces confins du sud. Ils rendirent cependant plus difficile la pacification de ces vastes espaces : les soldats français s’interdisaient de franchir cette ligne mais les tribus beraber s’en moquaient et se réfugiaient à l’ouest où nous ne pouvions les poursuivre, ce qu’elles interprétaient comme une attitude de faiblesse les poussant à davantage de fanatisme guerrier. Le colonel Lyautey, nommé là à l’automne 2003, s’en plaindra sans succès jusqu’au traité d’Algesiras (1906)[3].

S’ajoutait encore, pour nos légionnaires dans leur mission de protection des convois, d’autres difficultés pratiques qui jouèrent une part non négligeable à El Moungar. Faute de personnel militaire suffisant, on avait recours dans ces convois de ravitaillement à des entrepreneurs locaux qui s’avérèrent indisciplinés quand ils n’étaient purement et simplement acquis à l’ennemi. La colonne attaquée à El Moungar s’étalait sur plus de 4 kms du fait de la mauvaise volonté de cette fraction libre du convoi rendant la protection de l’ensemble en cas d’attaque plus difficile encore[4].

Soumis à ces conditions extrêmes du climat, harcelés par une guérilla encouragée par des accords politiques inadaptés et victimes de dispositions économiques contre performantes dans l’organisation des convois, la légion marchait, combattait et mourrait sans rien dire, non par résignation désabusée, mais par abnégation. La chose n’est plus trop de mise mais, si l’on veut encore exhorter à l’esprit de sacrifice, n’oublions pas que l’abnégation en est le soubassement obligé… les combattants d’El Moungar en témoignent.

Dignité de la personne

A El Moungar, les soldats ont combattu pied à pied dans l’urgence et le plus grand péril. Cependant, la dure nécessité qui était la leur n’empêcha pas des gestes multiples d’humanité dont témoignent les citations à l’ordre du corps d’Armée. Sur douze combattants cités, cinq le sont, non pour leur conduite au combat proprement dite, mais pour leur comportement à l’égard des blessés et des morts. Avec les moyens du bord, les blessés ont été mis à l’abri et soignés, les morts rassemblés pour qu’ils ne soient ni dépouillés ni mutilés (et ils furent enterrés dès le lendemain matin). 

Les deux officiers commandant l’escorte furent mortellement touchés dès le début des combats ; la plupart des sous-officiers fut blessée mais la troupe ne se débanda pas et suivit au mieux les indications du Capitaine Vauchez -toujours conscient malgré ses blessures- avec ordre et cohésion : effet remarquable d’un exercice du commandement par lequel chacun se savait valorisé et reconnu dans sa dignité propre. 

Dans ces heures terribles d’un combat sanglant (35 morts, 48 blessés sur un total de 113 hommes) force est de reconnaître que ces rudes légionnaires manifestèrent à la fois une volonté d’accomplir leur mission de soldat et un dévouement sans faille à tous leurs compagnons d’arme : une manière concrète de témoigner de la dignité de la personne humaine et du respect qui lui est dû. La mission est sacrée, mais les personnes humaines le sont d’abord, faute de quoi tous nos combats et toutes les missions qui nous y conduisent perdraient leur légitimité.

Quand on célèbre l’anniversaire des combats d’El Moungar, est-ce la seule ardeur combattante jusqu’à la mort que l’on admire ? Sans doute pas, mais bien plutôt une certaine qualité de savoir-être au combat qui intègre ces repères essentiels du respect des hommes, des morts et jusqu’à celui des ennemis. 

Charité et Espérance

Cent vingt kms plus au sud, à Beni Abbès, le poste extrême du sud-oranais, un ancien officier se tenait attentivement au courant de l’évolution de la situation militaire en cette année 2003. Par son ami le capitaine de Susbielle qui commandait le poste de Taghit, il n’était pas sans nouvelles. Cet homme s’appelait Charles : en métropole il était connu comme le vicomte de Foucauld ; sur place comme le marabout français ; lui, se disait le petit frère universel.

Le 22 août, il écrivait à sa sœur son désir de se rendre à Taghit où avaient eu lieu de rudes combats, mais il manquait d’un guide sinon d’une escorte. Certes, il n’était pas venu à Beni Abbès comme aumônier militaire -il n’y en avait d’ailleurs pas- mais pour « chercher d’abord la conversion des infidèles ». Il ajoutait : « en second lieu (sans l’omettre) pour donner les secours spirituels à nos soldats ».

Finalement, voilà notre « marab » à Taghit. Il y restera trois semaines, essentiellement auprès des blessés. Les légionnaires n’étaient pas demandeurs d’un aumônier. Ils n’étaient pas non plus tous de grands dévots. Le bienheureux Charles va les « apprivoiser » par sa présence faite de douceur et de dévouement[5].

Par sa présence attentive, le bienheureux Charles sut rapidement conquérir les légionnaires. Il les écoutait, leur rendait de petits services (comme d’écrire leurs lettres) et finissait par leur parler du Christ avant de les accueillir à la célébration de la messe qu’il avait dite seul les premiers jours.

Le 18 septembre, le bienheureux Charles se rendit à El Moungar accompagné par un détachement de volontaires pour bénir les tombes des soldats morts au combat. Visite aux blessés – honneurs aux morts – mais aussi attention à la détresse de ceux que ces morts laissaient dans le deuil ; ainsi, le 22 septembre 1903, le bienheureux Charles écrivit à la mère du Capitaine Vauchez une lettre consolative tant par la délicatesse de l’intention que par les arguments de foi qu’il développait pour manifester la « bonne mort » du Capitaine bien préparé à ce passage. Il écrivit aussi -ou fit écrire- à d’autres parents de soldats tués à El Moungar pour -disait-il- annoncer la triste nouvelle avant l’arrivée de la froide notification officielle.

Charles de Foucauld laisse ici le témoignage de celui qui a parfaitement compris les ressorts de la mission auprès des militaires spécialement en opération. Il enrichit aussi la geste des légionnaires oubliés au fond de ce désert en cette rude année 1903. Le capitaine Vauchez blessé entraînait jusqu’au bout ses légionnaires au combat à El Moungar ; le Père de Foucauld voulut les entraîner dans un nouveau combat, intérieur cette fois, et roboratif aussi, pour vivre comme au-delà d’eux-mêmes et déjà les yeux fixés sur le Royaume.

v

Oublions les rapports militaires parfois sévères sur les causes du désastre d’El Moungar. Retenons sans doute avec les légionnaires du 2ème R.E.I. fêtant leurs grands anciens les actes d’héroïsme qui se sont écrits dans ce lieu de misère, mais n’oublions pas les marques discrètes d’une richesse cachée mais plus haute qui ont préparé ces hommes à ce combat héroïque et qui ont accompagné les survivants pour leur redonner pleine assurance et, sous la rudesse de l’habit de légionnaire, la finesse du cœur de Celui qui inspirait dans ce même désert le petit frère universel.

El Moungar-1903, un temps révolu, mais un siècle plus tard -aujourd’hui-, les mêmes défis, les mêmes lourdeurs et surtout les mêmes invitations à l’excellence restent le lot du combattant. Courage -certes- mais abnégation, esprit de service, respect de la dignité humaine, tracent l’itinéraire intérieur du soldat. Puisse aujourd’hui encore, quelque nouveau bienheureux Charles -aumônier d’occasion ou de vocation- faire aboutir ce cheminement jusqu’aux portes du Royaume.

Patrick LE GAL

Evêque aux Armées Françaises

 


[1] NDLR : Comme chaque année, le 2ème R.E.I. célébrait le souvenir des combats d’El Moungar le 2 septembre. L’évêque aux Armées y avait été invité ; Egmil en rendra prochainement compte.
[2] Cf. : Jacques Gandini – El Moungar – Les combats de la légion dans le sud-oranais – 1900-1903. Extrem’Sud Editions, qui donne documents, commentaires et références.

[3] « Notre situation est plus défavorable pour notre frontière que celle qui existait avant les accords. Nous limitons notre action tandis que celle de nos adversaires reste entière. Il n’y a pas d’œuvre plus décevante que d’essayer d’assurer dans ces conditions la police de mille kilomètres de frontière du Sud-oranais, et il est impossible de faire comprendre aux indigènes l’attitude qui nous est imposée ». (J. Gandini, op. cit. p. 125)

[4] On voit que les réflexions qui avaient conduit Napoléon 1er à s’affranchir des compagnies de transport privées en créant le train (1807) étaient déjà oubliées …

[5] Le capitaine de Susbielle nous en a donné un beau témoignage : « … quand je lui ai demandé, le premier jour de son arrivée : « Eh bien ! mon père, avez-vous été bien reçu par nos blessés ? – Peuh ! me répondit-il de sa voix douce et avec une pointe de malice dans ses yeux noirs, il faut le temps de faire connaissance ; cela viendra et je suis bien heureux d’être près d’eux », (Op. cit. p. 117).


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